Les instituteurs de la Vienne dans la Résistance

« En vous brillait la lumière d’un idéal assez pur… »
Ainsi s’exprime dans « Le Libre Poitou » de septembre 1944, Mme R. institutrice, faisant allusion à l’esprit des Ecoles Normales de cette époque.

La classe de René Bouriau en 1940 (Musée de Tercé)

Nombreux ont été présents dans la résistance les instituteurs de la Vienne. Ceci ne doit rien au hasard. Mais cette profession d’humanistes formés dans les Ecoles Normales au service de la République ne peut que réagir à la disparition de cette République remplacée par « l’Etat » de Vichy. Dès octobre 1940, certains, trop marqués par leur militantisme politique ou syndical au SNI (Syndicat National des Instituteurs interdit par le nouvel état de Pétain) sont déplacés. Ces déplacements arbitraires sous Vichy, souvent, sur simple dénonciation, ne sont pas rares comme l’atteste celui de M. Marilleau instituteur à Anché soupçonné d’avoir entreposé des tracts. Alphonse Bouloux instituteur à Béruges et St Pierre-les-Eglises est muté en 1940 dans le Cantal où il organisera la résistance. Il deviendra en 1943 commissaire aux effectifs d’un bataillon des FTP. En juin 1941 les instituteurs fichés comme communistes ou francs maçons sont arrêtés et déportés. Hélène Venot ancienne présidente de la FNDIRP de la Vienne est déportée à Ravensbruck. Aristide Pouilloux instituteur à Châtellerault sera arrêté le 23 juin 1941 et déporté à Sachsenhausen. Jeanne Massé institutrice à Saint- Jean de Sauves et Isabelle Douteau, institutrice à Loudun, arrêtées également le 23 juin 1941, seront incarcérées à Compiègne, puis à Romainville d’où elles seront libérées.
Mais dans ces villages où ils sont nommés, ces fils de hussards noirs de la République vont dépasser le seul cadre de l’enseignement. Ils vont s’intégrer dans la vie communautaire et se retrouvent souvent à gérer des petites associations comme des mutuelles, modestes soutiens aux agriculteurs. Ils font parfois fonction de secrétaire de mairie dans certaines communes et ont ainsi accès aux tampons et imprimés officiels. C’est une énorme opportunité dans ce département de la Vienne amputée par la ligne de démarcation d’exercer sa résistance à l’ordre nouveau et à l’occupant. Passer de la zone occupée à la zone libre nécessite des autorisations officielles, les « ausweis », très contrôlés, que certains prendront le risque de délivrer illégalement. Tel est le cas d’Edmond Jaunet.

Edmond Jaunet :
Nommé à Savigny l’Evescault en 1940, il rejoint l’école de Saint Secondin en 1941 dans un contexte très particulier, l’agglomération étant coupée par la ligne de démarcation. Il est logé à la mairie par le maire M. Pailloux. Un Mosellan Christophe Gundner fait fonction de secrétaire de mairie et par sa connaissance parfaite de l’Allemand il recueille de précieux renseignements de la part des soldats allemands occupant la mairie. Mme Pailloux (médaillée de la résistance après la libération) organise alors un réseau. Il est décidé d’aider les Français en situation irrégulière d’abord en leur procurant des faux papiers, ensuite en les cachant. C’est le cas des époux Moscovici de Ligugé dont les enfants seront scolarisés sous une autre identité dans la classe d’Edmond Jaunet. Ce dernier recueillera plus tard l’abbé Tété caché à l’école laïque de St Secondin, pied de nez à la barbe de l’occupant et de Vichy. Les passages en zone libre sont méthodiquement organisés au lieu-dit « Le Plan », le mirador surveillant ce secteur n’étant pas toujours occupé ce dont s’informe Gundner. Plus tard, Ludovic Bonvallet crée le maquis « Anatole » que rejoindront les jeunes de St Secondin voulant se soustraire au STO et Gundner, chargé de l’encadrer. Edmond Jaunet et sa collègue institutrice, Mme Neveu, à la demande du maire font fonction de secrétaire de mairie pour continuer cette activité clandestine. Edmond Jaunet continue les passages clandestins et rédige alors de faux papiers et notamment de faux ordres de réquisitions dans les fermes pour nourrir les résistants des maquis « Anatole » et « Lagardère ».

Henri Huyard et René Bibault :
Henri Huyard et René Bibault instituteurs à St Julien l’Ars entrent dès 1940 en résistance dans le réseau Renard. La proximité de la ligne de démarcation entre Jardres et Tercé leur permet de faire passer les clandestins en zone libre après leur avoir fourni de faux papiers. Ils recueillent notamment des aviateurs anglais dont l’avion s’est crashé à Maillé. Les membres du réseau les cachent dans une maison rue des Feuillants à Poitiers. Henri Huyard et René Bibault les accompagnent ensuite à Civray d’où les résistants locaux leur font passer la ligne de démarcation. Ils rejoindront Marseille, l’Espagne et l’Angleterre. René Bibault s’illustrera plus tard dans les maquis des Cévennes où il deviendra « Jean des Bouzèdes ». Henri Huyard rallie le réseau « Libération Nord » dont il deviendra le responsable départemental. Le 6 juin 1944, jour du débarquement, il est arrêté et conduit à la prison de la Pierre Levée. Il sera déporté à Dachau et libéré par les Américains en mai 1945.

Fernand Barbotin :
Instituteur à Savigny l’Evescault depuis 1936 il reçoit le 4 septembre 1939 son ordre de mobilisation et rejoint son corps à Châteauroux pour faire route vers la Moselle. Malade, il est rapatrié à Vannes le 16 mai 1940 . Il y est soigné jusqu’au 26 juillet, officiellement libéré le 3 août 1940 et mis en congé renouvelable pour soigner sa tuberculose. Il reprend la classe en 1943. Entre temps, il intègre la résistance dans l’OCM et est chargé de constituer un groupe que les Poitevins Paul Grangeneuve professeur de gymnastique au lycée Henri IV et Pierre Barrat renforcent. Un terrain de parachutage isolé est homologué à Tenaigre. Dans la nuit du 12 au 13 février 1943 un avion largue six containers. Dans la nuit du 10 au 11 juillet 1943 un autre parachutage d’armes est à nouveau réceptionné. Mais à partir de ce mois de juillet la police allemande et la milice surveillent étroitement ce secteur. Le 14 août 1943, à 6h30, deux tractions s’arrêtent à l’école. Fernand Barbotin est embarqué avec 5 autres compagnons. Ils sont conduits à la prison de Poitiers. Ils seront dirigés ensuite vers Fresnes et Compiègne puis au camp de Struthof. Vincent Alliata déporté avec Fernand Barbotin confirme sa mort au camp de Mauthausen le 20 avril 1945. Une plaque est aujourd’hui apposée sur le mur de l’école publique de Savigny l’Evescault.

René Bouriau :
Instituteur à Liniers il est arrêté à 7h30 par la gestapo ce jour de septembre 1943. R. Mercier instituteur également relate, à la libération, dans un bulletin du SNI leur étape à la prison de la Pierre Levée à Poitiers.
« …A la sortie du bourg, la voiture s’engagea sur la route de Bonnes. Sans doute allions-nous à La Puye pour une perquisition. Mais elle s’arrêta bientôt et Bouriau dut descendre et entrer dans le bois . Un « gestapo » revint chercher un nerf de bœuf derrière moi. Le chauffeur faisait ronfler aussi fort que possible le moteur de la voiture afin qu’aucun bruit ne nous parvînt. Et Bouriau revint du bois soutenu, pâle, chancelant après avoir reçu 60 coups de nerf de bœuf. Il n’avait rien dit, lui qui connaissait tous les contacts et les terrains de parachutage… ». «… A la prison de Poitiers il subissait un nouvel interrogatoire frappé à nouveau. Un codétenu me raconta qu’il était incapable de se tenir debout, le dos marbré de larges plaies sanguinolentes, les vêtements déchirés. Il fut plus de 8 jours à ne pouvoir se redresser. En janvier 1944 après 5 mois de détention à la Pierre Levée il aurait été dirigé sur Compiègne (lettre d’une amie reçue par madame Bouriau ). On devait apprendre sa mort en mai 1944… »

Arsène Lambert : « Héros et martyr de la Résistance »
Arsène Lambert est fait chevalier de la légion d’honneur juste avant sa mobilisation en 1939. En 1940 il est instituteur à l’école Henri Denard à Châtellerault. Avec son fils Jean, ils deviennent des agents très actifs du réseau « Marie Odile » spécialisé dans le passage de clandestins ( Juifs, aviateurs, résistants ) en zone libre. Mais ils sont également en relation avec le réseau « Turma vengeance » qui organise des filières mais aussi des parachutages. Le parachutage d’armes du 4 février 1944, éveille les soupçons de la gestapo. Le 17 février 1944 son fils Jean, alors âgé de 20 ans, est arrêté au lycée Henri IV de Poitiers. Au lieu de fuir sur les conseils de ses amis, Arsène Lambert refuse d’abandonner son fils. Il est arrêté le 25 février 1944 et conduit à la prison de « La Pierre Levée » à Poitiers. Son interrogatoire est un calvaire. Les coups de bâton de ses bourreaux lui brisent les dents, et son crâne est fracassé à coups de chaise. Pour avoir été trop torturé, il est transféré à l’hôpital Bretonneau de Tours, où il reste pieds et poings liés à son lit. En mai 1944, Arsène Lambert est déporté vers l’Allemagne au camp de Neuengamme. Ce sont les dernières traces que l’on aura de lui. Quant à son fils Jean, il est embarqué dans un train à destination d’Auschwitz. Transféré à Dachau, il y mourra du typhus. Une stèle a été inaugurée en 1947 dans la cour de l’école Henri Denard.

« L’Ecole Libératrice » :
Dans son numéro 3 d’avril-mai 1944, « l’Ecole Libératrice » reconstituée clandestinement appelle tous les enseignants à organiser la lutte contre l’occupant .

Le nombre des enseignants résistants, à des niveaux différents, dans le département de la Vienne est important. Dans le Civraisien nous retiendrons Maurice Clavel professeur de lettres membre du groupe Bayard et Marcel Greff ; à Poitiers le recteur Hubert et le Doyen Carré membres de l’OCM et Lucien Sommen du réseau Eleuthère . On retrouve, arrêté pour son action dans les maquis « Charles » à Champagné St Hilaire ou « Baptiste » à Chauvigny, Jean Andrault, qui mourra en déportation à Mauthausen. Henri Auroux dans son opuscule « Martyrs poitevins du réseau Renard » cite notamment Joseph Riedenger et, à la faculté de Poitiers Louis Cartan et Théodore Lefebvre exécutés tous les deux à la prison de Wolfenbüttel le 3 décembre 1943.
Cette enquête est cependant incomplète et une investigation plus profonde serait nécessaire. Mais ces exemples montrent néanmoins l’engagement très significatif des enseignants de la Vienne dans la Résistance.

Rédigé par Louis-Charles Morillon

Sources :
Entretien enregistré avec Madame Jaunet épouse d’Edmond Jaunet.
Entretien avec René Bibault.
Article du « Libre Poitou » septembre 1944.
Article de « L’Ecole Libératrice » d’avril 1944.
Ouvrages consultés :
« Martyrs poitevins du réseau Renard » de Henri Auroux.
« Savigny L’Evescault sous l’occupation » de Geneviève Bouhet et Anne Venisse.
« La répression dans la Vienne » de Louis-Charles Morillon.
« Guerre – occupation – résistance dans le Civraisien et ses environs. » de Jacques Rigaud.
« Châtellerault sous l’occupation » de Marie-Claude Albert.