Les cheminots dans la Résistance 1940-1945

Les cheminots dans la résistance
1940-1945

Documentation de Jacques Rigaud par Louis-Charles Morillon

Sabotage Photo extraite du film « La bataille du rail »

La SNCF et les cheminots ont pris une large part à la lutte contre l’occupant. Dans cet engagement, ils avaient sur leurs camarades de combat un double avantage : d’abord, occuper une position stratégique, les transports ferroviaires étant un élément essentiel dans la conduite de la guerre et ensuite bénéficier par tradition et par obligation professionnelle d’une cohésion exceptionnelle.

Le contrôle militaire allemand :

L’article 13 de la Convention d’armistice stipulait que toutes les organisations ferroviaires en territoire occupé étaient mises à la disposition pleine et entière du chef allemand des transports. Le chef des transports militaires du Reich disposait d’une logistique efficace : la WTL, (Wermacht Transport Leitung) qui transmettait les ordres à sept TK (Transport Kommandantur) disposant à leur tour de commissaires de gare. Par ailleurs deux HVD (Haupt Verkehrs Direktion) direction générale des transports étaient installées à Bruxelles et à Paris. Celle de Paris dirigeait cinq EBD ((Eisenbahn Betriebs Direktion) ; Ces EBD composées de cheminots allemands exerçaient une surveillance perpétuelle sur l’activité des agents français. Ces effectifs quelques milliers au début furent portés à 25000 en 1944. En effet les autorités d’occupation envisagèrent la possibilité d’un soulèvement massif des cheminots français entraînant des grèves d’envergure.
Les Allemands, relayés par Vichy, rappelèrent les termes de l’article 155 du code de justice militaire qui prévoyait notamment la peine de mort ou les travaux forcés à perpétuité ou à temps. On comprend mieux le lourd tribut qu’ont dû payer les cheminots dans leur lutte contre l’occupant.

La résistance :

Les actes de résistance sont souvent au départ individuels tant il est évident que la volonté de s’engager naît d’une réaction personnelle. Résistance passive d’abord. C’est la forme la plus répandue et la plus constante. Chacun sait que la stricte application du règlement aboutit dans toute structure bien organisée à une paralysie progressive qui peut devenir totale. Les cheminots de plus en plus formalistes accentuent les durées nécessaires aux remises en état. Une légère avarie peut être déclarée grave au nom du principe de précaution. Des ampoules disparaissent dans les ateliers et obligent à cesser le travail par mesure de sécurité. Des étiquettes falsifiées induisent des erreurs de destination. Les retards ainsi se multiplient

Les transports clandestins :

Dès 1940, des ralentissements inopinés de trains facilitent l’évasion de prisonniers de guerre. Les passages de lignes en zone libre et à la frontière Alsace –Lorraine annexées par le 3eme Reich se multiplient. Les lettres voyagent dans les sacoches des chefs de train ou dans les coins les plus sombres du fourgon à bagages. Le tender de la locomotive remorquant le train spécial dans lequel Pierre Laval fait chaque semaine le trajet de Vichy à Paris est aménagé afin de permettre le passage dans la cuve à eau du courrier de Londres et parfois de membres éminents de la Résistance qui passent ainsi en gare de Moulins. Le dépôt sud-ouest installe de véritables cachettes sur la locomotive électrique 2D2 permettant de passer 7 personnes à la fois. Souvent les aviateurs alliés sont acheminés vers l’Espagne ce qui implique toute une chaîne de complicités. Le bureau des billets délivre des autorisations nominatives factices. Des compartiments sont réservés et les contrôleurs avertis.

Le renseignement :

Appelés à se déplacer pour les besoins du service, les roulants de la traction ou du service des trains couvrent un énorme territoire, ce qui leur permet d’identifier et de situer des objectifs essentiels. De plus les Allemands ne peuvent déplacer troupes et matériel sans établir un programme TCO (transport en cours d’opération). Il faut 60 trains pour déplacer une division. Ces renseignements parviennent dans les réseaux locaux de résistance et régulièrement à Londres notamment au BCRA (bureau central de renseignement et d’action) des forces françaises combattantes à Londres. Les renseignements moins urgents sont acheminés par « courriers » empruntant les bateaux vers les côtes anglaises ou par avions atterrissant, la nuit, sur les terrains clandestins.

Les sabotages :

Ils débutent dès les premiers jours de l’occupation mais prennent vraiment de l’ampleur à partir de 1942 contre tous types d’installations : gares, voies, aiguillages, signaux, ponts, grues de levage. C’est tantôt une charge explosive, tantôt un déboulonnage de rails, parfois une machine lancée à contre-voie qui vient s’écraser sur un train. Toutes les mesures sont prises pour éviter des pertes en vies humaines. Ces sabotages ne sont pas uniquement l’œuvre des cheminots mais également d’organisations de la résistance. Cependant les cheminots, par leur compétence professionnelle, leur connaissance du terrain, les complicités dont ils bénéficient dans la SNCF forment des équipes de saboteurs de choix.

La résistance des cheminots dans la Vienne :

Dés le 23 juin1940 M.Berger sous-chef de gare à Poitiers assisté de son collègue M. Jardinier détournent vers la zone non occupée instituée la veille 22 juin 1940, des wagons de matériel qui seraient devenus prises de guerre pour les Allemands . Pour ces faits, M. Berger est condamné à mort. Sur intervention de la SNCF cette peine sera commuée en détention perpétuelle.
Les cheminots assurent le passage clandestin de personnes et de courriers de la ligne de démarcation à Fleuré et à Jardres.
Parmi les agents des gares de Poitiers, Châtellerault et de Ruffec qui ont été recensés, on citera entre autres Robert Malinge, Roger Levrault chef du service entretien du matériel , les frères Jean et Pierre Charles du réseau Marie-Odile, Albert Rabine chef de gare de Châtellerault du réseau Turma-Vengeance, Jacques Rigaud du réseau Résistance-Fer, Lagarrigues du réseau Alliance.

Des faits :

Le 10 juin 1944, un cheminot de la filière FFI de Châtellerault avertit l’Etat – Major de la présence d’un train de wagons-citernes au Sud-Ouest de la ville destiné à la division blindée Das Reich.
Le 11 à 17h 17, après vérification de l’information par le lieutenant Stephens un message de Tonkin, transmet l’intervention à Londres. Le dépôt de Châtellerault est bombardé et détruit par 12 Mosquitos. Opération dirigée par le colonel Iredale.

Dans la nuit du 27 au 28 juin, Jacques Rigaud, à qui le laissez-passer (Ausweis )et le brassard rouge CF confèrent l’autorisation de circuler librement dans les emprises de la SNCF, effectue une reconnaissance des installations pour préparer un sabotage. Il participe ensuite avec le groupe 6 du lieutenant Camille Barret à la destruction à l’explosif de l’aiguillage des liaisons nord de la gare de St Saviol.

Le 26 août, Jacques Rigaud cheminot déserteur engagé dans la Résistance voit un train de SS bloqué en gare avant de rejoindre Poitiers par les Maisons Blanches. Il alerte aussitôt le PC du Grand-Breuil qui transmet à son tour à Usson du Poitou au lieutenant-colonel Blondel. Un message radio est immédiatement envoyé et vers 14h une escadrille de « Lightnings » anglais mitraille le train en gare de St Saviol.

Citations :

Le 17 mai 1945, le réseau « Résistance-Fer » a été cité à l’ordre de l’Armée par le général de Gaulle.
En 1951, il avait été projeté de le décorer de la légion d’honneur. Le Président Général de l’époque suggéra de l’attribuer à la SNCF en précisant « Tous les cheminots résistants ne sont pas à Résistance-Fer et d’autre part tous les cheminots en dehors de la Résistance ont bien fait leur devoir ».
La SNCF a donc été citée à l’ordre de la Nation.

D’après les documents de Jacques Rigaud par Louis-Charles Morillon.