La ligne de démarcation dans la Vienne

La ligne de démarcation a changé le comportement des Français. C’est ainsi que les frontaliers de la zone occupée, pour améliorer le régime de restrictions mis en place par l’occupant, passaient en « zone nono » pour se ravitailler. Cette zone non occupée, symbole de liberté, était également le passage obligé de ceux qui voulaient s’affranchir des nouvelles lois de « l’occupation », résistants, prisonniers évadés, aviateurs alliés abattus ou juifs qui voulaient fuir la persécution. Devant les difficultés croissantes pour obtenir un laissez-passer, un « ausweiss », le passage clandestin de la ligne s’organisa et prit peu à peu une ampleur importante. Aussi le 29 avril 1941 parut au journal officiel une ordonnance du Militarbefelhshaber in Frankreich durcissant les modalités de passage et punissant les contrevenants de travaux forcés. Le rôle des passeurs devint alors primordial mais dangereux. Certains ne se firent jamais connaître alliant ainsi l’humilité à leur courage car ils risquaient leur vie au cours des passages, voire la déportation, en cas de dénonciation.

La ligne de démarcation dans la Vienne

DES PASSEURS

A Archigny, un important poste de contrôle était installé sur le D9 Monthoiron – La Puye. Le laitier d´Archigny collectait en zone occupée et en zone libre le lait dans les fermes. Il franchissait quotidiennement la ligne plusieurs fois dans la journée. Les Allemands le connaissaient et ne lui demandaient plus ses papiers. Il se spécialisa ainsi dans le passage du courrier qu´il camouflait soigneusement protégé dans les bidons de lait.

A Tercé, Robert Bienvenu coiffeur au 86 bis de la rue de la Tranchée à Poitiers faisait passer les clandestins.
Il les conduisait ensuite chez son ami Raymond Guichard huissier de justice à Chauvigny avec qui il avait monté ce réseau clandestin. Le 8 septembre 1940 Robert Bienvenu accompagné de son épouse tenta de faire passer la ligne à deux Espagnols, Navarro et Souazagoiz. Il portait en outre d´importants documents espagnols à remettre à M. Gomez. Les Allemands avertis par une dénonciation les attendaient entre la Maisonneuve commune de Tercé en zone occupée et les Chirons commune de Salles-en-Toulon en zone libre. La femme et les deux hommes furent arrêtés mais Robert Bienvenue s´enfuit et fut abattu. Il réussit néanmoins à se traîner dans une vigne où il dissimula son portefeuille contenant les documents sous un cep. Mortellement atteint il fut transporté à l´église de Tercé où il mourra. A la libération, son dénonciateur fut condamné à 15 ans de prison et à la confiscation de ses biens.

A Jaunoux, la famille Fradet était intégrée dans un véritable réseau de passeurs de la ligne. Les évadés étaient envoyés de Poitiers chez Vergnaud maréchal-ferrant aux 4 routes à Nieuil-l´Espoir. Celui-ci les conduisait chez Auguste Fradet à la Phélonnière. Là, ils étaient nourris et cachés dans une meule de foin spécialement aménagée dans la grange. Puis les évadés étaient conduits à Jaunoux en passant par l´Altrie et la Maisonneuve à travers champs. Cette filière aurait fait passer plusieurs centaines de personnes en zone libre.

A Chiré-les-Bois, Roger Robin avait établi un itinéraire très précis, jalonné de vieux matériels agricoles dont il aurait prétexté l´oubli en cas de rencontre avec une patrouille allemande. Ce soin méticuleux lui servit à faire passer la ligne à Robert Schuman. Ce dernier, arrêté par les Allemands le 13 avril 1941 fut détenu à Neustadt dans le Palatinat d´où il s’évada en juillet 1942. Il décida de rejoindre la Vienne où il avait un contact avec le préfet adjoint délégué Holveck.Le matin du 3 août 1942, Mme Holveck arrêta sa voiture devant la porte du monastère de Ligugé. Après avoir été menée au parloir par le Père Placide elle confia au père Basset qu´elle amenait dans sa voiture un passager très compromettant, et lui demanda de faire passer la ligne à Robert Schuman. Le père abbé accepta cette mission et son pensionnaire fut installé au 2eme étage du noviciat. Le 13 août le cheval attelé au break du monastère et conduit par Maurice Fretier partit en direction de Gizay. Le voyage se poursuivit par La Nibautière, Bois Boursault et enfin La Perdrigère à 4 km de la ligne où Roger Robin attendait son hôte. Après une nuit de repos Robert Schuman passa sans encombre en zone libre.

A Saint-Secondin, le café restaurant auberge était tenu par l´épouse d´André Faye chauffeur de l´autobus assurant la ligne Poitiers-St Secondin. Le contact des clandestins se faisait place de la Préfecture à Poitiers et il paraissait normal pour des voyageurs de passer la nuit à l´auberge. Comme des soldats allemands gardant la ligne Dienné-Usson-du-Poitou logeaient à l´auberge il était facile de connaître les heures des patrouilles. André Faye entra en contact avec le réseau belge « comète » sous le faux nom de Fayolle. Le réseau prenait en charge les clandestins de toutes origines au départ de Bruxelles afin que, via St Secondin, ils rejoignent l´Angleterre par l´Espagne 

Rédigé par Louis-Charles MORILLON

D´après le livre << La ligne de Démarcation dans la Vienne » de Jacques FARISY

La ligne de démarcation dans le sud – Vienne

A Mauprévoir – La commune est située de part et d’autre de la ligne de démarcation et offre de nombreuses possibilités de passages clandestins, notamment à Montedont, La Jocance, Lafa, Fontpiot. Pendant toute la durée de l’existence de la ligne, des « frontaliers » firent passer en zone non occupée des prisonniers évadés, des poursuivis et aussi des compatriotes désirant rejoindre les unités Françaises de l’armée d’armistice ou l’étranger. Nous avons recueilli le témoignage de monsieur Pierre GUYOT, lequel âgé de 19 ans en février 1941 et accompagné de trois camarades élèves comme lui de l’école de marine marchande de Paimpol, s’adressèrent au maire de Civray pour essayer de passer en zone non occupée pour s’engager. Conduits par le Civraisien Henri SAVIGNAT grand blessé de la guerre 1914/1918, ils furent confiés à Eugène PATRIER à Montedont, lequel, avec son jeune fils, après les avoir réconfortés à leur domicile les emmenèrent en suivant la ligne de chemin de fer de Saint Martin l’Ars et à travers les champs et les bois, jusqu’au restaurant-hôtel ORLIANGES à Mauprévoir où après avoir passé la nuit, ils purent rejoindre Limoges, Marseille et Alger pour participer aux opérations militaires qui suivirent.(Témoignage de M. Guyot recueilli par J. Rigaud).

L’exemple ci-dessus du rôle des différents intervenants n’est pas isolé tant en ce qui concerne M. Patrier que les résistants Civraisiens qui mirent en sécurité hors zone occupée, de nombreuses personnes à Mauprévoir mais aussi à Saint Secondin, Usson, Pressac et Chatain.

A Pressac – André RAVARIT vit dans sa ferme à l’Epine de Pressac qui est en zone non occupée mais à proximité de la ligne de démarcation. L’endroit est favorable pour les passages clandestins et depuis 1941, membre du M.U.R. Vienne-sud, il fera passer en zone non occupée des poursuivis et aussi des aviateurs alliés tombés sur le sol français qui lui sont amenés et même en transporte jusqu’à Marseille (mai 1942). Ses nombreuses activités autres, hébergement de résistants et organisation des maquis et des parachutages le feront découvrir. Arrêté le 6 juin 1944, il sera exécuté à Buchenwald lors de l’évacuation du camp le 23 avril 1945. Outre les décorations françaises, la Croix du Mérite franco-britannique lui fut décernée. (Témoignages et documentation recueillis par J. Rigaud auprès de la famille et des associations locales de résistants).

A Chatain – Le bourg de Chatain est en zone non occupée mais en limite de la ligne de démarcation. L’abbé Paul GUILLON prêtre de la paroisse utilisera cette situation pour faire passer du côté libre, depuis le début de l’occupation, des prisonniers de guerre détenus à proximité et par la suite des évadés, des juifs, des poursuivis…
L’abbé GUILLON étant très impliqué dans ce rôle de passeur, ses activités furent découvertes et il fut arrêté le 7 mars 1941. Emprisonné et emmené dans un camp en Allemagne, il ne sera libéré que fin avril 1945. (Témoignages recueillis par J. Rigaud des associations locales de résistance et le livre de R. Picard : « La Vienne dans la Résistance »).

A Pleuville – Cette commune étant en partie en zone occupée, de nombreux habitants facilitèrent malgré les risques, le passage du côté non occupé, de courrier et aussi de personnes voulant s’éloigner de l’occupant : prisonniers de guerre, évadés, juifs, poursuivis… Plusieurs furent arrêtés et condamnés, tels Annette COLIN, Elise MIGAUD, Alcide DUDOGNON et Marcel THROMAS qui déporté ne revint pas.

André RAFFOUX propriétaire de la ferme « Les Ecures » dont un bois se situe en bordure de la ligne de démarcation, devint un passeur régulier depuis le début de l’occupation et aussi le maillon d’une chaîne qui facilite le passage en zone libre de tous ceux qui se présentent, notamment des familles juives venant de Paris par le train et amenées aux « Ecures » par un autre résistant André NAFFRECHOUX de l’hôtel de la gare à Saint Saviol. Après leur avoir fait traverser la ligne dans la nature, ils sont ensuite conduits à Confolens pour être pris en charge par d’autres résistants. La ligne de démarcation étant supprimée, André RAFFOUX continuera son aide aux fugitifs, réfractaires et aux résistants du Civraisien poursuivis et participera à l’organisation de la résistance Vienne-sud et à la création de son maquis D3 RAF.

Une partie du bourg de Pleuville et la ferme « Les Ecures » furent incendiées par l’occupant le 3 août 1944. (Témoignages recueillis auprès des amicales de la résistance locale D3 et D4 et de Madame JACCUZI fille RAFFOUX ainsi que les livres : « Armée Secrète » de J. Blanchard et « Pleuville de juin 1940 à août 1944 » de la commune de Pleuville).

Rédigé par Jacques RIGAUD, résistant, avec les témoignages qu’il a recueillis auprès des témoins et des associations de Vienne – sud.