L’aventure

De 1942 à 1943, pour ces Français qui voulaient rejoindre l’Angleterre ou l’Afrique du Nord, la frontière des Pyrénées restait le passage obligé. Jacques Martin, qui termina sa carrière de professeur d’anglais au collège Jean Moulin à Poitiers nous livre, dans un manuscrit écrit en 2004, le récit de ce « Passage en Espagne »

Jacques Martin en 1944

1943. La France subit de plus en plus l’oppression de l’occupation, avec la collaboration active du régime de Vichy. Jacques Martin, né le 17 mai 1920 à Lavoux, d’abord élève au collège de Châtellerault puis au lycée de Poitiers est, ce 24 juin 1943, répétiteur au collège de Civray. Sa décision est prise. Avec son frère Robert, ils rejoindront l’Espagne grâce à leur contact du Pays Basque.

Il en avise discrètement son proviseur dont il partage la confiance et le soir même se rend à la maison familiale où son frère Robert le rejoint. L’atmosphère familiale est lourde, les parents dissimulant mal leur inquiétude de voir partir leurs enfants. Avant son départ, Jacques Martin remet quelques livres à des amis anglais, M. et Mme Foster résidant à la Limouzinerie à Bonnes. La Limouzinerie abrite également des douaniers allemands dont « Foxy » ainsi dénommé à cause de sa chevelure rousse.
Le 26 juin, ils quittent Lavoux à bicyclette pour gagner Lhommaizé sur la ligne de chemin de fer Poitiers – Limoges. A Limoges, il faut patienter jusqu’à 2 heures du matin pour prendre le train pour Toulouse. Dans 24 heures ils espèrent arriver à Aramits. C’est alors qu’un gaillard en uniforme allemand passe devant leur banc à plusieurs reprises. Surprise.
C’est « Foxy ». Cette présence suscite leur inquiétude. Le voyage de Limoges à Toulouse s’effectue sans contrôle. A Toulouse le train pour Pau est en gare. Il faut une fois de plus passer les vélos d’un quai à l’autre sous le regard de « Foxy » penché à la fenêtre de son compartiment. Que faire ? Laisser les vélos dans le train de « Foxy » et prendre le 2eme train à 9 heures 30 leur semble plus prudent. Enfin ils arrivent à Pau. Les vélos attendent pèle mêle sur le quai. Ils décident de se séparer en cas de contrôle de la gestapo ou de la police. Jacques passe le premier dans la file de voyageurs, Robert le dernier. Mais la voie est libre. Ils rejoignent donc à bicyclette Oloron par une chaleur étouffante. A Oloron, contrôle d’un car par les Allemands, impossible d’éviter ce barrage. Mais les Allemands occupés par les passagers du car leur font signe de passer. La route de la vallée de Barétous est calme. En arrivant à Aramits deux motards allemands contrôlent un cycliste. Ils n’ont que le temps de se dissimuler dans un sentier et jettent alors leurs vélos par-dessus une haie d’où une tête apparaît. Le paysan béarnais comprend vite la situation, les rassure et leur conseille de rester cachés jusqu’au soir. Il préviendra leur contact qu’il connaît. En effet, vers minuit ils sont récupérés et hébergés pendant trois jours. Le passeur vient les voir pour s’assurer qu’ils sont physiquement aptes à supporter l’effort de trois nuits de marche en montagne.
Le départ est fixé le dimanche soir après les vêpres. Chargés de sacs à dos pleins de provisions, ils progressent par les jardins et longent un champ de blé récupérant six autres jeunes de leur âge. Ils marchent en file indienne, en silence. La pente devient plus raide et ils se tiennent par les sacs dans les passages délicats. Ils doivent, accroupis, contourner un poste allemand. Le jour se lève quand ils arrivent à une bergerie dans laquelle ils se reposent toute la journée. La deuxième étape se révèle plus dure encore mais ils atteignent à nouveau une « cayole » où un autre guide les attend. Ce dernier leur demande de l’argent et devant leur refus il leur montre la direction de la frontière et les abandonne. Le vent est glacial et il faut longer une falaise dangereuse. Enfin, en suivant un rio, ils arrivent à la Venta de Arraco. Arrêt pour se restaurer près d’un ruisseau. C’est à ce moment qu’apparaissent deux alguazils. Après s’être assurés qu’ils sont Français, ils les conduisent à Isaba où ils sont mis dans un toit à cochons. Le gardien leur indique une auberge où ils pourront se restaurer pour quelques pesetas sous l’œil indifférent de trois gardes civils. Enfin l’autobus pour Pampelune arrive. Dès leur arrivée un policier les conduit à la prison de Pampelune. Ils y vivent une cohabitation difficile à six dans une cellule ne comportant que cinq couchages. Privation de toute intimité. La nourriture à base d’huile d’olives rouges leur donne de sévères coliques.Le comptage des détenus dans le froid occupe de longues heures. Ainsi s’écoulent deux mois très pénibles. Ils sont alors transférés à Miranda de Ebro.

Ce camp a été bâti sur un plateau désertique balayé par un vent glacial. Les 5000 prisonniers répartis dans une soixantaine de baraques ne disposent que d’un seul robinet coulant dans une vasque au milieu du camp. Là se côtoient membres de brigades internationales, Noirs, Chinois, Polonais, soldats allemands voulant éviter le front russe, Basques gardés par des soldats espagnols indifférents. Poux et punaises sévissent et la diarrhée la « mirandite » comme la nomment les détenus mine les organismes. Jacques Martin a perdu 10 kilos et, rongé par la maladie, est admis à l’infirmerie. Cependant, fin novembre 1943 des départs vers l’Afrique du Nord sont organisés.Robert part le premier. Quelques jours plus tard Jacques quitte à son tour le camp. C’est le départ pour Madrid où, pris en charge par la Croix Rouge, il est en transit à l’hôtel du Nord. Enfin, dernière étape de ce long périple, il arrive à Malaga d’où il embarque sur le « Sidi Ferruch » pour le Maroc.
Rédigé par Louis-Charles Morillon

Sources :
Conversations avec Jacques Martin.
Manuscrit écrit par Jacques Martin « Le passage en Espagne-juin 1943 » aimablement communiqué par sa fille Madame Catherine Walter.