Les Indépendants de Scévolles de Monts-sur-Guesnes

L’histoire des mouvements de résistance dans le Loudunais est méconnue. On la résume en général au seul maquis de Scévolles d’août 1944. Les choses ne sont pas aussi simples. Un seul bref exemple : L’action des docteurs André Colas et André Chauvenet qui, dès 1940, font, avec leurs moyens d’alors, actes de résistance reconnus et efficaces. André Colas sera encore présent à la libération de Loudun quatre ans plus tard. André Chauvenet ne reviendra du camp de concentration de Radeberg qu’en 1945.

Les gendarmes de Monts avec (X) Charles Dubois (source Archives privées famille Dubois)

            Un groupe de résistants est né autour de Monts-sur-Guesnes, ce qui n’est sans doute pas un hasard : la forêt de Scévolles, lieu idéal pour se cacher et éventuellement attaquer l’ennemi, est à deux pas, même si aucun des Indépendants de Scévolles n’a pris le maquis, ni coupé les ponts durablement avec son foyer, sa famille.

            La notoriété de ce groupe souffre sans doute de l’ombre de son « grand frère », né pourtant après lui, le maquis de Scévolles. Il faut en effet attendre le 12 août 1944 pour voir des hommes s’installer dans la forêt alors que, dès 1942 ou 1943, un homme, Charles Dubois, avec d’autres, organise l’accueil, le passage, la planque de réfractaires, d’hommes, de femmes, de familles qui fuient les occupants. Le terrain s’y prête : une forêt à deux kilomètres, des fermes isolées, une présence allemande peut-être moins lourde qu’ailleurs.

            Charles Dubois, 46 ans en 1944, habite le bourg de Monts. Il est ferblantier-plombier-zingueur. Son métier le fait donc circuler dans la campagne. Il se dit d’ailleurs artisan rural. Libre-penseur et franc-maçon, il est évidemment atteint par les lois vichystes[1]. Sa faconde, sa forte personnalité, son franc-parler mettent les gens en confiance et aident sans doute progressivement les réfractaires, les déçus du pétainisme et les révoltés de l’occupation allemande à le rejoindre[2].

            Dans un mémorandum adressé par Martial Du Puytison et lui-même au colonel Blondel le 22 novembre 1945[3], il est écrit : « DUBOIS Charles est entré dans la résistance dès Novembre 1942 ». Puis le « 2 » a ensuite été changé en « 3 » au stylo. Dans un questionnaire en vue d’obtenir la médaille de vermeil de la Reconnaissance Française[4], il déclare en juin 1947 avoir adhéré au Front National en novembre 1942 (carte FTPF n° 7-615). Quoi qu’il en soit, il écrit dans son dossier de demande de carte de Combattant Volontaire de la Résistance daté du 20 mars 1949[5] : « Octobre 43 à Monts-sur-Guesnes avec le colonel Sidou (Antoine) jusqu’à avril 1944 – Capitaine Charles Dubois alias « Christian » d’avril à septembre 1944 »[6].

            Parmi les hommes venus se réfugier à Monts-sur-Guesnes, deux ont une formation militaire récente : Jean Lourdault, 25 ans en 1944, engagé volontaire en 1937, évadé d’Allemagne[7] et René Dietgen, 31 ans en 1944, engagé volontaire en 1935, évadé d’un chantier Todt[8]. Charles Dubois recrute pour le groupe en formation Martial Du Puytison, 46 ans en 1944, lieutenant de réserve qui, en plus de sa participation à la Première guerre mondiale, a déjà un passé de résistant : Son nom figurait sur la liste des membres du réseau Renard, liste tombée entre les mains des Allemands en août 1942, ce qui a amené la chute du réseau[9]. Du Puytison a échappé à l’arrestation grâce à son nom mal orthographié.

        Le groupe est finalement composé d’une quinzaine d’hommes, dont les anciens combattants Alfred Roy, 49 ans en 1944, maire de Verrue, et Aramis Prinet, 55 ans en 1944, futur maire de Chouppes ; Prinet participe avec Alexandre Bouet au parachutage de la nuit du 14 au 15 juillet près de Lencloître. Une partie des armes est rapportée avec chevaux et tombereaux à la ferme Bouet au château de Dandesigny, commune de Verrue, et surveillée. Le groupe entier est concerné ensuite par le parachutage d’armes sur le terrain Pommard Mark 19 près de Martaizé dans la nuit du 7 au 8 août. Le butin est également caché à Dandesigny et dans des fermes alentour de Monts-sur-Guesnes. Le 11 août, le groupe de Champigny-sur-Veude (Indre-et-Loire), mené par René Mabileau, est lui aussi accueilli avec armes et véhicules à Dandesigny avant de s’installer dès le lendemain dans la forêt.

            A partir du 20 août, les Indépendants de Scévolles prennent leurs distances avec le Maquis de Scévolles[10] qu’ils avaient aidé à s’installer. Ils se contentent alors de contrôler les routes autour de Monts-sur-Guesnes. A la Libération de la région, après le 1er septembre, ceux qui s’engagent pour la suite de la guerre rejoignent le corps franc de Richelieu (Indre-et-Loire) pour être ensuite dirigés vers la Poche de Saint-Nazaire. Les autres poursuivent leurs activités professionnelles (boucher, boulanger, plombier, agriculteur…).

Quelques remarques :

1.  Ce groupe FTP a accueilli des hommes de toutes tendances politiques et le raccourci FTP = communistes ne fonctionne pas. Charles Dubois était un homme de gauche non communiste, Aramis Prinet était communiste et Alfred Roy se situait au centre-droit[11]. Quant à Martial Du Puytison, une personne qui l’a bien connu a confié à l’auteur de ce texte qu’il le positionnait à la droite de la droite. Les jeunes hommes qui les suivaient ne se posaient pas forcément ce genre de questions. Il s’agissait pour eux avant tout de bouter les Allemands hors du pays.

2.   Le groupe n’a connu aucune perte.

3.   Bien évidemment, la formation n’aurait pas pu survivre sans la complicité passive ou active d’habitants du bourg, en particulier celle des gendarmes de la brigade de Monts-sur-Guesnes que Charles Dubois a tenu à associer à leur action quand il s’est agi, après la Libération, de rendre hommage aux méritants.

4.   Depuis quelques années, le groupe des Indépendants de Scévolles a son propre drapeau et il participe, entre autres, à la commémoration chaque dernier dimanche d’août à la stèle honorant le maquis de Scévolles.

                                                                                                                                  Le 17 mai 2019

Jacques Albert, Jacques Pirondeau


[1] – J.O. du 7 décembre 1941.

[2] – Entretien de l’auteur avec les enfants de Charles Dubois, Jean et Jacqueline, le 12 décembre 2012. 

[3] – ADV Série 1 W 2537.

[4]  – Idem.

[5] – ADV Série 1825 W 42.

[6] – Ce n’est qu’après la Libération que le plombier Charles Dubois découvre que son contact « Christian » s’appelle comme lui Charles Dubois ! Charles Dubois, alias Christian, est né en 1922. « En 1944, au début de l’année, je recevais de l’inter-régional François Sidou alias Antoine, mission d’organiser les FTP ( francs tireurs et partisans ) dans la région occupée de la Vienne». Il a participé avec Sidou à la libération de plusieurs dizaines de détenus du camp de Rouillé le 10 juin 1944.  Témoignage de Charles Dubois au mémorial de Vaugeton le 28 septembre 2002. ADV Fonds Picard 12 J 79.

François Sidou, alias Ledoux ou Antoine, est né en 1901. « A partir du 1er juillet 1944, j’ai eu à commander les F.T.P.F. de cinq départements. (…) De Nantes à Angers, à Poitiers, à Niort, à La Roche, c’étaient des centaines de kilomètres qu’il falllait parcourir en vélo ».   270 JX 1 Patriote poitevin 14 octobre 1944.  Les cinq départements étaient la Vienne, les Deux-Sèvres, la Vendée, le Maine-et-Loire et la Loire-Atlantique  ADV  IN 4 265.

[7] – ADV Série 1825 W 76.

[8] – Archives de l’Amicale du maquis de Scévolles.

[9] – Calmon JH, La chute du réseau Renard, Geste Editions, 2005.

[10] – L’attaque de l’Auberge du Cheval Blanc à Monts le 19 et l’attitude du chef du maquis de Scévolles ont créé des tensions entre les deux groupes.

[11] – Candidat aux élections cantonales du 23 septembre 1945, il se déclare « Républicain indépendant…  n’étant à la remorque d’aucun parti ».  ADV série 15 J 86.