Aperçu sur les combattants volontaires de la Résistance (Vienne et Vienne-sud)

L’appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle depuis Londres a certainement eu une forte influence sur le comportement de mes compatriotes qui étaient encore sous le choc de la défaite. Vivant la situation créée par l’occupant, ils seront appelés ultérieurement à réagir et envisager la libération de notre territoire ; pourtant peu d’entre nous eurent la chance d’entendre ce message du général de Gaulle qui fut bien le déclencheur de la Résistance intérieure et permit de faire connaître l’existence d’une France qui n’abdiquait pas et réclamait le soutien des patriotes tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger.

Les responsables de maquis à Civray fin août 1944

Quelques exemples pris dans notre région depuis le tout début de l’occupation confirment le patriotisme et l’état d’esprit de ces débutants résistants qui à l’origine, agirent plutôt individuellement.
– au cours des derniers jours de juin 1940, Bergerot et Jardinier, deux cheminots de Poitiers, échangent les étiquettes de wagons de matériel de l’armée française pour les faire passer dans la zone dite non occupée et éviter ainsi la récupération par l’occupant. Leur action découverte, ils furent arrêtés, condamnés et échappèrent de justesse à la peine de mort mais ils passèrent les années de guerre en détention en Allemagne.
– depuis le début de l’occupation, une ligne dite de démarcation imposée par la commission d’armistice, coupe notre département en deux parties. Cette ligne n’est franchissable qu’avec un laisser-passer (Ausweiss). Mais des riverains courageux aident à un passage clandestin dans certains secteurs ; ils sauveront ainsi des prisonniers de guerre évadés, des aviateurs alliés, des poursuivis, des patriotes et ensuite des juifs, des tziganes etc… Ces passeurs prirent des risques importants et certains furent arrêtés, emprisonnés et même déportés comme l’abbé Guillon de Chatain et André Ravarit de Pressac.
– progressivement, des actions individuelles se développent dans diverses localités : distribution de tracts et d’affichettes, actions diverses pour démoraliser la troupe occupante et avec des moyens modestes réalisent quelques sabotages des installations et des réserves de matériel et d’approvisionnement appartenant à l’armée allemande.
– dès la fin de 1940, des groupes, préludes aux réseaux de résistance, commencent à s’organiser et à s’équiper en vue des actions futures. Le premier groupe dans notre département est animé par Louis Renard, huissier à Poitiers qui est l’exemple du courage exceptionnel et du patriotisme de ces résistants. Grand mutilé de la guerre 1914-1918, Louis Renard après avoir offert ses services au général de Gaulle, créée une feuille d’information clandestine « Le Libre Poitou » et organise un groupe de plus de 150 volontaires cooptés dans différents milieux professionnels notamment : fonctionnaires, militaires, professions libérales, étudiants, artisans commerçants, etc…Mais dénoncés, une trentaine de membres du réseau seront arrêtés et condamnés. Dix seront décapités à la prison de Wollfenbuttel en Allemagne.
Le démantèlement de ce premier réseau de résistance n’empêchera pas le développement ultérieur de plus d’une dizaine d’autres groupes dans le département malgré une lutte « anti – terroriste » particulièrement active. Certains seront anéantis avant l’accomplissement de leurs missions mais c’est néanmoins les contacts de ces groupes avec l’état-major de la Résistance du colonel Chêne (alias Bernard) en liaison avec les organisations alliées dont la S.O.E. du major Maingard (alias Samuel) qui permettront la constitution et l’équipement des 51 maquis de la Vienne dont 15 dans le secteur D Vienne-sud.
Pour constituer ces maquis, les volontaires peu nombreux au départ, environ 3000 dans le département, vont affluer au cours de l’été pour s’élever à 11390 à la libération. En dehors des quelques déplacés des villes et des réfugiés, la plupart sont des habitants de la région qui souhaitent ardemment retrouver la liberté et se débarrasser de cet occupant qui nous impose ses conditions et ruine notre économie. Animés par leur courage et leur patriotisme, ces hommes d’origine et de professions très diverses, vont solidairement et en faisant abstraction des considérations philosophiques, politiques et religieuses s’organiser et animer la lutte pour la libération.
Seuls les quelques militaires de carrière connaissent le métier des armes et, pour les autres, leur profession ne les a pas préparés pour les actions envisagées ; néanmoins chacun dans sa spécialité y apportera ses compétences et l’union de ces enseignants, postiers, cheminots, commerçants, artisans, ouvriers et représentants du corps médical etc…constituera l’extra compétence de ces groupes de résistance. Seulement les agriculteurs sont peu représentés dans les effectifs, mais en cette saison , les tâches importantes de la terre ne peuvent être négligées. Les cultivateurs ont d’ailleurs pendant cette occupation apporté une aide considérable aux poursuivis, réfractaires, et autres pour leurs besoins essentiels et aux groupes de résistance vivant dans la clandestinité, l’hébergement et la nourriture et attendant les moyens d’existence qui tardèrent à venir.
Beaucoup de ces volontaires sont d’un âge mûr, la plupart ont participé à la campagne de 1939-40 et quelques uns sont des vétérans de 1914-18. En quittant leurs foyers pour prendre la clandestinité, ces hommes ont pris des risques considérables pour eux mais aussi pour leurs familles, souvent mises dans le besoin par manque de revenus. Heureusement pour certains, les épouses, les parents âgés et les enfants ont pu suppléer à l’absence du volontaire mais, pour les autres, des difficultés familiales ont eu surtout au début de l’engagement, une influence néfaste sur le moral et fut parfois la cause de l’abandon de la clandestinité. Néanmoins dans l’ensemble, le patriotisme, le courage et la volonté de remplir la mission, se sont imposés en stimulant ainsi la solidarité et l’entente entre ces hommes et que nous pouvons qualifier d’exceptionnelles.
Aussitôt la période de la libération et la mise en place rapide des structures administratives et politiques nouvelles, les engagements discrètement préparés pendant l’occupation commencèrent à se réaliser. Mais il est bien évident que pendant cette période de l’occupation, la lutte engagée pour la libération fut primordiale ainsi que le désir de faire retrouver une vie normale à nos compatriotes détenus, prisonniers de guerre, déportés et autres victimes de la barbarie nazie. Dans la période qui suivit la libération du territoire, malgré la reprise des activités des organisations politiques et syndicales, la volonté pour tous de reconstituer un cadre de vie plus juste et plus humain a dominé très heureusement toutes les autres considérations.
Après la libération, le retour à une vie normale pour nos compatriotes ne fut pas immédiat du fait des conséquences de ces années de guerre et du comportement de l’occupant durant cinq ans. Les importantes destructions demandèrent du temps et beaucoup d’efforts pour un rétablissement indispensable et urgent, notamment des voies de communication (fer et route), fortement endommagées, la reconstruction de nos villes et villages sinistrés et toutes les conséquences que subirent nos localités, tout en continuant de vivre avec le rationnement des produits alimentaires et de grosse nécessité, dû notamment pendant de longs mois aux difficultés d’approvisionnement.

                         Texte de Jacques Rigaud
                         Ancien du maquis D2 Bayard du secteur Vienne-Sud

Sources :
– Historique des unités combattantes de la Résistance du ministère de la défense
– Documentation des associations Résistance de Vienne-Sud
– Livre : « La Vienne dans la guerre » de Roger Picard
– Souvenirs et documentation de l’auteur