Tercé, 1944, Marie Chagnon sauve une famille juive des camps d’extermination.

Edwige, Jules et Marcel Marx, Mosellans juifs de Sierck les Bains, se sont réfugiés à St Georges les Baillargeaux de septembre 1939 à janvier 1944. Craignant pour leur sécurité, ils sont accueillis par une habitante de Tercé, Marie Chagnon qui les héberge jusqu’en septembre 1944 ; elle les sauve ainsi de la rafle du 31 janvier 1944 et de la déportation.

Marie Chagnon

Eugène Chagnon est né à Sillars le 20 juillet 1882, fils de François et Marie Auzanneau. Le 17 octobre 1905 à Sillars, il épouse Marie Louise Dolorès David, née à Jouhet le 24 octobre 1883, fille de François David et Prudence Lacarte. Ils ont 11 enfants entre 1906 et 1930. Agriculteurs, ils viennent à Pouillé puis s’installent en 1930 à La Choltière, à Tercé. Eugène Chagnon décède prématurément le 1er octobre 1937 à 55 ans.
Veuve, Marie Chagnon ne peut demeurer dans la ferme. Elle s’installe à l’entrée de Tercé, route de St Julien L’Ars, (aujourd’hui le n° 18), dans une maison construite début XXème siècle. Avec quatre de ses enfants toujours à sa charge, les sept autres plus âgés ayant quitté le foyer, Marie Chagnon vit grâce à son travail, notamment la couture et divers travaux domestiques et cultivant son potager.

De fin juin 1940 à mars 1943, la ligne de démarcation coupe Tercé en deux parties, le bourg étant en zone occupée. Les Allemands s’installent à Tercé et réquisitionnent des logements, notamment au n° 1 de la route de St Julien L’Ars pour y installer la « Kommandantur » et au n°16, dans la maison de Maurice Picault, à cette époque prisonnier de guerre, voisin immédiat de Marie Chagnon.
Marie Chagnon est de ces personnes qui ont risqué leur liberté, sinon leur vie, en assistant des gens dans leur passage de la ligne. Malgré la proximité des soldats allemands, elle aide des personnes à passer la ligne de démarcation, par le sud vers Les Chirons ou, plus souvent, par le nord vers Les Petites Brandes. Elle a sympathisée avec un jeune soldat, connu sous le nom de Georges, d’origine autrichienne, pour lequel elle fait des lessives et de la couture. Il découvre l’activité de passeur de Marie mais n’en dit rien. De plus, il lui indique parfois les heures de patrouille, malgré les craintes de son supérieur, un fanatique connu sous le nom de « Gueule en or » qui terrorise ses hommes.

Le 4 septembre 1939, Jules et Edwige Marx, Juifs, Mosellans de Sierck-les-Bains, sont évacués de leur domicile, leur commune étant située à la frontière franco-allemande et proche de la ligne Maginot. Ils se réfugient à Saint-Georges-lès-Baillargeaux (Vienne), commune d’accueil de Sierck, avec leur fils Marcel Marx, né le 8 janvier 1920. Mobilisé le 8 juin 1940 au D.G.I. à Versailles, Marcel est démobilisé le 23 août 1940 à Arzack (Basses-Pyrénées), d’où il rejoint le 12ème Groupement des Chantiers de la Jeunesse Française.
Libéré des Chantiers de la Jeunesse Française le 2 novembre 1940 à Uriage (Isère), Marcel Marx rejoint ses parents à St Georges. Avec 1 600 000 hommes prisonniers de guerre en Allemagne, la France manque de main d’œuvre et Marcel Marx trouve du travail à « la Pile Leclanchée ». Il y fait la connaissance de Madeleine Chagnon, fille de Marie Chagnon. Elle travaille à « La Pile » avec sa jeune sœur, Lucienne, depuis 1940.

Durant la guerre, Marcel Marx rend plusieurs fois visite à la famille Chagnon à Tercé. A Chasseneuil, il porte l’étoile jaune que les Nazis ont imposée aux Juifs, mais il ne la porte pas quand il vient à Tercé, chez son amie Madeleine Chagnon.

Edwige et Jules Marx hébergent une fillette juive, Claudine Marx, née le 21 janvier 1937 à Sierck, fille de Lazare Marx. Elle est raflée à St Georges et emmenée à Poitiers le 9 octobre 1942, au camp de la route de Limoges, avec d’autres enfants, puis convoyée à Drancy, d’où elle est déportée et gazée à Auschwitz, en novembre 1942.

En janvier 1944, Marcel Marx « a vent » d’une éventuelle et imminente rafle autour de Poitiers. Méfiant et craignant pour la sécurité de ses parents Jules et Edwige, il demande à Madeleine Chagnon si elle peut l’aider à les cacher. Cette dernière en parle à sa mère, Marie Chagnon, qui propose sans réticence de les abriter chez elle à Tercé, malgré l’exiguïté de sa maison. Les époux Edwige et Jules Marx viennent s’installer mi-janvier 1944. Ils échappent ainsi à la rafle du 31 janvier 1944 qui se déroule en plusieurs lieux de la Vienne, dont Saint-Georges-lès-Baillargeaux et Chasseneuil–du-Poitou. Le père de la petite Claudine, Lazare Marx, né le 10 décembre 1900, commerçant à Sierck avant 1939, est arrêté à St Georges par les gendarmes de Jaunay-Clan. Déporté à Auschwitz le 10 février 1944, il y meurt le 15 suivant, le même jour qu’y sont gazés Léon Mayer et son épouse, ainsi que Josef Mayer et son épouse, également évacués mosellans, mais restés à St Georges en 1940, car craignant les mesures anti-juives que les Nazis mènent en Allemagne et ne manqueront pas de prendre en Moselle.

Munis de fausses cartes d’identité au nom de Chabot, fabriquées par Nicolas Dürr, Lorrain réfugié à St Georges, ancien employé de la mairie de Sierck et ami de Marcel Marx, Jules et Edwige Marx se réfugient chez Marie Chagnon du 15 janvier 1944 au 10 septembre 1944. Leur fils Marcel se fait faire une fausse carte d’identité du même nom, Marcel Chabot. Il travaille dans des fermes de Tercé, notamment chez la famille Lejeune à la Roctière. Il devient officiellement le fiancé de Madeleine Chagnon. Aux yeux des habitants de la commune, Jules et Edwige Marx, connus uniquement sous l’alias « Chabot », sont simplement les parents du « petit ami » puis fiancé de Madeleine Chagnon, sans soupçonner que cette famille a échappé à la déportation et à une mort certaine dans un camp d’extermination comme le reste de leur famille.

Ils logent dans une petite pièce aménagée en face de la maison de Marie, de l’autre côté de la route départementale 18.

Après la guerre, Marie Chagnon devient cantinière de l’école de Tercé jusqu’en 1958, à l’âge de 75 ans. Retirée à St Julien l’Ars, elle décède le 24 octobre 1988 à presque 105 ans. Elle a permis à une famille juive d’échapper à la déportation. Son action est demeurée totalement inconnue (hors sa famille) et elle n’a reçu aucune distinction.

Christian RICHARD
Sources :

– Entretiens avec Madeleine Chagnon 2010 -2011
– photos et documents : archives famille Chagnon