Bombardement de Poitiers, 13 juin 1944 : Témoignage anonyme

Témoignage recueilli par Centre Presse et cité dans le supplément de 1994 consacré à la seconde guerre mondiale dans la Vienne.

Place d’Armes

« L’arrivée en 1943, à Poitiers, des rescapés des bombardements de Nantes, qui avaient été blessés, par train sanitaire, avait donné aux Poitevins qui se trouvaient impliqués dans leur accueil, un avant-goût de ce qui pourrait se passer à Poitiers. En juin, il y avait eu deux bombardements dans la Vienne : à Port-de-Piles et à Châtellerault« .

Dans la nuit du 12 au 13 juin, j’étais chez moi, nous déclarait cet éminent praticien poitevin, dont la cave était considérée comme un abri officiel, ce qui imposait l’obligation, qu’à tout moment, les portes de l’immeuble soient ouvertes.
« On a entendu les avions précurseurs lancer les premières fusées. Mais la sirène qui devait donner l’alerte ne sonnait pas. Le bombardement a commencé, cela a duré 20 à 25 minutes, puis s’est arrêté.
L’atmosphère était changée, il y avait dans l’air, poussière, suie, odeur de brûlé qui nous montait à la gorge. Partout, des lueurs d’incendie.

J’ai pris alors mon vélo pour rejoindre mon poste. J’ai alors découvert l’ampleur du désastre.
Une bombe était tombée Cité de la Traverse.
Place d’Armes, les abris avaient été détruits.
La rue Gambetta avait été très sérieusement touchée.
En poussant plus loin, l’Hôtel du palais, où se trouvait la Kommandantur, avait été anéanti tout comme les immeubles environnants de la rue Boncenne et, comme d’autres, rue du Moulin à Vent.
Miraculeusement, la clinique de la Providence avait été épargnée. Mais il n’y avait plus ni électricité, ni gaz, ni téléphone. Si le bloc opératoire était intact, il ne disposait plus de son scialytique [appareil donnant un éclairage sans ombres portées] qui fonctionnait sur accus… Des lampes à pétrole, des matadors, furent mis en place et il fallut opérer dans ces conditions alors que nous étions envahis par la fumée, la poussière, improvisant à tout moment, sans anesthésie, ni réanimation, sans antibiotique.

Le premier blessé était mort. Je dus, pour le second, dans ces conditions, lui couper la cuisse. Arrive ensuite un homme, dont la maison s’était effondrée sur lui, ensevelissant son épouse et sa fille. Il avait le bras écrasé et criait : « ne me couper pas le bras ! ». D’autres blessés sont arrivés par la suite.

Le jour est venu. On a pu voir les dégâts faits par ce bombardement. En face de nous, la colline des Hauts de Montmidi continuait à brûler. Dans le jardin de la Providence, il y avait la roue d’un wagon de marchandises, qui avait été projetée par la violence du bombardement, qui avait fait beaucoup de morts mais proportionnellement beaucoup moins de blessés. Rue Arthur Ranc, c’était un véritable charnier.

L’escadrille anglaise de bombardement avait traversé la moitié de la France sans être signalée. Un train, venant de La Rochelle, arrivait à Poitiers, déchargeant ses voyageurs, ceux-ci étant en possession d’un « ausweiss » pour qu’ils puissent regagner leur domicile. Ils sont partis par les escaliers de la gare, c’est là où les bombes tombaient, les tuant.
La gare fut entièrement détruite.

Les équipes de la Croix rouge, comme celle de la Défense Passive, furent d’un dévouement extraordinaire, tout comme ceux qui se trouvaient mobilisés.

Je me suis toujours posé la question, puisque d’était la gare qui était visée : pourquoi n’avoir pas bombardé dans l’axe sud/nord et l’avoir coupé ? »