Bombardement de Poitiers, 13 juin 1944 : Témoignage d’Y. Bourdonneau

Témoignage de Mr Bourdonneau dans le supplément de Centre Presse consacré à la 2ème guerre mondiale dans la Vienne en 1994

Gare 1

« Le bombardement qui reste dans les mémoires de ceux qui ont vécu cette nuit de cauchemar demeure pour toujours le pilonnage de la ville de Poitiers, le 13 juin, sept jours après le débarquement, vers minuit.
[Poitiers avait été aussi bombardée le 19 juin 1940 ]

Pendant un peu moins de 30 minutes interminables, un bon millier de bombes de toutes dimensions sont tombées, très éparpillées d’ailleurs.

La gare, où se trouvait dangereusement un train de munitions, était l’objectif principal de ce raid allié, qui toucha également l’ancien hôtel du Palais. A propos de cet établissement vaste et luxueux, la vérité n’a jamais été clairement établie. Il abritait des services divers des troupes d’occupation et y vivaient également des officiers. Un hôtel au centre d’une ville est difficile à repérer dans la nuit et une version, plausible a circulé : les pilotes avaient lancé leurs fusées éclairantes que le vent aurait déplacées d’où la chute de bombes sur le centre ville et sur l’hôtel.
Pour Poitiers, ce fut un cauchemar n’ayant rien de commun avec les deux précédents bombardements de la veille et de l’avant-veille.
Le quartier de la gare, le boulevard jusqu’à la porte de Paris (mais avec la Tour intacte) ont durement souffert, de même que le secteur de Maillochon et des Rocs.

En cette nuit du 13 juin, le ciel était dégagé, il faisait beau et, dès l’appel des sirènes, la ville était en état d’alerte, chacun s’efforçait de gagner l’abri lui étant impartie ou fuyant vers la campagne pour ceux qui habitaient dans les quartiers périphériques. Il faut dire que les précédentes alertes avaient un peu servi de … répétition générale.
Pendant ce même temps, la Défense Passive (dont je faisais partie), les pompiers, les gendarmes et la police étaient parés pour entrer en action. Il faut se souvenir que toutes les caves dites « solides » du centre ville étaient désignées comme abri et que, en plus, un peu partout où l’on pouvait creuser, des tranchées en zigzag avaient été faites et recouvertes pour servir d’abri. L’un des abris se situait Place d’Armes (Place Leclerc).
Les photos conservées de cette nuit tragique portent témoignage de l’ampleur des dégâts.

La gare de 1910 et le boulevard du Grand Cerf étaient entièrement rasés et le centre ville durement touché.

On a estimé à 480 le nombre des immeubles et maisons détruits en totalité et à 2270 le nombre de ceux ayant subi d’importants dégâts. Il faut se souvenir que le haut de la rue Boncenne, la rue Arthur Ranc et la pâté de maisons situé dans le périmètre des actuelles rues Gaston Hulin et Henri Pétonnet étaient gravement touchés. Les escaliers de la gare se retrouvaient écrasés sous les bombes mais la préfecture s’en sortait bien, de même que la Banque de France et surtout les monuments historiques comme le précieux Palais de Justice. Il faut également rappeler que les deux rues citées plus haut (Hulin et Pétonnet) ont été tracées sur les décombres du quartier. Une autre bombe, égarée, tomba rue Gambetta au carrefour de la rue Bourbeau.
L’Hôtel des Postes fut épargné mais par contre, le « Majestic », le cinéma attenant, avait disparu, ce qui permis la construction du prolongement du bâtiment postal.

Le bilan était donc terrible et impressionnant même si, comparé à celui d’autres villes, il était limité à un secteur, vulnérable entre tous, la gare, aggravé par la dérive des bombes égarées.
Les experts, qui par la suite firent des comparaisons, ont, à ce propos, estimé que les pilotes anglais étaient plus précis que les américains dans la lâcher des bombes.

Quant au nombre des victimes, il n’a jamais été établi avec précision, c’était impossible. On a parlé de dizaines de plusieurs dizaines de Poitevins mais il faut tenir compte de la précarité de l’époque, des clandestins, des gens de passage, de ceux qui ont péri carbonisés dans les maisons en flammes, ce qui doit augmenter considérablement le nombre de victimes civiles.
En ce qui concerne les occupants, ce fut le grand silence. Les sauveteurs français furent éconduits des abords de l’Hôtel du Palais en ruines.
Alors, quelques centaines de victimes, d’aucuns ont même parlé d’un millier ?

Dès le lendemain, la ville écrasée pansait ses blessures alors que de nombreux incendies faisaient rage autour de la gare, ponctués d’explosions les plus diverses. Sur l’emplacement des lignes de chemins de fer, alors que wagons et locomotives étaient enchevêtrés, il ne restait que de la ferraille tordue. Seul, l’ancien garage Lacombe, immense masse de béton avait partiellement résisté, pendant que les secteurs de Maillochon et des Rocs se trouvaient recouverts de gravats. Aux Rocs, on a même retrouvé un avant-train de locomotive, essieu et roues, c’est dire la puissance des déflagrations.
Et puis, comme lors de tout bombardement, il y eu les bombes égarées : rue Gambetta, vers la Pointe à Miteau, rue du Moulin à Vent (sur la maison d’un médecin), …
Il faut encore noter que plusieurs bombes non explosées furent découvertes quelques années plus tard. Sur le plateau des Rocs, un militaire poitevin à la retraite, M. Maurice Gatelier, fut appelé pour neutraliser, en 1949, une bombe américaine de 765 kilos, action qui fut rapportée dans les colonnes du « Libre Poitou », et que, plus tard, une autre bombe, anglaise celle-ci, fut découverte boulevard Solférino et désamorcée par les artificiers de La Rochelle.

Même si cet événement fut particulièrement douloureux, l’histoire l’a retenu comme étant une des étapes conduisant les peuples libres vers la victoire contre le nazisme.

A ce propos, et tant pis si cela risque de choquer, voici en conclusion une impression personnelle très amère.
Appartenant à la classe 46, je partis en janvier de cette même année effectuer mon service militaire à Fribourg en Allemagne. A Poitiers, on avait certes déblayé les rues mais demeurait le spectacle des maisons éventrées. A Fribourg, des petits wagonnets avaient été mis en place dans les rues. Toutes les personnes valides, vieillards, femmes et enfants s’employaient à trier et répertorier les pierres et tout ce qui pouvait être utile. Dix mois plus tard, quand je fus démobilisé, on commençait à rebâtir.
A Poitiers, après ces dix mois sans permission, nous avons retrouvé pratiquement le même spectacle de désolation.
La terrible nuit du 13 juin 1944 n’était pas effacée, elle ne le sera sans doute jamais ».

De ce témoignage comme du précédent (que vous pouvez consulter), il faut retenir le choc face aux destructions occasionnées par les bombes, ce qui tendrait à prouver que le bombardement fut beaucoup plus important que celui mené par l’aviation allemande en juin 1940.
Et si chacun des deux témoins ne peut donner un bilan des victimes, on peut estimer qu’il fut beaucoup plus important que celui de 1940. En effet, un bilan officiel fait état de 173 morts et 239 blessés pour le bombardement du 13 juin 1944 tandis que celui du 19 juin 1940 fit 131 victimes. Les chiffres sont assez proches mais à la vue des destructions nettement plus conséquentes en juin 1944, il est raisonnable de penser que le bilan fut loin d’être exhaustif.