Les deux dernières lettres de Pierre PESTUREAU

La petite fille de Pierre Pestureau, Charlotte Pestureau-Perelman, en mémoire de son grand-père, a contacté le VRID pour la mise en ligne de ces documents. Celle-ci a été effectuée par Sabine Renard-Darson, petite fille de Louis Renard. Tous deux, ainsi que huit autres membres du réseau ont été décapités le 3 décembre 1943 à Wolfenbüttel. Un article sur le réseau, un descriptif de la prison de Wolfenbüttel ainsi que la dernière lettre de Louis Renard sont consultables dans cette même rubrique.

L’enveloppe

BIOGRAPHIE DE PIERRE PESTUREAU rédigée par sa petite-fille Charlotte :

Pierre Eugène Pestureau est né le 1er mars 1903, à Saint Pierre d’Exideuil (dans la Vienne).
Il est le troisième enfant de Gabriel Pestureau (alors conseiller général) et d’Eugénie Thenault, qui sont propriétaires de nombreuses terres dans les alentours. Il a un grand frère, Léo, et une grande sœur, Marthe.
Il choisit de faire des études juridiques, tout comme son frère, et devient huissier de justice.
Le 21 avril 1927, il épouse Madeleine Bernard, une jeune civraisienne de 23 ans. Ils s’installent alors ensemble à Civray, dans la maison des Bernard, les parents de Madeleine, au 17 rue des Arts (plus tard rue Veuve Allemant-Guyonnet). Pierre y exerce son métier, travaillant dans l’étude de son beau père, Pierre Bernard, lui-même huissier de justice.
Pierre Pestureau et Madeleine ont une fille,Yvonne, née le 25 janvier 1929, et un fils, Gilbert, né le 8 février 1933. Ce sont des enfants vifs et de brillants élèves.

Pierre Pestureau, sous-officier d’artillerie de réserve, est un homme qui aime discuter, qui sait prendre position, et qui a de grandes idées sur l’homme et sur la liberté.
Quand la guerre fait ses ravages, et que certains décident de s’organiser, s’engager dans la Résistance est pour lui une évidence.
Il en est d’ailleurs de même pour son frère Léo, notaire, et sa femme Marguerite, qui, de leur côté, vont participer activement à un réseau de résistance à Saint Maur, en région parisienne.
En mai 1942, à Civray, Pierre Pestureau devient le responsable local d’une organisation de Résistance, en lien avec Maître Renard, de Poitiers. Il s’agit pour Louis Renard, « délégué de la France combattante », « d’organiser la délivrance du département ». Pierre Pestureau rassemble autour de lui Norbert Portejoie, Maurice Grillas, Muleton…
Le réseau Louis Renard va être démantelé par les allemands quelques mois plus tard, et tous ses membres seront arrêtés. Après un enfermement à la prison de la Pierre Levée à Poitiers, Pierre Pestureau (comme ses compagnons du réseau) est déporté en Allemagne en février 1943, où il va être condamné à mort, le 13 octobre 43, par un tribunal militaire et guillotiné le 3 décembre 1943, à la prison de Wolfenbüttel. Ce sont dix résistants français de la première heure qui sont ainsi exécutés ce jour-là. Ça n’est que le matin même qu’ils ont été informés du décret d’exécution de la condamnation à mort, décret d’exécution rendu le 16 novembre 1943 par un « tribunal du peuple nazi ». Le 3 décembre 1943, vers 18h30, les condamnés ont été amenés à l’échafaud. Ils ont alors commencé à chanter la Marseillaise.

Pierre Pestureau meurt à quarante ans. Madeleine, sa femme, a le même âge, Yvonne, sa fille, a 14 ans, et Gilbert, son fils, n’a que 10 ans…
À Civray, la rue où ils habitent devient la rue Pierre Pestureau.
Avant son exécution, il avait écrit deux lettres : une première lettre d’adieux à sa femme et à ses enfants, puis une deuxième à sa femme. Elles n’ont été retrouvées, en Allemagne, qu’une vingtaine d’années plus tard, et n’ont été remises à la famille qu’en 1964.

Madeleine Pestureau a toujours vécu avec la mémoire de son mari. Elle a élevé ses enfants et est devenue une grand-mère très attachante, jusqu’à sa mort, en 1990, à l’âge de 87 ans.
Yvonne est devenue « jardinière d’enfants » à Poitiers. Emportée par un cancer, elle est morte en 1975, à l’âge de 46 ans.
Gilbert est devenu professeur de lettres classiques. Il s’est marié, et a eu trois enfants. Lui et sa femme ont choisi d’enseigner outre mer. Après leur divorce, en 1975, il s’est remarié, puis a terminé sa carrière aux Etats-Unis, pour y enseigner la littérature française. Atteint par un cancer, il est revenu en France, pour y mourir, à l’âge de 67 ans.

Aujourd’hui, sont vivants les trois petits enfants de Pierre Pestureau, Véronique, Christophe et Charlotte nés en 1957, 1958 et 1963, et ses six arrière petits enfants, nés entre 1987 et 2004 : Sébastien, Benjamin, Robin, Moana, Gaspard et LéoPaul.

Reste aussi une réelle volonté d’entretenir sa mémoire, et d’essayer de transmettre toute la valeur d’une vie qui a contribué à sauver notre pays, et à nous permettre de grandir libres.

Charlotte Pestureau-Perelman

Les deux lettres sont rédigées sur du papier à entête de la prison, et ont été mises dans la même enveloppe… qui n’a pas été envoyée.
C’est ainsi qu’elles ont été retrouvées, une vingtaine d’années plus tard.

Nom PESTUREAU N°106 Wolfenbüttel, le 3 Décembre 1943

Ma femme chérie, mes chers enfants

C’est vers vous, vers mes parents et mes beaux parents que vont mes dernières pensées.
Depuis que j’ai quitté Poitiers nous avons tous bien souffert et je ne pensais pas que l’on eut attendu un an pour nous condamner à mort, ainsi que cela a été fait le 13 novembre dernier.
C’est aujourd’hui seulement, 3 décembre, que l’on m’informe que je dois être exécuté à 18h50. Je meurs en Français ou tout au moins je vais essayer de bien me comporter. J’ai communié ce matin et Dieu je pense me donnera la force de mourir dignement. Portejoie et Grillas vous donneront des détails. Mon avocat Me Kahn de Brunswik vous dira comment nous avons été jugés. Je vais demander à voir Portejoie ? je ne sais pas si je vais pouvoir lui parler. non (rajouté au dessus de « parler »).Voici mes dernières volontés et désirs : Reçois ma chère femme mes derniers baisers et pardonne moi tous les chagrins que j’ai pu te causer, fais dire des prières pour moi et nous nous retrouverons près de Dieu un jour. Que mon Yvonne chérie soit une bonne mère de famille et pense à moi dans les moments difficiles de sa vie. Quant à mon Gilbert chéri qu’il travaille bien et soit un bon Français, je le guiderai de là-haut, qu’il ne pense pas à la vengeance de ma mort, tout imméritée qu’elle soit ! Je voudrais qu’il ait la Chevrolière et la maison Jozeau si possible et qu’il prenne une situation près de vous. Que Belle maman me pardonne les ennuis que je lui ai causés ainsi que mon cher vieux Beau père.
J’espère que vous vivrez longtemps et que vous verrez la Victoire que je ne puis voir hélas !!
Adieu à tous ! Adieu !!
Je vais être guillotiné comme un simple assassin ! Votre mari et père qui vous aime Pierre (+ sa signature)

Rajouté à gauche dans la marge :
VIVE LA FRANCE !!
Fais mes adieux à ma vieille mère et à mon père, frère et sœur.

Cette deuxième lettre est elle aussi rédigée sur du papier à en-tête de la prison de Wolfenbüttel. Les deux lettres ont été retrouvées dans la même enveloppe.
Nom PESTUREAU N°106 Wolfenbüttel, le 3/12/43

Chère femme

Pour la 1ère fois depuis 1 an je puis presque manger à ma faim et fumer quelques cigarettes en pensant à vous et en priant Dieu de me permettre de mourir dignement.
Si nos Cousins Lebeau que j’oubliais dans ma première lettre mais qui sont et étaient aussi ainsi que la famille Berjonneau dans ma pensée ne prennent pas la propriété de Savigné, vendez la, sauf le Bois Montagne, cela paiera la dot à Yvonne et les études de Gilbert.
Vends aussi la voiture que j’ai achetée et qui est à Aurillac sous la garde du mari de la Receveuse des postes son nom m’échappe. Les papiers sont chez Goulat Notaire à Usson
Adieu on vient me chercher et te dis un dernier adieu ainsi qu’à mes chers petits.
Je suis vêtu seulement d’un pantalon percé d’un bourgeron et Adieu !!
Adieu
Pierre (+ sa signature)

on a même pas le temps de mourir

Article mis en ligne par Sabine Renard-Darson