La dernière lettre du condamné

La lettre d’adieux à sa famille rédigée par un condamné à mort n’a pu être lue, par certains de ses destinataires, qu’après 55 ans d’attente. Infliger une torture inutile à une famille en la privant d’une lettre d’amour est un des sévices à rajouter au barbarisme des nazis ! Rien dans cette lettre ne justifie une censure : elle est entièrement innofensive envers le régime d’Hitler !

En-tête du papier à lettre réglementaire

55 : c’est le nombre d’années qu’une lettre a mis pour être acheminée de Wolfenbüttel (Allemagne ) à Poitiers.

Des 29 résistants du réseau de Louis Renard arrêtés en 1942, 10 furent condamnés à mort , le 12 octobre 1943, par un jugement du « Tribunal du Peuple », dont son fondateur.

Louis Renard, avoué à Poitiers, avait l’habitude de beaucoup écrire. Le 31 août 1940, il écrivait au Général de Gaulle pour se mettre à sa disposition. Puis il crée une feuille ronéotypée « Le Libre Poitou » dont le premier numéro est daté du 11 novembre 1940 . Sans doute, a-t-il tenu un journal pendant son incarcération. Un témoignage de Henri Auroux qui partageait sa cellule à Hinzert, rapporte qu’il avait commencé à rédiger un récit sur sa captivité. Bien entendu le régime Hitlérien y était durement mais justement fustigé. Ce cahier pouvait être lu par les gardiens. Il en assumait les conséquences « Eh bien soit, répondit- il à ses compagnons qui le mettaient en garde, je serai fusillé ; mais, du moins, j’aurai dit ce que je pense et il n’y aura que cela qui compte. »

Toutefois les épouvantables conditions sanitaires de son emprisonnement aggravèrent considérablement les séquelles de ses blessures dues à la 1ere guerre mondiale, entre autres à Verdun (perforation du poumon, perte de l’œil droit ) . Les menottes lui avaient provoqué une grave infection au niveau des poignets ; il a donc certainement eu beaucoup de difficultés à écrire.

Une des particularités du régime Nacht und Nebel ( N.N. ) était de faire perdre définitivement la trace des prisonniers ; un ordre secret d’ Hitler, en date du 7 décembre 1941, imposait que leur condamnation et leur mort devaient échapper à toutes recherches.

Tout a été fait, suite à leur arrestation , lors de leurs séjours successifs dans plusieurs prisons ou camps, de Poitiers à Wolfenbüttel ( Allemagne ), pour qu’ils disparaissent aux yeux de leurs proches et leurs concitoyens, comme s’ ils devaient se volatiliser dans la nuit et le brouillard.

Le 3 décembre 1943, entre 18 heures 34 et 18 heures 52, en chantant « La Marseillaise », 10 résistants de 20 à 69 ans offrirent courageusement leur cou au couperet de la guillotine allemande.

Chacun d’eux avait écrit une dernière lettre. Aucune de leur famille ne l’a reçue. Aucune ne devait la recevoir, le décret Keitel de décembre 1941 l’avait décidé.

20 ans plus tard, en 1963, en RDA, huit de ces lettres refirent surface.

Le 25 septembre 1964, une cérémonie émouvante eut lieu à l’occasion de la remise de ces lettres aux familles.

Deux familles se sentirent douloureusement oubliées dont celle de Louis Renard ; sa mère, qui avait vu disparaître ses 2 fils pour la Patrie, le plus jeune en 1918 à Verdun, l’aîné en 1943, était décédée en 1948 sans avoir pu lire les mots d’amour qui lui avait été dédiés ; sa sœur, restée enfant unique à cause des deux guerres était, elle aussi, décédée ; sa femme, ses 6 enfants ainsi que tous ses proches ne désespéraient pas car ils savaient, en leur for intérieur, qu’il ne pouvait être parti sans leur laisser un dernier écrit.

En juillet 1947, son corps et ceux de ses compagnons sont ramenés à Poitiers et inhumés au cimetière de Chilvert où fut édifié un monument à la Gloire du sacrifice de ces martyrs.

En 1995, 42 années plus tard, dans les archives de Berlin, se retrouve un dossier : « l’Affaire Renard » ; de celui-ci, émerge la lettre tant attendue.

Deux questions se posent aussitôt : Pourquoi cette lettre est-elle restée enfouie ? Pourquoi ses destinataires ne l’ont toujours pas reçue ?

Plusieurs hypothèses se présentent :

Les 8 lettres, retrouvées en 1963, sont rédigées sur un papier à lettre de la prison ; l’en-tête de ce papier est rédigée en français ; il est précisé : « Écrivez seulement sur les lignes ! » ; la longueur du texte est limitée à un recto verso. (cf. document joint : en-tête de la dernière lettre de Pierre Pestureau)

Puis suivent quelques consignes, dont la dernière « Les lettres trop mal écrites ne seront pas expédiées . ».

Celle de Louis Renard est rédigée sur du papier à lettre ordinaire. Pourquoi ? Comment s’est-il procuré ce papier ?

Sa longueur est bien supérieure aux autres : 6 pages.

Dans le dossier « Affaire Renard » se trouve la traduction en allemand des autres lettres et seulement celle du début du manuscrit de Louis Renard ; l’écriture est très difficile à déchiffrer : la main de Louis Renard est enflammée, il a une vision réduite à cause d’une infection de son orbite énucléée ; le traducteur arrête son travail juste avant que ne soit mentionné « de Gaulle ».

Tout laisse à penser que cette lettre intrigue et n’inspire pas confiance, d’où sa rétention.

Ni sa mère, ni sa femme, ni l’un de ses fils, ni sa sœur, tous décédés ne l’auront jamais lue. Et pourtant, quel soulagement pour leur blessure, que de réconfort ils en auraient tirés ! Ses derniers souhaits, n’auront bien sûr pas pu être respectés.

Une autre question s’impose : pourquoi, seule la photocopie de la lettre est expédiée à la famille en 1996 ? 53 ans après sa rédaction, ses proches découvrent le chaleureux contenu de sa lettre, mais sur le froid support d’une simple photocopie.

L’original est conservé aux Archives Fédérales à Postdam. Le Ministre de la Justice de Basse-Saxe, Madame Alm-Merk , est contacté afin que soit enfin remis le manuscrit à ses destinataires.

Une longue correspondance administrative débute entre les enfants de Louis Renard et l’Allemagne afin qu’ils puissent enfin tenir entre leurs mains la lettre d’adieu de leur père ; l’Association Nationale des Médaillés de la Résistance (section de la Vienne) et Monsieur Jean Luc Bellanger ont activement participé à ces démarches.

Enfin, en avril 1998, une lettre du Bundesarchiv de Berlin informe le président départemental des Médaillés de la Résistance Française, M. Marcel Brunier, que l’expédition de l’original sera faite si les enfants authentifient l’écriture et le texte de la photocopie.

Au cours de l’été , l’original du dernier écrit de Louis Renard, sa lettre d’adieu, est enfin arrivé dans sa famille : avec presque 55 ans de retard ! Une photocopie est restée dans les dossiers de Berlin.

En voici quelques extraits :

Wolfenbüttel- Allemagne 3 Décembre 1943

Mes amours, Maman chérie

Je vous demande d’avoir du courage, beaucoup de courage, encore plus, comme j’en ai moi-même. C’est ma dernière lettre et je n’ai que peu de temps devant moi.

Je pardonne du fond du cœur à ceux par la faute de qui je suis ici, ils ont une lourde responsabilité, leur conscience les jugera. Pour moi, je veux que vous soyez fiers de moi. J’ai fait tout mon devoir, comme à l’autre guerre, comme un Renard, je n’ai rien à me reprocher dans cette affaire, je n’ai dénoncé personne, au contraire, mon honneur d’officier est intact. Défendez-le si jamais il était attaqué. …/…(suivent des mots d’amour, des recommandations, pour chacun des membres de sa famille ) …/…

S’adressant à sa femme : …/… Je te laisse dans une situation pécuniaire…..tu auras droit à une retraite…c’était une promesse solennelle du Général de Gaulle, pour toi et les enfants à élever….

Mes enfants adorés vous avez été ma joie, mon bonheur, ma vie. C’est à la pensée de ne plus vous revoir que mon cœur est si triste…..

Maman adorée, il n’était pas assez de perdre un fils à la première guerre, il te faut perdre l’autre à celle-ci………

Sachez aussi que je meurs en chrétien. Depuis un mois j’ai communié. Ce matin encore et j’ai trouvé là une très grande force. Faites dire des messes pour le repos de mon âme mais j’ai grande confiance dans la miséricorde divine.

Je désire que mon corps soit ramené à Poitiers. Il aura la tête tranchée mais que l’inscription indique la raison. Ce sera plus vite fait après tout que la fusillade. La guillotine va vite.

Courage, courage, courage Tous, mes amours la vie est ainsi faite, vous passez des heures cruelles je le sais, elles le seront encore pendant quelque temps. Germaine jamais ne se consolera, mais le temps adoucira sa peine et elle trouvera la consolation dans l’amour de ses enfants.

Je la supplie de se montrer digne femme d’officier français et de surmonter sa douleur.

Et puis j’ai la consolation de savoir que la France sera victorieuse. Je ne jouirai pas de la victoire, voilà tout, mais j’y aurai participé par mon sacrifice. Je l’offre à Dieu pour la France et pour vous mes amours, maman chérie, pour que vous soyez heureux dans l’avenir.

Pour moi dans quelques minutes ce sera fini, je comparaîtrai là-haut, que Dieu me fasse miséricorde.

Adieu-adieu-adieu

Louis Renard

La bicyclette d’Henri est à Ligugé à l’abbaye. Mon auto doit être rue Gambetta.

Texte rédigé par Sabine Renard-Darson, petite-fille de Louis Renard