Georges Fouret ou la mécanique de répression contre des communistes

Cet article a été rédigé en partie par Camille Monceau, fille de Georges Fouret dont elle a conservé les courriers. Ses souvenirs donnent à l’ensemble valeur de témoignage.

Georges Fouret à Auschwitz

Georges Fouret est né en 1895 à Saint-Clair (ex-canton de Moncontour). Il a 19 ans lorsqu’il est appelé sous les drapeaux le 1er décembre 1914. En 1916, blessé à Verdun, il revient au pays avec un taux d’invalidité de 45% (main gauche mutilée). Il se marie et le couple a un enfant l’année suivante. Bénéficiant d’abord en tant qu’invalide d’un emploi réservé de facteur, il reprend, après la mort accidentelle de son père, la ferme familiale avec l’aide de sa mère et sa femme. Membre actif de la cellule communiste créée à Saint-Clair, il est élu maire en 1929. Réélu en 1935, il ne brigue pas le poste de premier magistrat, vraisemblablement pour des raisons familiales. A la veille de la guerre, il a donc 44 ans, deux filles et il occupe seulement un poste de conseiller municipal de sa commune, car candidat malheureux du Parti communiste à l’élection législative partielle de la circonscription de Loudun du 11 juin 1939 (1).

Le 23 août 1939, le pacte de non-agression germano-soviétique est signé à Moscou par Von Ribbentrop et Molotov.

Le 26 août, la presse communiste est interdite en France.

Le 26 septembre, le Parti communiste français est dissous.

Le 2 février 1940, le préfet de la Vienne Henri Moulonguet écrit au sous-préfet de Châtellerault Robert Duthuzo au sujet du conseiller municipal Georges Fouret et de trois conseillers municipaux de Port-de-Piles « étant de nuance politique communiste ». En application de la loi du 20 janvier 1940, il demande au sous-préfet de lui « adresser (…) toutes propositions utiles accompagnées des documents que vous aurez pu recueillir en vue de faire constater leur déchéance des mandats qu’ils détiennent, à moins qu’ils n’aient, soit par une démission, soit par une déclaration rendues publiques à la date du 26 octobre 1939, répudié catégoriquement toute adhésion au parti communiste et tout participation aux activités interdites par le Décret du 26 septembre 1939 ».

Trois jours plus tard, le sous-préfet s’adresse ainsi au maire (2) de Saint-Clair Lowinski Gaucher : « J’ai l’honneur de vous prier de me faire connaître d’urgence, si vous avez été saisi par M. Georges FOURET, Conseiller municipal de votre commune, de lettre par laquelle il donnait sa démission du Parti Communiste. Vous voudrez bien m’indiquer également, si par une déclaration publique, avant le 26 octobre1939, ce Conseiller Municipal a répudié catégoriquement toute adhésion au Parti Communiste ». Sans aucune formule de politesse pour clore le courrier.

Le maire lui répond aussitôt : « J’ai l’honneur de vous informer qu’à la date que vous mentionnez M. Georges FOURET Conseiller Municipal n’avait aucunement renié le parti communiste. Il m’a avisé ces jours-ci qu’en raison de ses convictions et par solidarité avec les élus déchus de son parti, il estimait que ses fonctions de Conseiller Municipal n’avaient plus aucun sens et qu’il n’assisterait désormais à aucune des séances du Conseil. » Il assure le sous-préfet de sa parfaite considération.

Dès le lendemain, le sous-préfet confirme au préfet « l’adhésion aux idées communistes de M. Fourré (sic).» (3)

Deux semaines plus tard, le 22 février, le président du Conseil de préfecture interdépartemental (4) H. Girault arrête : « Est constatée la déchéance de M. Georges FOURRE (sic) de son mandat de Conseiller Municipal de la commune de Saint-Clair (Vienne). » (5)

Dix jours plus tard, le 4 mars, c’est Gaston Beaudeau, Inspecteur principal de Police Spéciale en résidence à Châtellerault qui se transporte à Saint-Clair pour notifier à « M. Gaucher Lowinski adjt Maire de la Commune de Saint-Clair » la déchéance du mandat de conseiller municipal de Georges Fouret. (5)

A partir du 21 juin 1940, les Allemands s’installent dans le Loudunais.

Un an plus tard, le 22 juin 1941, c’est l’opération Barbarossa : l’Allemagne envahit l’URSS. Le pacte germano-soviétique est rompu.

Le lendemain 23 juin, une trentaine de militantes et militants communistes sont arrêtés dans la Vienne (6), dont la moitié à Châtellerault et plusieurs dans le Loudunais. Henriette Fouret, épouse de Georges, témoigne le 4 avril 1950 dans le cadre de l’instruction du dossier de justice des SS du KdS (7) de Poitiers (8) : « Mon mari Fouret Georges a été arrêté par les Allemands en juin 1941. Je ne connais pas et je n’ai jamais su quels étaient les deux gendarmes ou policiers allemands qui sont venus l’arrêter. On m’a dit depuis que la voiture qui les avait amenés venait de Châtellerault mais je n’en ai aucune certitude. Mon mari a été appréhendé le même jour que Melle Massé Jeanne, institutrice à St-Jean-de-Sauves. Ils ont été conduits à Loudun et à Poitiers ».

Camille, leur fille, trois ans à l’époque, se souvient des circonstances telles que racontées par sa mère : « Deux Allemands militaires SS ou policiers sont venus arrêter mon père qui était parti travailler dans ses vignes ; une cousine, présente chez nous à ce moment-là, est allée le chercher ».

Jeanne Massé avait déjà témoigné le 25 avril 1945 dans le cadre de l’enquête sur la déportation de Georges Fouret : « Effectivement, Mr FOURET (Georges) de St-Clair (Vienne), a été déporté par les Allemands, en même temps que moi, le 23 juin 1941 ». (9)

Le registre d’écrou de la maison d’arrêt de Loudun (10) atteste de son passage : « Ecroué comme passager par ordre de l’autorité allemande ». Il est vêtu d’un pantalon et d’une veste noirs. Il est transféré à Poitiers par la Feldgendarmerie dès le lendemain 24 juin. Il retrouve au camp de la Chauvinerie ses camarades militants avec lesquels il s’organise. Puis, « le 10 juillet au soir en gare de Tours. Nous sommes partis de Poitiers ce soir à 6 heures et nous nous dirigeons sur Compiègne paraît-il » (11). Un autre message adressé à sa femme, griffonné au crayon de papier et sans doute jeté par la fenêtre du train : « Samedi 8 heures matin (12) … Je suis toujours dans le train pour Amiens, Arras ou Dunkerque … J’ai passé à Paris mais il faisait nuit ; j’ai rien vu » (11). De Compiègne, il écrit régulièrement et parfois clandestinement à Saint-Clair. Il suit à distance la marche de la ferme, réclame des colis, rassure et encourage sa femme, met ses camarades en garde tout en confirmant ses convictions politiques.

Il reste un an à Compiègne. Extraits de son dernier message : « Le 6 juillet 1942. Nous sommes embarqués ce matin en gare de Compiègne à 8 h. Wagons bestiaux bien entendu … Je vous écris ces lignes dans le wagon et j’espère la jeter en route. Peut-être quelqu’un sera assez gentil pour la mettre à la poste … Direction je l’ignore mais probablement l’Allemagne … Les Allemands nous disent que nous travaillerons et serons payés » (11). En fait, Georges Fouret fait partie du convoi dit des 45 000 dans lequel 1 000 otages sont déportés vers Auschwitz (13).

La famille reste ensuite sans nouvelles jusqu’en … 1946. Henriette Fouret apprend qu’un M. Louis Cerceau (14), résidant à Domine, commune de Naintré est de retour d’Auschwitz. Un ami châtelleraudais, M. Fernand Redonnet, à la demande d’Henriette, rencontre Louis Cerceau rentré du camp en très mauvaise santé et dans l’incapacité de se déplacer. Fernand écrit le 31 mars 1946 : « (Louis) m’a confié la lourde tâche en ce qui concerne ce pauvre Georges. C’est une grande douleur pour moi de venir vous apprendre son décès … Il serait décédé par suite de maladie à la fin de février ou au début de mars 1943, il ne se souvient plus au juste » (11). Ce n’est que lors de l’hiver 1946-1947 qu’Henriette et Camille peuvent se faire conduire par des cousins chez Louis Cerceau. Une rencontre gravée à jamais dans la mémoire de Camille.

Le 2 janvier 1947, le ministère des Anciens Combattants et Victimes de guerre fixe la date du décès de Georges Fouret à « novembre 1942 ». La transcription en est faite sur les registres d’état-civil de Saint-Clair le 20 janvier 1947.

Plus tard, sur sa demande, Camille reçoit des archives du musée d’Auschwitz une copie de l’acte de décès de son père daté du 4 septembre 1942 : Georges Fouret est mort le 25 août 1942. (15)
Cruel constat : Le 16 décembre 1944, le préfet Trémeaud avait pris un arrêté : « M. Georges Fouret est réintégré dans ses fonctions de Conseiller Municipal de la commune de Saint-Clair » (16).

(1) Le député élu est Maurice Aguillon. Il rejoint le réseau Renard, est arrêté en septembre 1942. Il disparaît en camp de concentration (JH Calmon, La chute du réseau Renard, Poitiers 1942, Geste Editions 2014).
(2) Ce n’est pas le lieu pour développer cette curiosité mais il y a confusion entre le maire élu Roger Mousset qui a quitté la commune et son adjoint Lowinski Gaucher à qui il a délégué ses fonctions sans en informer la préfecture. La situation sera régularisée en septembre 1942. (source : ADV 3 M 246).
(3) Source de toutes les citations précédentes : ADV 1668 W 6.
(4) Conseil de préfecture interdépartemental : Vienne, Charente, Indre-et-Loire, Deux-Sèvres.
(5) Source : ADV 3 M 246.
(6) Source : ADV 76 W 173
(7) KdS : Kommando der SiPO und des SD. SiPO (Sicherheit Polizei) : Police de sécurité, SD (Sicherheitsdienst) : Police de sécurité du parti nazi.
(8) Source : Archives de la Justice Militaire, Le Blanc, TMP de Bordeaux, Dossier Herold et autres, KdS de Poitiers.
(9) Source : id.
(10) Source : ADV 1183W1
(11) Documents personnels de Camille Monceau née Fouret.
(12) Il y a sans doute une légère confusion sur les dates. Le lendemain samedi aurait dû être le 11 juillet. Or, le 11 juillet 1941 est un vendredi.
(13) Claudine CARDON-HAMET, Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », FMD-Graphein, 2000.
(14) Louis Cerceau, qui faisait partie du même convoi des 45000, est rentré le 22 mai 1945.
(15) La même incertitude quant à la date du décès se retrouve pour Maurice Aguillon ; et bien d’autres certainement.
(16) Source : ADV 3 M 246.

Conseils de lecture :
– Jacques ALBERT et Jacques PIRONDEAU, De ténébreuses affaires dans le Loudunais, Saint-Clair, juillet 1943, Cédalion, 2017.
– Marie-Claude ALBERT, Châtellerault sous l’Occupation, Geste Editions, 2005.
– Jean-Henri CALMON, La chute du réseau Renard, Poitiers 1942, Geste Editions, 2014.
– FNDIRP, La répression dans la Vienne, 2004.
– AFMD-DT 86, ADIRP 86, Mémoires de Résistants de la Vienne, Geste, 2015.

Article rédigé en janvier 2018, par
Camille Monceau née Fouret
Jacques Albert

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