Collaborations et collaborateurs dans la Vienne

Un historien n’est ni laudateur, ni partisan, ni procureur. L’ouverture des archives et le temps qui s’écoule 70 ans après la libération, permettent aujourd’hui de rapporter des faits qui n’avaient pas été évoqués au nom de l’objectivité, de la prudence ou de la pusillanimité. Jean-Marie Augustin les a abordés dans une méthodologie rigoureuse louée par Jean-Henri Calmon, historien, vice-président de l’institut Jacques Cartier où se tenait la conférence le 8 septembre 2014.

Brutalité de la milice

Le traité d’armistice signé à Montoire énonce la collaboration administrative de « l’état français » qui avait remplacé la République française. Cette collaboration d’état, organisée par le régime de Vichy, est donc un fait avéré auquel sont contraints de se plier les fonctionnaires « obligés d’obéissance ». Ils doivent donc pour la plupart s’accommoder de ces nouvelles directives qu’ils soient employés de préfecture ou soignants des hôpitaux. Il faut avoir vécu ces contrôles continus, les intimidations, voire les menaces pour mesurer l’insécurité et la crainte dans lesquelles vivent les Français à cette époque. André Halimi dans son livre « La délation sous l’occupation » souligne que des lettres de dénonciations sont parvenues par millions dans les commissariats, les préfectures ou les kommandanturs. L’ensemble de la population tente de s’adapter en prenant soin de ne pas prendre parti. Cependant certains ont choisi leur camp. Les « Maréchalistes », nombreux, évoquant le comportement de Pétain pendant la première guerre mondiale lui savent gré d’avoir signé cet armistice et ont confiance en sa capacité à négocier avec l’occupant nazi pour atténuer les contraintes. in p 191 quatre députés de la Vienne Pierre Colomb, Luc Lévesque, Jacques Masteau et Aimé Tranchant et les sénateurs Adrien André, Victor Boret, et Georges Maurice accordent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Peut-on pour autant les taxer de « collabos », comme on disait à cette époque ? Devant un sujet aussi délicat les historiens préfèrent nuancer ces sensibilités différentes entre « collaborateurs » et « collaborationnistes », « maréchalistes » et « pétainistes » ou encore « Vichystes ». A Poitiers noblesse et bourgeoisie sont maréchalistes in p192 Parmi les membres du conseil municipal, nommés le 13 septembre 1941 il y a quatre avocats dont Jacques Masteau le maire et deux notaires. Le bâtonnier Urbain de Leffe et Me Henri Gallet, avoué, sont membres de l’Association des familles françaises patronnée par le maréchal Pétain.
Autres fervents admirateurs de Pétain, le Dr Maisondieu président de la légion française des combattants dans la Vienne, et le Dr Jean-Gabriel Chagnaud directeur du commissariat général à l’Education et aux Sports. Certes ces associations sont moins haineuses et propagandistes que le PPF (Parti Populaire Français) animé notamment par le docteur Guérin à Poitiers ou la LVF (Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme) dont Marcel Brion est secrétaire adjoint à Châtellerault. in p 221/222 «Ces formations collaborationnistes interviennent fréquemment dans la vie politique locale. Le docteur Guérin soutient l’action menée par Louis Bourgain à la préfecture de région en faveur de la Révolution nationale ainsi que la conduite de Jacques Masteau à Poitiers . »
A ce propos l’attitude des deux préfets de la Vienne est très différente face à « cette obligation d’obéissance ». Alors que Bourgain applique les directives de Vichy et va même au-devant, au nom de l’ordre nouveau de Vichy dont il est un fervent partisan, Holveck préfet délégué les applique avec plus de mesure et moins d’empressement et sera en définitive arrêté le 29 septembre 1943 et remplacé par le préfet René Darpheuille. On se rend compte ainsi de la difficulté de juger l’implication des responsables politiques en fonction de leur « intégrité ». Mais cette intégrité ne doit masquer ni courage, ni lâcheté, ni adhésion. Jean Moulin, préfet, a été « intègre » vis-à-vis de ses propres valeurs humanistes. Il refusera de se plier aux injonctions, entrera en résistance et sera torturé à mort. Maurice Papon, sous-préfet, secrétaire général en 1942 de la préfecture de la Gironde, sera « intègre » vis-à-vis de sa fonction, il sera un fonctionnaire zélé, apprécié par Vichy et sera, à la libération, appelé à exercer ses compétences. Décoré de la Légion d’honneur, ministre du budget, puis préfet de police de la région parisienne de 1958 à 1967, sous la République retrouvée, il faudra de longues années pour revenir sur ses responsabilités pendant l’occupation.
Toutes les couches sociales ont collaboré, tel ce crémier qui signe anonymement « un bon Français » pour dénoncer un voisin suspect à ses yeux.
Ces dénonciations sont dictées par des motivations multiples : jalousie, dépit, vengeance, conviction vichyste ou vénalité. in p 62 « Pierre Seyvaud radioélectricien à Châtellerault membre de l’association des amis de la LVF et milicien reconnaît des dénonciations et des arrestations contre argent. Il donne même des chiffres 1000 francs par mois de fixe, plus 500 francs par fusillé et 400 francs par arrestation. »
La collaboration économique ne se retrouve pas uniquement chez des artisans ou commerçants mais également dans les milieux agricoles. Certains paysans dissimulent produits agricoles et bétail pour en tirer un meilleur profit alors que d’autres tentent de soustraire ces mêmes produits pour alimenter les maquis au mépris d’éventuelles dénonciations et au péril de leur vie.
In p 91 « Un ouvrier agricole de Coussay commence à faire du marché noir avec les Français, mais il estime qu’il ne gagne pas assez. Il se met donc en relation avec les occupants auxquels il procure tout le ravitaillement dont ils ont besoin à des prix exorbitants. Il dispose pour cela d’une carte d’acheteur allemand, utilise des rabatteurs et possède chez lui un abattoir clandestin. »
La répression dans la Vienne des « menées antinationales » communistes, gaullistes, résistants qualifiés de terroristes a été efficace avec la création d’un service de police redoutable la SAP (Service des affaires politiques) voulu par Bousquet. Une super SAP occupe les locaux de l’intendance de la police 1 bis rue de la Tranchée à Poitiers. Bernard Rousselet en est le commissaire. Dans son équipe deux personnages Blétel et Savin se distinguent par la cruauté des tortures qu’ils infligent aux résistants dans les sous-sols de la prison de la Pierre levée. Le témoignage de Charles Garcia, dit « Bazin » délégué du comité central clandestin du parti communiste est accablant. in p 132 « Il est interrogé par les policiers de la SAP qui, après lui avoir donné des gifles et des coups de poing, le descendent au sous-sol. Là, il subit le supplice de la suspension par les poignets à la grille du cachot. Il y reste de quatre heures de l’après-midi jusqu’à dix heures du soir. Les bourreaux s’acharnent sur lui à coups de nerf de bœuf. Savin en particulier y met une telle ardeur qu’il transpire à grosses gouttes et doit de temps en temps passer sa « Marie-Antoinette » à un collègue. Comme la matraque ne suffit pas à faire parler le jeune communiste, « on lui fait passer du courant ». Les décharges le rendent sourd et lui donnent l’impression que son crâne est sur le point d’éclater. Le matraquage et la torture à l’électricité durent cinq jours. »
La milice est une véritable armée supplétive dotée d’armes automatiques par l’occupant et forte en France de 40 000 hommes. Dans la Vienne c’est Tribot-Laspierre qui est chargé du recrutement très difficile en son début. Ce n’est qu’en avril 1944 que Louis Aussenac prendra en main l’organisation de la milice implantée au 13 place d’Armes à Poitiers.
In p 158 « Louis Aussenac se considère comme le maître absolu du pouvoir dans la région. Pour la Vienne le chef régional désigne Marcel Bignaux. Le chef adjoint départemental est un banquier poitevin Marie-Joseph Berson dit Berson de Champoly qui arbore fièrement l’insigne de la milice. A Châtellerault le chef local de la milice est un représentant de commerce, Emile Viguier qui est aussi délégué de la LVF pour l’arrondissement. Son adjoint Charles Bernard contremaître à la manufacture d’armes y fait fabriquer cent cinquante insignes métalliques portant la gamma. »
Une école des francs-gardes a été créée à la caserne des dunes à Poitiers. Cette milice, comme on le voit très hiérarchisée, traque les résistants et guide l’armée allemande dans l’extermination des maquis.
In p 170 « C’est ainsi que la milice participe aux côtés des Allemands à l’attaque du maquis de St Sauvant. Une autre attaque est menée dans l’après-midi du 4 août 1944 contre le bourg du Vigeant. Après deux combats qui n’ont duré que quelques minutes, commence la chasse aux FFI. Les Allemands et leurs auxiliaires miliciens perquisitionnent les maisons à la recherche de maquisards cachés ou blessés. 23 maisons sont détruites et plus de 60 pillées. 22 habitants du bourg et 18 maquisards sont tués. Le massacre est imputé aux Allemands mais les miliciens se montrent tout aussi cruels. Une femme de 26 ans est violée par un franc-garde sous la menace d’un révolver. Un père et son fils sont fusillés après avoir été sauvagement mutilés par les miliciens. »

Des évidences s’imposent. Sans les dénonciations de ces nombreux Français, le concours zélé de la SAP, et l’engagement haineux de la milice, les Allemands auraient eu beaucoup plus de mal à arrêter les résistants.
En mars 1944, 300 000 Français acclament encore Pétain à Paris.
Après la libération, 220 000 Français ont obtenu leur carte de combattant volontaire de la résistance. Compte tenu des fusillés et morts au combat ou en déportation ou ceux qui par humilité ne se sont pas fait connaître, les historiens évaluent de façon très imprécise de 400 000 à 600 000 le nombre de Français qui ont eu le courage de s’opposer à l’Allemagne nazie et à Vichy. Soit 1 à 1,5% de la population .

 « La France qui résiste » du général de Gaulle, à des fins politiques, au nom de la réconciliation et de l’équité, a donc été un mythe qui a certainement eu pour effets de banaliser la collaboration et de prononcer, dès 1952, l’amnistie de tous les collaborateurs condamnés.

Rédigé par Louis-Charles Morillon

Sources principales :
Conférence de monsieur Jean-Marie Augustin .
Citations tirées (in) du livre : « Collaborations et épuration dans la Vienne 1940-1948 » de Jean-Marie Augustin.Geste éditions histoire.
« La répression dans la Vienne » de Louis-Charles Morillon éditée par l’ADIRP de la Vienne.
« La libération trahie » de Pierre Hervé éditions Bernard Grasset.