L’épuration en France

La libération entraîne liesse et défoulement. Dans une France désorganisée le traitement d’une nécessaire épuration devient extrêmement délicat…

8 sept. 1944

Après 4 années d’occupation pendant lesquelles la majorité des Français a connu le rationnement, le manque de liberté, les séparations pendant que la minorité résistante subissait l’oppression, la déportation, les tortures et les exécutions, la libération entraîne liesse et défoulement.
Les derniers mois d’occupation sont terriblement meurtriers pour les résistants. Dans un dernier sursaut, l’armée allemande et les Français qui la soutiennent et se sont engagés dans la police spéciale (SAP) ou la milice, traquent sans merci les résistants et les massacrent.

C’est dans ce climat, à la libération que le besoin d’épuration s’impose. Dans ce contexte dangereux de désorganisation certains voudraient attendre la mise en place de cours de justice élaborées par le gouvernement provisoire. Mais ce légalisme sur le moment n’est pas partagé par la société française. Trop de familles de résistants suppliciés attendent réparation. On constate ainsi que dans toute la France 9000 personnes auraient été exécutées sommairement et 20 000 femmes tondues. Avec le recul, les historiens expliquent ces exactions contre les femmes. Basse vengeance par dépit ou vengeance personnelle parfois, mais aussi besoin de châtier se référant à un rituel d’expiation. S’attaquer à leur corps, la chevelure, parce qu’elles ont collaboré par leur corps avec l’ennemi, cet ennemi qui a bousculé l’armée française et l’a humiliée provoquant ainsi un traumatisme collectif dans la population.

La première urgence pour le gouvernement est de canaliser cette violence collective dont il serait erroné de désigner la résistance pour seule responsable.
L’épuration va donc sortir de la rue pour entrer dans les tribunaux. Le général de Gaulle en instituant ces cours de justice va reprendre la main sur les maquis et les diverses associations de résistance. François de Menthon nouvellement nommé ministre de la justice explique clairement au cours d’une allocution le besoin d’épuration légale mais aussi le rassemblement de tous les Français en introduisant le mythe de « la France qui a résisté ». Cette stratégie a de multiples objectifs. A l’intérieur, réorganiser une république en ruines avec des cadres administratifs compétents et des entrepreneurs dynamiques quels qu’ils soient. A l’extérieur, l’ennemi occupant toujours l’Est de la France, montrer aux alliés la force de la France par son armée qui sera effectivement présente lors de la reddition de l’Allemagne le 8 mai 1945.

Il est certain que ce projet d’avenir avec tous les Français provoque d’emblée la méfiance des associations de résistance notamment communistes. C’est autour de cette épuration et de la reconstruction de la France que les tensions sont les plus vives. Jacques Duclos rappelle alors que l’épuration inscrite dans le programme du CNR et adoptée par toutes les sensibilités de la résistance est une condition incontournable de « la Renaissance française » « ….ceux qui ont collaboré ne peuvent être aux leviers de commande de l’avenir du pays. » Cependant les collaborateurs les plus voyants seront condamnés les autres seront amnistiés. « …à part une poignée de misérables qui seront jugés par la justice les Français dans leur ensemble sont de bonne foi… » explique le général de Gaulle.
Dans chaque département une cour de justice va juger les collaborateurs du lieu. L’ancien maire de Villeurbanne sera incarcéré à la prison de Montluc à Lyon. Le jugement de Paul Bohème en Alsace sera relayé par les actualités cinématographiques sous le titre « l’heure du châtiment ». «Cinq traîtres , assassins de Français et de patriotes alliés sont condamnés à mort ». Toutes les semaines « Le Libre Poitou » fait état de ces jugements et de ces exécutions. Mais le procès le plus exemplaire est celui du journaliste Robert Brasillach qui pose le vrai problème de la responsabilité opposant à l’époque Mauriac à Camus.
L’épuration, étalée dans le temps, montre l’inégalité des jugements. Si en 1945, les condamnations à mort sont prononcées, en 1949 le voile du pardon et de l’oubli prôné par Georges Pompidou alors chef de cabinet du général de Gaulle commue ces peines en réclusion. Tel sera le jugement de Bousquet en 1949 suivi d’une amnistie à partir des années 1950,1952. Sur 300 000 dossiers, 125 000 vont aboutir, les autres seront classés sans suite. Ce qui fait écrire à Pierre Hervé dans son livre « La libération trahie » Grasset p 78 « la libération fut marquée par l’échec des aspirations de l’ensemble de la résistance des provinces,des villes et des campagnes,des maquisards , des comités de libération … » . p 93 « Les patriotes qui ont mené pendant quatre années la guerre clandestine contre l’occupant ont l’impression d’avoir été volés.

Anne Simonin relate cependant que les associations de résistance elles-mêmes veulent sortir de cette justice mortifère. On crée alors la peine « d’indignité nationale » en privant les condamnés de leurs droits civiques selon le modèle de la Grèce antique, confisquant les biens ou interdisant l’accès à certaines professions voire l’interdiction de séjour, selon les degrés de la collaboration. Ces nouveaux critères proposent en fait les bases de la République. Comme le général de Gaulle ne veut pas remettre en cause L’État et ses fonctionnaires ce sont donc ceux qui ont signé l’armistice à savoir Pétain et Laval qui seront condamnés ce qui permet de continuer les lois de la République. Pétain est donc condamné à mort mais en raison de son âge avancé cette peine de mort est commuée en détention à perpétuité le 17 août 1945. Mais le fait de ne pas prendre en compte les décisions de déportation par les hauts fonctionnaires dans les condamnations du parquet, donc de l’État, supprime de facto la présence des victimes.
Serge Wolikow dans son livre « Les combats de la mémoire » édition le cherche midi p 63 rappelle la difficulté, dès 1946, des structurations de l’époque dues aux combats identitaires. « Dans un pays où les nouvelles élites politiques sont en grande partie issues de la Résistance, les divisions de celles-ci retentissent nécessairement sur les associations de déportés même si les équilibres de forces ne sont pas obligatoirement identiques ni même leurs assises sociales. Notons enfin que l’administration, à la différence des élites politiques, a connu un renouvellement bien plus limité, ce qui n’est pas sans provoquer une vive irritation des déportés qui ont souvent le sentiment que l’administration de l’État français, largement associée à leur répression, n’avait pas été vraiment épurée.

Il faudra attendre la présidence de Jacques Chirac reconnaissant la responsabilité de l’État français pour que ce choix de l’oubli et du pardon soit remis en cause et que les crimes de guerre, devenus imprescriptibles, fassent l’objet du devoir de mémoire.

Rédigé par louis-Charles Morillon

Sources :

Le film d’Emmanuel Hamon « Une épuration française » avec les réflexions notamment des historiens Robert O Parxton, Alain Bancaud, Alice Kaplan, Anne Simonin .

« La libération trahie » de Pierre Hervé éditions Grasset

« Les combats de la mémoire » de Serge Wolikow. éditions le cherche midi.

Les photos sont celles de certains articles publiés dans le « LIBRE POITOU » en septembre 44. La fréquence de ces articles dès les premiers mois indique l’importance de cette question aux yeux de l’opinion.