Témoignages de Monsieur et Madame Vogel-Mathias.

A Nancy, à Poitiers, dans le Poitou : des héros anonymes et discrets ont sauvé des enfants, des adultes, des persécutions nazies. 2 enfants juifs témoignent de nombreuses années plus tard.

Photo prise à la Sansonnerie en sept. 43. La grand-mère et la tante de Jacques dans leur refuge de Migné

Témoignage de Madame Ginette Vogel-Mathias, née Levy :

Juin 1940 : Jeune fille de 16 ans, j’habite Nancy. Connaissant le sort réservé aux juifs allemands depuis 1933, avènement du nazisme, nous sommes inquiets de ce qui nous attend.
Septembre-Octobre 1940 : Premier statut des Juifs, édicté par Vichy avec notamment interdiction de certaines professions – fonctionnaires, professeurs, numérus clausus aux universités…- Recensement, apposition sur les cartes d’identité de la mention « JUIF » à l’encre rouge. Plus tard, interdiction des postes de radio avec obligation de les remettre à la Police.
Mai 1942 : Port obligatoire de l’Etoile jaune avec mention « JUIF » sur tous les vêtements, dès l’âge de 6 ans, le cas de mes deux frères pour aller en classe. Je passe mon baccalauréat marquée de cet insigne. Nous avons des perquisitions des allemands dans l’appartement, inspectant les livres de la bibliothèque et les « étoiles » sur les vêtements. Au cours de l’une d’elles, je surveille de la fenêtre l’arrivée de mon père qui circule en vélo, sans l’étoile et lui fait signe de s’éloigner.
De nombreuses interdictions sont imposées, telles que : pas de fréquentation des lieux publics, faire ses courses entre 15h. et 16h. ne pas sortir après 18h. De telles vexations étaient encore plus insupportables pour des gens comme mon père, qui avait fait toute la guerre 14-18.

Mais nous avons eu le soutien moral de nombreux amis, et surtout de l’attitude courageuse des policiers de Nancy, qui ont prévenu les juifs étrangers de quitter leurs domiciles et de se cacher devant l’imminence d’une rafle prévue (juillet 1942).
Ce sont eux qui nous ont procuré des fausses-vraies cartes d’identité (sans le cachet juif), que nous avions cachées sous des lames du parquet.

Juillet 1943 : C’est grâce à ces cartes que nous avons pu quitter Nancy, devant l’imminence d’une arrestation de notre père, après avoir décousu toutes les étoiles jaunes, prendre le train, et, profitant de la suppression de la ligne de démarcation depuis novembre 42, trouver refuge dans le midi de la France, dans l’ « ancienne zone libre », où les conditions étaient meilleures.

Nous avons pu échapper aux rafles qui ont touché à Nancy 900 personnes dont le Grand-Rabbin et 300 enfants.

A la Libération : Nous revenons à Nancy et récupérons notre appartement, mais entièrement vidé de son contenu – mais nous sommes vivants –
Je retrouve une de mes meilleures amies de classe, rescapée de l’enfer d’Auschwitz.

Témoignage de Monsieur Jacques Vogel-Mathias :

Juin 1940 : Je sors de ma 2ème année de Sup. de Co. Paris, études terminées. Je fais partie du 2ème contingent de la classe 40 qui n’a pas eu le temps d’être appelé, mais la P.M.S. était dans les programmes de l’école.
Au point de vue professionnel, j’étais destiné à entrer dans l’entreprise familiale
Octobre 1940 : Statut des Juifs, affectation d’un commissaire-gérant dans l’Entreprise.
Janvier 1941 : A l’instigation de mes parents, je quitte Poitiers, passe la ligne de démarcation en zone non occupée pour Marseille, où fonctionnent encore Consulats Anglais et Américain, et où j’essaye de trouver le moyen de passer en Angleterre, ou à défaut, à tout autre endroit ou pouvoir être utile. Une demande de visa pour le Maroc est sans succès.
Le passage de la ligne de démarcation : A Châtellerault je prends place dans une ambulance transportant déjà plusieurs personnes. Couché sur un brancard, je suis supposé être envoyé au sanatorium d’Argenton-sur-Creuse ; papiers à l’appui, nous passons la ligne de démarcation à Pleumartin, poste frontière allemand, tout en règle et arrivons à La Roche-Posay où je quitte l’ambulance pour le car desservant Le Blanc et où je prends le train direction finale Marseille.
Je n’ai jamais rien su de cette organisation de passage de la ligne, de ses créateurs, ni si elle a perduré.

Avril 1941 : Mon contingent 40/2 est appelé aux chantiers de jeunesse, dans l’Estérel. Là, en tant que étudiant-diplômé et bien que juif, je suis appelé au stage des chefs d’équipe et occupe cette fonction jusqu’à la fin novembre. Toutefois, j’ai fait une demande pour « rempiler » en Algérie, mais cela m’est refusé, les juifs, entre temps n’étant plus admis aux chantiers.
Novembre 1941 à nov. 42 : Je trouve un emploi dans une entreprise à Agen.
Fin novembre 42 : L’entreprise en question étant à direction juive, elle doit cesser son activité et je suis licencié.
Mai 1942 : Après la réquisition de leur appartement et l’imposition de l’étoile jaune, mes parents et mon frère (16 ans) ont jugé qu’il ne fallait pas rester à Poitiers. Grâce à un ami, M. Dupuy, directeur des carrières Civet-Pommier de Chauvigny avec bureau à Poitiers, qui avait un laisser passer permanent pour passer la ligne, ils ont pu trouver des gens de bonne volonté, les Sarrazin de Jardres, ayant leur propriété à cheval sur les deux zones et qui les ont aidés à passer la ligne de démarcation, à pied, d’où ils sont allés à Montmorillon où ils ont passé quelques semaines à l’hôtel. C’est là que mon père a rencontré, par dans leur hasard, son ancien camarade de la guerre de 14, M. Péricard, qui, scandalisé par ce qui se passait, s’est mis à son entière disposition, leur a trouvé un logement à Lussac, les a recommandé au maire, M. de Labiche, et par la suite, a contribué à me trouver un emploi aux établissements Couturier.
Tout comme les gendarmes d’Usson du Poitou (cf. mai 1943), ceux de Montmorillon ont un comportement exemplaire et ont fermé les yeux sur l’arrivée de plus ou moins de familles juives : aucun contrôle, aucune liste.
Concernant mon état de réfractaire au STO, ce n’est qu’au bout de 3 ou 4 mois que mes parents ont reçu la visite des gendarmes venus leur demander pourquoi je n’étais pas en Allemagne. Ils ont répondu que je les avais bien quittés le 13 mars 42, jour du départ, et que, depuis, ils n’avaient plus de nouvelles de moi… déclaration enregistrée, et rien d’autre…
Je vais rejoindre mes parents, que je n’ai pas vus depuis près de 2 ans, à Lussac.
A Lussac, comme à Montmorillon, mairie et gendarmerie ne demandent rien aux nouveaux habitants, et de nombreux réfugiés juifs y sont installés sans n’être aucunement répertoriés.
Mars 1943 : Faisant parti du personnel Couturier et après une visite médicale rapide, je suis, comme les autres, appelé au STO en Allemagne. Je suis bien décidé à ne pas y aller, je ne me dérange pas, et reste planqué, sans sortir dans une chambre de l’Hôtel de la Gare à Lussac. Ceci en accord total avec mes parents. Ils ont assisté au départ du car transportant les requis à la gare de Limoges, si bien que les gens qui nous connaissaient étaient persuadés de m’y avoir vu. Je me trouvais dans une chambre arrière de l’hôtel où je suis resté, sans sortir, pendant 4 ou 5 semaines. Dans cette même chambre, m’avait précédé quelques temps auparavant un sous officier canadien québecois francophone rescapé du raid de débarquement sur Dieppe en août 1942, qui avait échappé à la capture et avait réussi, de relais en relais, à arriver jusque là avant de pouvoir finalement regagner l’Angleterre. Les patrons de l’Hôtel de la gare, M. et Mme Vayer, ont été des gens formidables, qui se sont mis totalement à la disposition de la Résistance, servant notamment de terrain de repli à un grand résistant poitevin, le commandant Chapron, qui faisait la liaison entre Lyon et la Vienne.
Pendant ce temps, mon père cherchait une autre solution pour moi et finalement la trouvait en la personne d’un frère de notre ancienne « bonne », M.Narcisse Delage, agriculteur à Villemblée (entre Bouresse et Gençay).
C’est donc ainsi que, un matin d’avril 43, je quittai Lussac en vélo pour Villemblée avec, entre autres bagages, le plus précieux d’entre eux, mon petit poste de radio qui ne me quittait pas, pour prendre la B.B.C. et qui fut chose particulièrement appréciée par mes hôtes qui ne possédaient pas la radio.
Mai 1943 : Madame Delage m’aménage une chambre en dehors de l’habitation principale, à côté des écuries et donnant directement sur des champs où, éventuellement, j’aurais pu m’échapper en cas d’alerte. Je partageais cette chambre avec le fils aîné de la maison, Jean Delage, 17 ans, étant moi-même considéré très rapidement comme un fils de la maison et participant très activement à tous les travaux de la ferme.
Pendant mes 15 mois à Villemblée, je ne sortais qu’une fois par mois pour aller chez le coiffeur, à Verrières, en vélo (une dizaine de kms). Ce coiffeur, M. Faure, ne m’a jamais posé la moindre question.
Les gendarmes d’Usson du Poitou faisaient des rondes de temps en temps, étaient au courant de la présence de réfractaires dans beaucoup d’endroits, mais faisaient comprendre qu’ils ne voulaient pas les voir.
Le chef de la Gendarmerie d’Usson était dans le maquis avec nous (La tour d’Auvergne-Goar)
Juin 1944 : Débarquement. Étant en relation avec la Résistance de Lussac, celle-ci m’invite à la rejoindre pour la constitution du Maquis Mazier, aux activités duquel je participe jusqu’à la Libération en septembre.
Engagé pour la durée de la guerre, intégré Sergent-Chef au 125°RI, puis en mars 45 à Saint-Maixent et de juillet à décembre 45 à l’EMIA de Coëtquidan.
Janvier 1946 : Démobilisé aspirant de réserve.

En bref, cette région Vienne-Sud, toujours restée sans occupation allemande et régie par un sous-préfet de Montmorillon quasi résistant, s’est révélée comme une sorte d’oasis pour les réfugiés et les habitants ont fait preuve, pour leur nombreuse majorité, d’une très grande solidarité.
Pour ma part, je peux dire que j’ai passé cette période de façon assez confortable, n’ayant même jamais connu l’Etoile, et ayant retrouvé mes parents et mon frère. Hélas, tout le reste de la famille a été pris dans la grande rafle de février 44, et personne n’est revenu. Ma grand-mère âgée de 79 ans, mes oncles et tantes, également âgés, avaient été chassés de leur logement et avaient trouvé un lieu d’accueil chez des amis tenant une maison genre colonie de vacances à Migné (la Sansonnerie).

Ils s’estimaient trop vieux pour partir à l’aventure, et où ? Mes oncles étaient aussi d’anciens combattants et s’estimaient ainsi comme protégés par l’Etat Français, de plus, à leur âge…
Enfin, la perspective d’une arrestation n’était pas considérée comme une condamnation à mort. Des camps de détention étaient connus, mais pas les chambres à gaz ou crématoires, qui n’ont été révélés qu’après février-mars 1945.
Et qui aurait pu penser, à l’époque, que des vieilles dames comme mes deux grand-mères, de 78 et 85 ans, seraient arrêtées par des autorités françaises pour être livrées aux allemands et à la Shoah. (Ma grand-mère maternelle et sa sœur habitaient Tours).
Ces évènements sont plus faciles à expliquer quand on connaît la suite…

C’est grâce à des relations familiales et amicales que M. et Mme Vogel se sont rencontrés à Paris.

Article rédigé et mis en ligne par Sabine Renard-Darson