René Blétel, membre de la SAP

La SAP ou Section des affaires politiques est une unité de police politique formée par Vichy ; une brigade par région (soit 18 en tout) est formée, avec une activité et un zèle variable. Celle de Poitiers est l’une des plus actives dans la répression avec un nombre très important d’arrestations. René Blétel est le plus détesté de tous les membres de la SAP de Poitiers.

Blétel René-Source Bouysse Grégory

            René Blétel est né le 14 juillet 1906 à Lambézellec (Finistère), fils d’Émile et Delphine Pierson, marié à Alice Ribis, deux enfants.

            De 1919 à 1923, il est placé dans une école militaire préparatoire aux Andelys (Eure), puis il s’engage dans la marine. Durant la guerre du Maroc, il sert successivement sur le torpilleur « Bambara » et le croiseur « Metz ». En novembre 1926, il est affecté au centre d’instruction de Hourtin (Gironde). Le 1er janvier 1930, il devient greffier au tribunal maritime d’escadre à Toulon,  jusqu’en 1935. De 1932 à 1937, il est président de l’Association Nationale des Personnels Militaires Non Officiers de la Marine en retraite et leurs veuves, de Rochefort (Charente-Maritime). En 1938-1939, il est nommé greffier à Bizerte (Tunisie) et affecté au Deuxième bureau du service de surveillance du personnel civil et militaire du ministère de la justice. En 1938, il passe avec succès le concours d’entrée dans la police. De mai 1939 à juillet 1940, il est détaché comme inspecteur au Ministère de la marine à Paris, et chargé d’en dépister tous les éléments douteux (politiques, raciaux, mœurs…) ainsi que d’éventuels espions. En 1941, inspecteur de la sûreté, il est affecté à la BST (Brigade de surveillance du territoire), successivement à Nîmes (Gard), à Bourg-en-Bresse (Ain) où il rejoint La Légion des combattants dont il signe le serment « (…) « Je jure de consacrer toutes mes forces à la Patrie, à la Famille, au Travail » et à Sancoins (Cher). Il est chargé principalement de contre-espionnage, et de la recherche d’agents allemands. Au début de 1941, à Bordeaux (Gironde), il rejoint le réseau de résistance «Jade-Amicol » où son rôle ne semble pas avoir été très remarqué (Maurice Papon était membre de ce même réseau).

            C’est en janvier 1943 qu’il est muté à la police judiciaire de Poitiers, il ne rejoint son poste à la SAP que vers le 4 (ou le 7, les dates varient selon les sources) février 1943. Il devient rapidement le principal adjoint  du commissaire Bernard Rousselet, membre du groupe des « durs » de la SAP, la super-SAP créée en avril 1943 avec Rousselet et Savin, aidés de trois Allemands du SD (Sicherheitsdienst, service de renseignement de la SS); ils utilisent violence et torture pendant les interrogatoires à La Pierre Levée. Il utilise une matraque, en fait un nerf de bœuf, qu’il a nommé Marie-Antoinette pour frapper les détenus. Parmi les nombreux résistants qui eurent le malheur de passer entre ses mains, citons Emmanuel Durosier, pendu par les bras aux grilles de son cachot, « J’étais enchaîné, cela a duré deux heures et j’ai été frappé à coups de nerf de bœuf par Blétel », ou Charles Sapin, Roger Brossard, Gaston Guy, Guy Thomas, Nerone Fontanot, Camille Thébaud, les frères Delaunay… et tant d’autres[1] ! Surnommé  « le grand au chapeau mou », ou « le matraqueur » par ses victimes, il est le plus détesté de tous les membres de la SAP. Il travaille en contact direct avec l’intendant de police Lemoine.

            En août 1944, apprenant que sa tête est mise à prix par le maquis, il s’enfuit le 16 avec son chef Rousselet, dans une voiture chargée d’armes et de munitions : « dix ou douze mitraillettes, sept fusils de guerre, quelques pistolets et peut-être cent kilos de munitions et un sac de grenades »,  pour rejoindre Rochefort où comme nous l’avons vu il a quelques connaissances. Il prend alors contact avec André Religieux, alias Vernon,  un chef de la résistance locale, à qui il remet les armes.  Religieux, qui ne s’interroge aucunement sur le parcours des deux hommes, accepte  le matériel et les enrôle comme agents de renseignement, en respectant leur anonymat auprès des autres FFI.

            Ils rendent de nombreux services, facilités par leurs papiers de la SAP dans leurs déplacements. Le 23 août, la mission consiste à aller chercher à Bordeaux, Maurice Charlatte, alias Guy Renard qui vient d’être nommé chef des maquis de Charente-Maritime. Ils l’escortent jusqu’à Burie (Charente-Maritime), où il installe son commandement provisoire, et l’accompagnent dans ses nombreux déplacements.

            Le 12 septembre, après la Libération, Rousselet est reconnu par un FTP. Ils quittent rapidement les lieux et se réfugient à Tonnay-Charente (Charente-Maritime). Et c’est ici, aussi étonnant que cela puisse paraître, que des agents de la sécurité militaire du maquis viennent les chercher… pour leur attribuer des fonctions officielles !

            Blétel et Rousselet s’installent à Bordeaux et commencent à fréquenter les milieux résistants. Ils y retrouvent Maurice Charlatte, à qui ils font part de leur envie de passer en Espagne. Intrigué d’une telle requête, il enquête et découvre alors leur passé de tortionnaire. Arrêtés et emprisonnés, ils sont malgré tout rapidement libérés grâce à des protecteurs haut placés.

            Le 1er octobre, l’autorité militaire confie à Rousselet la direction de la Sécurité du territoire dans le secteur de Pau (Pyrénées-Atlantiques). Blétel l’accompagne et ils envisagent, comme beaucoup d’autres à cette époque, de rejoindre l’Espagne toute proche. Ils n’ont pas le temps de mettre leur projet à exécution ; le 3 octobre, ils reçoivent l’ordre de rejoindre Paris pour une mission urgente. À Paris, c’est le commissaire René Gouillaud, de la DST, (Direction de la sûreté du territoire) qui les reçoit et les informe de leur mission. Ils participent à l’arrestation d’un groupe de Géorgiens membres de la Gestapo, et quelques espions français. Mécontents de la façon dont on les traite et surtout que l’on ait oublié de les payer, ils prennent contact avec un service de renseignement américain, le CIC (Counter Intelligence Corps) qui les engage. Rousselet forme alors une équipe composée de Blétel, de Maurice Zeller, un ancien chef de la milice parisienne et d’un officier SS retourné (contre la somme d’un million de francs). Eux s’installent dans une ferme à Retheuil (Aisne), pendant que l’officier SS rejoint l’Allemagne afin d’organiser le parachutage d’anciens miliciens et militants PPF (Parti populaire français) entraînés et équipés, qui doivent être parachutés en France pour effectuer des sabotages contre les Alliés. Les membres de l’équipe de Rousselet, déguisés en miliciens, sont chargés de les réceptionner. Ces faux miliciens préviennent ensuite la police française qui les arrête. Rousselet prétend avoir ainsi participé à l’arrestation de 41 parachutistes.

            René Blétel a été condamné à mort par contumace, par la Cour de justice de la Vienne, en même temps que Bernard Rousselet le 18 juillet 1945, mais depuis ce temps il court… Il est arrêté sous le nom de Georges Renault, à Paris, chez sa maîtresse le 20 octobre 1947, puis jugé les 7 et 8 juillet 1948 par la Cour de justice de la Vienne. Pour sa défense, il argue avoir toujours été anti-allemand, avoir aidé la Résistance dès 1941 ; il minimise les tortures infligées par la SAP, et nie celles qui lui sont imputées, (suspension par les poignets, bastonnade…), tout en reconnaissant que le passage à tabac existe dans toutes les polices.

            Le commissaire de la République réclame la peine de mort, la cour délibère seulement une demi-heure. Le verdict de la mort est accueilli par les applaudissements du public. Il est fusillé à la Jambe à l’Âne le 17 décembre 1948 et enterré au cimetière de La Pierre Levée à Poitiers.

            Le bilan de la SAP auquel il a participé s‘élève à 465 arrestations, 72 fusillés, 200 déportés.

Sources :

Albert Jacques & Pirondeau Jacques, De ténébreuses affaires dans le Loudunais, Saint-Clair juillet 1943, Ed Cédalion, 2017, 228 pages.

Augustin Jean-Marie, Les grandes affaires criminelles de Poitiers, chapitre consacré aux policiers tortionnaires de la Pierre-Levée, Geste éditions, 2005, 472 pages.

Augustin Jean-Marie, Collaboration(s) et épuration dans la Vienne 1940-1948, Geste éditions, 2014, 384 pages.

Berlière Jean-Marc, Police des temps noirs, France 1939-1945, Perrin, 2018, 1353 pages.

Bouysse Grégory, Encyclopédie de l’Ordre Nouveau, HS n°4, la SAP de Poitiers, Amazon, 2023.

Les Cahiers du Gerhico, n°4, 2003. Article de Cyril Olivier sur la SAP de Poitiers.

ADV : Séries 111 W 304, 111 W 317, 111 W 320, 1523 W 8.

La Nouvelle République


[1]Albert Jacques & Pirondeau Jacques, De ténébreuses affaires dans le Loudunais – Saint Clair juillet 1943, Cédalion, op.cit.