Paul Denis, déporté à Auschwitz, Buchenwald et Mulhausen – témoignage

Né le 4 juillet 1920. Arrêté le 6 janvier 1944, interné à la prison de la Pierre-Levée, jugé par le tribunal spécial qui le condamne à un an de prison il est transféré à la prison de Blois puis au camp d’internement de Compiègne. Il est déporté ensuite à Auschwitz-Birkenau le 27 avril 1944 où il est enregistré sous le n° matricule 185434 tatoué sur l’avant-bras gauche. Le 12 mai il est transféré d’Auschwitz à Buchenwald où il arrive le 14 mai. En septembre-octobre, transfert à Mulhausen. Le 4 avril 1945 retour à Buchenwald où il sera libéré.

Paul Denis (col.fam.)

Devant le nazisme, le monde a tremblé

L’ Impossible oubli : ma déportation

Témoignage de Paul Denis

déporté à Auschwitz, Buchenwald et Mulhausen

Cet extrait du témoignage commence à l’arrivée au camp de Buchenwald.

…[ certains d’entre nous dont moi fumes appelés dans le grand camp(celui des travailleurs). Nous nous retrouvâmes au milieu d’un grand nombre de déportés de nationalités différentes : Allemands, Russes, Espagnols, Polonais et bien d’autres encore. Ne parlant pas la même langue, il nous était difficile de dialoguer. Avec mon cousin Claude, je me retrouvai dans un « bloc »(je ne me souviens plus du numéro)[…]

[…] Dans ce « bloc » comme dans tous les autres, le réveil était matinal(entre quatre et cinq heures). La toilette se déroulait torse nu à l’extérieur, quel que soit le temps. Nous devions nous placer près d’un grand lavoir où l’eau glacée tombait à la façon d’une douche sur tout le haut du corps. Gare à celui qui hésitait à se mouiller, les « SS » veillaient. Après, nous devions revenir au « bloc » pour recevoir une boisson imitant le café, qui n’était pas toujours chaude et que nous devions boire rapidement car le rassemblement avait lieu à six heures sur la place d’appel. Cette place était exposée à tous les vents et nous devions attendre que les « SS » soient prêts pour commencer l’appel. Si il y avait des absents, notre attente durait jusqu’au moment où les manquants étaient retrouvés, morts ou vifs. Cette situation pouvait durer des heures avec des températures très souvent inférieures à zéro. Nos vêtements n’étaient nullement conçus pour nous protéger contre le froid et la pluie. Après la décision des « SS », nous partions avec mon cousin Claude en colonne par cinq pour travailler dans la carrière. Cette dernière est devenue mémorable dans l’histoire du camp de Buchenwald. Un nombre incontrôlable de déportés y furent jetés, morts par épuisement ou par assassinat. Claude et moi traversâmes cette épreuve relativement bien parce qu’elle ne dura pas longtemps(3 à 4 jours).

Par la suite, toujours ensemble, nous fûmes affectés à l’usine Mi-Bao près du camp. Cette usine fabriquait des pièces pour les fameux « V1 ». Le travail était moins pénible, le plus difficile consistait à réduire la cadence. Avec cinq autres déportés de nationalités différentes, nous travaillions sur une des dix grosses presses. Nous nous retrouvions autour d’un rail où chacun d’entre nous avait une responsabilité bien précise. Notre engagement dans la résistance faisait que nous freinions au maximum notre cadence.

Un jour un peu avant la fin de la journée, alors que je me trouvais au poste d’emballage (à la fin de la chaîne), je m’aperçus que notre presse avait produit plus de pièces que les jours précédents. Après un rapide coup d’œil autour de moi pour m’assurer que personne ne me voyait, je commençai à détruire les pièces excédentaires. Subitement jaillit devant moi un civil. Cet homme occupait un poste de responsable dans l’usine. Devant son attitude, il n’était pas utile de connaître l’allemand pour comprendre qu’il ne m’adressait pas de compliment. Après cet incident, je vécus de longs jours avec l’angoisse du châtiment que j’allais devoir subir. Rien ne se passa, je continuais mon travail à l’usine comme d’habitude. Merci à ce civil allemand, beaucoup de déportés n’eurent pas cette chance, hélas. Avec mon cousin Claude nous dûmes travailler dans cette usine, lui jusqu’au 24 août 1944 et moi jusqu’au 23. Ce jour là […], près du portail d’entrée du camp, je m’empêtrai dans un fil barbelé. En tombant, je me fendis profondément la lèvre supérieure sur un caillou. Je me rendis au « revier » (infirmerie) ; là un médecin français me recousit la lèvre et me donna un jour de repos. J’eus énormément de chance car ce jour là, alors que j’étais étendu sur mon lit, je m’en souviens il était midi, toutes les sirènes sonnèrent l’alarme. Très peu après je vis dans le ciel, très clair ce jour là, arriver d’innombrables avions bombardiers, entourés d’avions de chasse pour les protéger. Je pus sans danger observer ce spectacle et voir descendre toutes ces bombes qui allaient détruire complètement les usines d’armement « Gusloff et Mi-Bao », ainsi que plusieurs casernes abritant les « SS ». Hélas les bombes incendiaires tombèrent aussi sur un petit bois de sapins où les gardiens avaient rassemblé tous les travailleurs des deux usines. Ce fut un véritable carnage, certains camarades furent décapités, Bernard Breton eut un pied coupé par la moitié, il réussit à se rétablir. Avec beaucoup d’inquiétude je voyais les secours emportant tous ces corps déchiquetés, ensanglantés en direction des fours crématoires. Une estimation annonça trois cents morts du côté des déportés et cent du côté des « SS ». Les blessés étaient dirigés vers le « revier » ou l’hôpital, les deux étaient débordés. […] Les fours crématoires fonctionnaient jours et nuits, les flammes et la fumée montaient à des hauteurs incroyables en dégageant une odeur insoutenable de chair brûlée.

Quelques jours après, les appels interminables recommencèrent. Les « SS » nous conduisirent dans les débris des usines pour récupérer et nettoyer. […] Jacques Crochu, François Lahos et moi allions être envoyés dans des commandos différents. Pour moi ce fut celui de Mulhausen.

En arrivant dans ce commando situé au sein d’une usine fabriquant des pièces pour l’aviation, je connus une nette amélioration par rapport aux camps d’Auschwitz et de Buchenwald. Nous étions environ huit cents déportés dont la moitié de Français, c’était un grand avantage. L’appel se faisait dans la cour de l’usine, rien de comparable avec les camps précédents. Au début, avec deux bons copains(François Jégou et René Leroux) nous fûmes affectés dans un groupe pour le travail à l’extérieur. Nous dûmes fabriquer des abris pour nous protéger en cas de bombardement. Nos gardiens, des anciens de la Wermacht habillés en « SS » ainsi que nos chefs civils nous poussèrent à augmenter notre cadence de travail. Néanmoins nous parvenions à travailler très lentement. Les abris finis, nous fûmes affectés à l’usine. De nouveau je me retrouvai sur une presse. Je travaillais seul. Toujours le même souci, ralentir au maximum la production. J’étais souvent menacé par un « kapo », un certain Hubert de nationalité française. Je lui rétorquai que cette presse avait déjà provoqué de nombreux accidents et que je souhaitais rentrer en France avec tous mes doigts. […] Je suis resté dans cette usine pendant l’hiver 1944-1945.

[…] Vers la fin du mois de février 1945 le travail devenait de plus en plus rare à l’usine. Avec mes camarades François Jégou et René Leroux, nous fûmes affectés dans un groupe de travail à l’extérieur du camp pour abattre de gros arbres en bordure d’une route à la sortie de Mulhausen. Toujours dans le but de freiner le travail nous essayâmes, malgré les harcèlements des « SS » de travailler très doucement. A chaque fois que nous le pouvions, nous faisions tomber les arbres au travers de la route. Les troupes allemandes commençaient à circuler dans un espace de plus en plus réduit, il leur arrivait donc de circuler sur cette route. Lorsqu’un arbre entravait leur passage ils hurlaient, mais souvent devant notre lenteur ils déblayaient eux-mêmes la route. Nous prenions un grand plaisir à les voir travailler !

[…] Un dimanche le commandant demanda des volontaires pour aller doubler les trous de protection qui abritaient les sentinelles autour des casernes, situées à environ deux kilomètres de Mulhausen. Après concertation une vingtaine d’entre nous, les moins handicapés se portèrent volontaires. Nous partîmes, chacun avec un gardien, ce dernier avec un fusil et le volontaire avec une petite pioche et une pelle de soldat. […] les avions arrivèrent […] nous sautâmes mon gardien et moi dans le trou déjà existant. L’alerte ayant duré toute la journée, nous sommes restés tous les deux, serrés comme des sardines en boîte en maudissant la guerre. Le soir lorsque je suis rentré au camp, bien que je n’eusse donné aucun coup de pioche, j’eus droit à une double ration de soupe[…].

Paul DENIS