L’école publique en 1943

Évoquer les écoliers de la « Communale » en 1943, c’est opposer la rigueur d’un pouvoir pétainiste, déterminé à détruire l’école de la République, à la banalité insouciante et routinière d’une vie d’écolier.

Affiche

L’administration

Dès 1940, le nouveau pouvoir de Vichy va s’appliquer à contrôler les instituteurs afin de mieux inculquer la propagande de l’homme providentiel, Philippe Pétain, dont le portrait devra être apposé dans chaque classe des écoles du nouvel Etat français.
La loi du 17 juillet 1940 autorise le secrétaire d’Etat à l’Instruction publique à relever de leur fonction « tous ceux qui dans les dernières années se sont livrés à des agitations politiques contraires aux intérêts de la France ». Associations d’instituteurs et syndicats sont dissous.

Dans cet état d’esprit, les Ecoles Normales d’instituteurs considérées comme « les séminaires malfaisants de la démocratie et qui produisent des instituteurs imbus de science de laïcité et de socialisme » sont remplacées par des Instituts de Formation Professionnelle (Loi du 18 septembre 1940).

Les « collèges modernes » préparant à la première partie du baccalauréat succèdent aux EPS, Ecoles primaires supérieures. Ce sera le cas de l’EPS de la rue Jean Jaurès à Poitiers.Le secrétaire d’Etat à l’Instruction publique Jacques Chevalier annonce que l’école publique enseignera les « devoirs envers Dieu»(1). Face à la vive désapprobation de ces textes, Jérôme Carcopino, son successeur, remplace le mot « Dieu » par les « valeurs spirituelles, la patrie et la civilisation chrétienne « . L’instruction religieuse est donc introduite dans les programmes de l’école publique par les lois du 6 janvier et du 10 mars 1941. Des subventions sont accordées aux écoles privées et l’enseignement congréganiste est rétabli par la loi du 2 novembre 1941.

Dans l’académie de Poitiers c’est René Hubert recteur depuis 1937 qui est chargé de faire appliquer ces lois. Mais son comportement semblant manquer de volontarisme, son attitude personnelle est notée comme seulement «convenable»(2), il sera remplacé à partir de juin 1943 par Albert Cherel.
Celui-ci s’engage en faveur d’une propagande maréchaliste dans les écoles et y célèbre la fête des mères qui réactive « la fête des familles nombreuses » décrétée en 1926.

Vichy veut faire de cette fête des mères le symbole de la Famille conformément à la devise de l’Etat français « Travail, Famille, Patrie ».
Le Secours National sera vanté dans son initiative de distribuer des biscuits caséinés aux élèves.
Cet acte de propagande s’inscrit à l’époque dans le grave état de restriction créé par le pillage de l’armée d’Occupation. Entre juin 1940 et juin 1944, l’armée allemande s’est octroyée 2 845 000 tonnes de blé (une demi-récolte annuelle), 845 000 tonnes de viande (plus que la consommation des 40 millions de Français en 1941), 711 000 tonnes de pommes de terre et 220 millions d’œufs. Les Français sont alors soumis à des tickets de consommation courante strictement contrôlés. Les jeunes (J1, J2, J3) vont souffrir de cette malnutrition qui va entraîner rachitisme et tuberculose en regain pendant l’occupation. Les J2, écoliers de 6 à 13 ans, bénéficieront donc dans les écoles de deux biscuits vitaminés du Secours National chaque matin. A la récréation de l’après-midi on leur servira un bol de Viandox chaud, infâme mélange de jus de viande, désagréable au goût pour les enfants.

De toutes les administrations analysées à la Libération, il semble que les recteurs du « Maréchal » se soient montrés des plus zélés. D’après Claude Singer, dans son ouvrage « L’université libérée »(3), sur 6 000 dossiers, la commission nationale d’épuration de l’Education Nationale a prononcé 1 515 non lieux et 3 285 mesures d’épuration très forte. A la Libération, Albert Cherel dira « qu’il n’a fait que servir l’état et sa politique scolaire et servir loyalement le gouvernement dans le poste où il avait été placé ».

Les écoliers (témoignage)

A l’aube de cette journée de 1943, trois écoliers d’un pas ferme se dirigent vers l’école Coligny, une école de garçons car les écoles de cette époque ne sont pas mixtes. Ils passent devant l’échoppe de monsieur Huellou cordonnier rue de la Pierre Levée qui, la veille, a ferré les «galoches» de l’un d’eux. Ce dernier leur fait une démonstration de «jet d’étincelles » en frottant, d’un geste circulaire du pied, son fer neuf sur le bitume sous l’œil connaisseur des deux autres compères. Le trio, avant d’aborder l’allée des Dunes, jette un coup d’œil sur la vitrine de l’épicerie de monsieur Mir au bas de la rue de la Pierre Levée donnant sur la Place de la Croix aujourd’hui Place Radio Londres. Dans la petite vitrine sont exposés pêle-mêle des billes, des « boulets », des « catavions » sortes de toupies en bois bleues, vertes, rouges et des « boîtes de coco », rare friandise autorisée à cette époque.

A peine arrivés dans la cour de l’école ils se mettent déjà en rang pour entrer dans la classe de madame Proust en charge du cours élémentaire. « Préparez vos affaires » intime cette dernière. Crayon, gomme et porte-plume sont prestement sortis du « plumier ». Madame Proust commence alors une leçon de morale sous l’œil approbateur du maréchal trônant au-dessus du tableau mais totalement ignoré par les élèves qui préfèrent suivre le regard autrement plus préoccupant de la maîtresse qui ne laisse rien passer. Ils s’appliquent alors à écrire sur leur « cahier du jour » la maxime inscrite au tableau. Les ennuis commencent, une plume « sergent major » est « gâtée » et risque de provoquer des taches d’encre. On lève alors la main pour qu’elle soit changée.
« Ouvrez votre livre de grammaire Souché page 24 : l’adjectif qualificatif ». Les écoliers découvrent sans trop d’appétit cette nourriture spirituelle à laquelle on attribue épithètes et attributs. Pas simple. Ils auront bien mérité les deux biscuits vitaminés distribués avant la récréation.

Nos trois amis sortent précipitamment de la classe pour se ruer vers la plate-forme cimentée de la cour où ils pourront se lancer des défis avec leur « catavion ». Hélas « les grands » l’occupent déjà. Ils entament donc une partie de billes près des hautes grilles dominant le boulevard Coligny. La Wehrmarcht occupe la caserne Aboville voisine de l’école et parfois les écoliers observent, descendant le boulevard, les « Boches », les « Verts de gris », les « Fridolins », les « Doryphores » (parce que comme les doryphores les Allemands mangent tout), autant de noms dont leurs parents affublent l’indésirable occupant. « En parlant de doryphores, annonce l’un des écoliers, j’ai entendu dire par le directeur, que comme l’année dernière nous irions bientôt ramasser ceux qui ravagent les jardins de la rue Pasteur ».

La « récré » est terminée, il faut déjà rejoindre la classe ; La leçon d’arithmétique commence par la séance redoutée de calcul mental. « Sortez vos « ardoises », demande madame Proust, révision des tables de multiplication par 5 et par 6 ». Chacun inscrit le résultat sur son ardoise et la lève. Et vite les écoliers effacent le résultat avec le chiffon relié par une ficelle au trou du cadre de l’ardoise pour passer à l’exercice suivant. Mais certains qui n’ont pas de chiffon crachent avec conviction sur leur ardoise et effacent le résultat avec leur coude au grand mépris de la manche de leur « sarrau ».

A la fin de la matinée, le trio inséparable se hâte de rejoindre la maison pour le déjeuner car il y a deux kilomètres à parcourir pour rejoindre la route de Chauvigny aujourd’hui avenue du Recteur Pineau. Les enfants marchent beaucoup à cette époque. Il n’y a que peu d’automobiles car l’essence est réservée à l’armée d’Occupation. Les rares véhicules roulent au « gazogène » et le seul moyen de locomotion à Poitiers est le tramway qui dessert l’unique ligne « Les Trois Bourdons -La Pierre Levée ».

Rédigé par Louis-Charles Morillon

Sources:

[1] www le-temps-des-instituteurs.fr

[2] CONDETTE Jean-François, dir. Les Ecoles dans la guerre – acteurs et institutions éducatives dans les tourmentes guerrières (XVIIè-XXè siècles). Septentrion, 2014, chap. 23 : Les recteurs du Maréchal.

[3] SINGER, Claude. L’Université libérée. L’Université épurée (1943-1947). Paris : Les Belles Lettres, 1997, 432 p.

Témoignage : chers souvenirs d’enfance.