La retraite de l’armée allemande dans le département de la Vienne (fin août-début septembre 1944)

Si à la fin du mois d’août 1944, le département de la Vienne est encore loin des zones de front, où s’affrontent les armées allemandes et alliées, la Vienne va se retrouver en quelques jours, au cœurs d’un important mouvement de troupes, le repli du 64e corps d’armée allemand et des actions de combat visant à l’entraver, menées par les maquis locaux et l’aviation alliée.

En août 1944, les Allemands reculent sur tous les fronts et enregistrent de très lourdes pertes, notamment en Russie, perdant au passage plusieurs de leurs alliés. En France, depuis le débarquement en Normandie, ils cèdent inlassablement du terrain et doivent bientôt se porter sur l’autre rive de la Seine. Au sud, les Alliés débarquent en Provence le 15 août, portant un nouveau coup terrible aux Allemands. Ne pouvant contenir cette nouvelle invasion, les troupes du Reich se replient le long de la vallée du Rhône, en direction de la Trouée de Belfort. De nombreuses unités allemandes d’occupation se trouvent pourtant encore dans les régions épargnées par les combats, mais où s’agitent les maquis.

            Dans le Sud-Ouest, le long du littoral Atlantique, courant de la Vendée au Pays-Basque, se trouve le 64e Corps d’armée allemand, un corps intact, bien qu’amputé d’une partie de ses unités, envoyées en renfort en Normandie, quelques semaines plus tôt. Le 16 août 1944, Hitler ordonne le repli. Le départ des troupes est long à se mettre en place, en raison du manque de moyens de locomotion, des liaisons difficiles entre le général Sachs, commandant le 64e Corps et le Groupe d’Armée G du général Blaskowitz, dont il dépend, le rassemblement des unités et la recherche d’un itinéraire. Le temps manque cependant, car les Alliés progressent vite. Le chemin du Limousin étant fermé, en raison de la Libération de la région déjà bien avancée, la route la plus rapide s’avère passer par le seuil du Poitou, la fameuse « Route des invasions » comme l’appelle l’historien Jean Tarrade. Si une partie du 64e Corps s’enferme dans les forteresses de Royan et de La Rochelle, le gros des troupes est organisé en trois groupements, sous les ordres du colonel Von der Kammer, du colonel Wurzer et du général Elster, le tout représentant un ensemble de près de 41 000 hommes. Ce sont alors pour la plupart des troupes de réserve, composées de soldats âgés et de non allemands, comme des Hindous, des Russes ou des Ukrainiens… Si les deux premiers groupements rassemblent majoritairement des unités combattantes, il n’en va pas de même pour la colonne Elster, composées essentiellement de non-combattants : aviateurs, marins, personnels féminins…. qui ne sont pas rompus aux longues marches de l’infanterie. Les choses s’accélèrent à partir du 27 août, où l’occupant quitte Bordeaux, évacuée à la hâte après négociations avec la Résistance.

Carte montrant le repli du 64ème Corps d’Armée allemand (D. Guilbot)

            Les premières unités allemandes traversent la Vienne aux environs du 22 août. Poitiers devient la plaque tournante du repli allemand. Toutes les routes menant à la capitale poitevine, sont prises d’assaut par les colonnes de repli, comme la RN 10 par exemple, mais aussi les axes menant vers le Berry comme la RN 151, reliant Poitiers au Blanc. S’y côtoient alors véhicules militaires, véhicules civils réquisitionnés, chevaux, charrettes, bicyclettes et piétons. Tout ce qui roule fait l’affaire et les Allemands réquisitionnent sur place ou pillent selon les circonstances. Il en va de même pour les vivres, car privés de ravitaillement, les troupes doivent vivre sur le pays.

            Les maquis étant très actifs dans le département, ces derniers tendent de nombreuses embuscades contre les convois. De véritables batailles rangées sont même livrées, à Chauvigny le 26 août, à Civray le 28 août ou encore au Mont St-Savin le 2 septembre. Si les Allemands disposent d’une puissance de feu et d’un entraînement supérieurs, l’effet psychologique des attaques est terrible sur eux, d’autant plus que ces hommes sont conscients que la défaite est inévitable et luttent contre un ennemi motivé, qui se bat pour libérer sa terre. Ils ont alors tendance à surestimer la présence et les effectifs FFI.

            Les combats sont malheureusement souvent suivis de terribles représailles de la part des soldats allemands, qui faute de pouvoir capturer les maquisards, se vengent sur les civils, soupçonnés d’être complices. Des victimes sont à signaler à Civray, à Chauvigny, à Magné, à Bondilly, à Saint-Maurice-la-Clouère, La Roche-Posay… Une unité stationnée dans le département, le bataillon de dépôt de la 17e division de Panzergrenadiers SS « Götz von Berlichingen », intégré à la Section rapide 608, une unité de répression qui s’est employée durant tout l’été 1944 à la lutte active contre les FFI et responsable du massacre du Vigeant le 4 août, est même soupçonnée d’avoir perpétré la tuerie de Maillé le 25 août dans l’Indre-et-Loire, durant son repli, à quelques kilomètres des frontières viennoises. Des pillages, des incendies et des viols sont également mentionnés, notamment à Bonnes, où selon un témoignage, dix jeunes femmes sont victimes de soldats hindous. Dans certains secteurs, des catastrophes sont évitées de justesse. Civray et Chauvigny échappent de peu à un sort probablement comparable à celui d’Oradour-sur-Glane. Les Allemands sabotent certaines infrastructures avant de partir. Le pont Henri IV de Châtellerault, chef-d’œuvre architectural de la fin du XVIe siècle est d’ailleurs sauvé de justesse de la destruction.

Le danger vient également du ciel. L’aviation alliée s’avère alors bien plus dangereuse que les maquis et cause de lourdes pertes dans les rangs. Les chasseurs-bombardiers effectuent des straffings meurtriers contre les convois. Après la destruction du pont de Chauvigny, le 26 août, les convois convergent vers Bonnes et Bonneuil-Matours, puis en direction de La Roche-Posay où se trouve encore intact l’un des derniers ponts sur la Creuse. Une situation qui permet aux Alliés de concentrer sur un même axe les raids aériens et infliger à l’ennemi de terribles dégâts.

            Les derniers Allemands à traverser le département appartiennent à la colonne du général Elster. Arrivés à Poitiers le 2 septembre, des négociations sont très vite entreprises avec les représentants de la Résistance, pour éviter que la ville ne se transforme en champ de bataille. Poitiers est évacuée le 4 septembre au soir, laissant les FFI investir la ville le 5. Châtellerault suit le lendemain. La libération du département ne marque cependant pas la fin de la guerre pour les Viennois, car nombre de maquisards, qui ont lutté contre les convois de repli allemands, sont envoyés dans les semaines qui suivent, faire le siège des poches de résistance allemandes sur le littoral Atlantique.

            Si dans l’ensemble, le repli du 64e Corps est un succès, il n’en va pas de même pour le groupement du général Elster. Colonne arrière du dispositif allemand, harcelée de toutes parts autant par les maquis, par les SAS que par l’aviation alliée, obligée de faire mouvement de nuit pour éviter les avions et pressée par le temps, la colonne ne parviendra jamais à franchir la Loire et capitulera face aux Américains le 10 septembre à Issoudun. Le 12 septembre 1944, la jonction en Bourgogne de la 2e DB venant de Normandie et de la 1ère Armée française venant de Provence, ferme définitivement le couloir de repli. Pour les unités sauvées, la guerre se poursuit. Redéployées dans les Vosges et en Alsace, elles combattent pour certaines d’entre-elles jusqu’à la fin des hostilités.