Hommage à Yves-Michel Renard

Yves-Michel Renard est décédé subitement à l’âge de 85 ans le 28 septembre 2022. Ses obsèques ont eu lieu en l’église de Saint-Porchaire le jeudi 06 octobre 2022. Jean-Henri Calmon a rendu hommage à sa mémoire au nom de VRID.

Photo issue de l’entretien diffusé le 5 mai 2021 sur francetvinfo.

La mort d’un ami cher nous ramène toujours aux questions existentielles qui hantent nos vies et nos pensées, et peut-être de manière encore plus intense quand elle est aussi brutale. Et ce faisant, nous revenons, tout aussitôt, sur ce qui, dans son parcours particulier, nous attachait si fortement à lui. Ce que Delphine a dit tout à l’heure au nom de la famille, nous a profondément émus, parce que cela correspondait très justement à ce que nous éprouvions nous-mêmes. Oui Yves Renard rassemblait en sa personne tout ce qui, au Grand siècle, distinguait l’honnête homme : bonté et ouverture d’esprit, courtoisie et courage, probité et droiture.

Yves était le dernier des 6 enfants de Louis Renard, héroïque soldat du siècle passé, un siècle traversé par les deux plus grands conflits de tous les temps. Du premier il était sorti grièvement blessé, avec le sentiment qu’il lui fallait mener désormais un autre combat, celui de la paix, pour que ne se répète pas la tragédie qu’il venait de vivre dans sa chair et dans son cœur, puisqu’il y avait aussi perdu son jeune frère. Une idée pacifiste qu’il défendit en toutes occasions et en particulier dans les associations d’anciens combattants, mais aussi comme gouverneur du Rotary. Entreprise vouée à l’échec dans une époque qui se préparait à la guerre. Mais il y croyait et multiplia les contacts pour porter ce message dans tous les pays d’Europe. Grande fut sa désillusion après Munich, ce qui ne l’empêcha pas de reprendre du service dans le second conflit, alors que rien ne l’y contraignait. Il ressentit profondément l’humiliation de la défaite et s’opposa, dès le premier jour, à un armistice déshonorant et à l’insupportable occupation. Ce qui lui coûta la vie. Il est mort dans l’honneur pour la liberté, la justice et la paix. La conduite de ce père valeureux allait servir de modèle à ses enfants et le parcours d’Yves est tout marqué de ces sentiments élevés qui imprégnaient le tissu familial.

De ces temps troublés, Yves, a conservé la terrible image de l’intrusion au domicile familial, impasse d’Auxances, le 29 août 1942 [il n’a pas encore six ans], des policiers français mis par le gouvernement de Vichy, relayé par le préfet, à la disposition des Allemands pour éliminer les Résistants. Venus pour arrêter Louis Renard, ils ne le trouvèrent pas mais n’en procédèrent pas moins à une perquisition en règle de la maison qui dura de 20 heures à 4 heures du matin et à laquelle assistèrent les enfants. Elle s’accompagna d’un interrogatoire serré de Madame Renard, des enfants les plus âgés, mais aussi du plus jeune, Yves. Après le départ des policiers la maman ne put obtenir de l’enfant en larmes que ces quelques mots qu’elle rapporte ainsi en novembre 1944 : « je ne te dirai pas ce qu’ils m’ont demandé : ils m’ont dit que si je le répétais ils mettraient mon papa en prison et que je ne le reverrai jamais plus ». Cette séquence policière fut vécue par l’enfant comme une rupture d’autant plus brutale qu’elle fut suivie, le lendemain, par l’arrestation de sa maman à 11h30 et par celle de son papa à Ligugé, à 14 h. Si la maman fut relâchée, ce ne fut pas le cas du papa qu’il ne revit plus jamais. Dans la lettre ultime rédigée quelques minutes avant d’être exécuté, et s’adressant au petit Yves, que dans la famille on appelait « Baby », Louis Renard écrivait : « mon Baby adoré, si petit, si petit, déjà dans la peine… ».  

Madame Renard a fait face à toutes les difficultés avec un courage, une détermination, une fermeté et un sang-froid absolument admirables, de sorte qu’on peut dire résolument qu’elle fut une « Mère Courage ». Rongée d’inquiétude : sans nouvelles de son mari après le départ pour l’Allemagne, inquiète du sort de ses deux garçons aînés qui avaient pris la fuite au moment des arrestations, elle devait rassurer les autres et les faire vivre. Tant que Louis Renard était encore à la Pierre levée elle multiplia les démarches pour essayer de l’en faire sortir et très souvent (notamment lors des voyages à Paris), elle emmenait le petit Yves avec elle. Yves gardait un souvenir douloureux de ces moments difficiles. Elle veillait pourtant, à la maison, à ce que l’on ne parle pas de l’affaire pour ne pas troubler l’esprit des plus jeunes. Tâche difficile. Car tout rappelait la présence de ce mari, de ce père exceptionnel. En dépit de toutes ces difficultés elle veilla à ce que les enfants suivent un cursus scolaire qui se déroule dans les meilleures conditions possibles. Yves, après l’école primaire, fit ses études secondaires au Lycée de Poitiers, un établissement pour lequel Louis Renard avait fait beaucoup. Comme son frère aîné, Henri, il s’inscrivit ensuite à la faculté de droit pour embrasser une carrière juridique et suivre ainsi le sillon tracé par le père. Il devint avocat, c’était pour lui la meilleure façon de rester fidèle à ses convictions. Et ces idées s’appuyaient sur un socle familial solide, légué par ce père hors du commun. Elles l’habitèrent toute sa vie, mais c’est à Poitiers où il prit sa retraite après une longue carrière dans un cabinet parisien, qu’il pût leur donner libre cours. Il s’attacha avec ferveur à servir ce que l’on appelle le devoir de mémoire. Il fit partie de divers groupements impliqués dans cette noble mission. Et c’est à cette occasion que nous l’avons le plus connu, et nous tout particulièrement, à l’association VRID [Vienne Résistance Internement Déportation] au nom de laquelle je prends la parole aujourd’hui. Il en a été pendant très longtemps le trésorier. Il y était unanimement apprécié. Yves était un homme discret qui ne cherchait pas à imposer ses vues par une véhémence outrancière, mais qui savait choisir les mots susceptibles de convaincre. Infiniment respectueux de l’autre et de ses opinions, il préférait éclairer le débat en allant à l’essentiel. Il avait parfaitement compris que la mémoire ne pouvait être plus utile que lorsqu’elle était soumise aux rigueurs irréductibles de l’Histoire. Pour lui le devoir de mémoire ne consistait pas à crier vengeance, mais à rechercher l’apaisement, si nécessaire à la compréhension entre les peuples, à leur fructueuse coopération et par là, à la paix. Plus que tout autre peut-être, Yves avait grandement conscience que la violence, la haine, et tous les sentiments bas qui les accompagnent, avilissent la civilisation qui les laisse prospérer.  Sa pensée là-dessus, s’accordait parfaitement à celle d’Antigone lorsque Sophocle lui faisait dire, cinq siècles avant J.-C. : « je ne suis pas venue au monde pour partager la haine mais pour partager l’amour ».

Il est bon de rappeler encore qu’Yves, avec sa sœur Geneviève, ont pris l’initiative de déposer aux Archives départementales de la Vienne tous les documents sur le réseau Renard détenus par la famille, qu’ils ont patiemment recensés et rassemblés. Tout récemment, encore, Yves a participé à la négociation qui devait aboutir à la remise d’un dossier de grand intérêt à cette éminente et admirable administration si utile à l’Histoire. Yves avait une très haute conscience du rôle de l’éducation dans la transmission des valeurs qui fondent notre République et dont la Résistance fut porteuse. C’est pour cela que, depuis bien longtemps, il siégeait au jury du concours départemental de la Résistance auquel participent, chaque année, de nombreux élèves des lycées et collèges.

Il savait que le combat en faveur des valeurs et des principes de la démocratie n’est jamais terminé. Il était atterré par l’utilisation de plus en plus fréquente, et de plus en plus répandue, dans le discours politique, des sentiments de haine, de mépris, de rejet de l’autre. Et la réapparition de la guerre en Europe, à partir de revendications territoriales d’un autre âge, ne laissait pas de l’inquiéter, tant elle rappelle de bien mauvais souvenirs. Il n’en restait pas moins optimiste pour l’avenir car il faisait confiance, en dépit de tout, à l’intelligence des hommes et comptait sur la formidable espérance insufflée par une vieille et grande civilisation. C’était là l’assise de l’humanisme qui était la marque principale de sa belle personnalité et qu’il tenait de la culture familiale.

       Je présente à la famille d’Yves, réunie, en cette douloureuse circonstance, autour de Geneviève, dernier enfant de Louis Renard, au nom de VRID, et en mon nom personnel, nos très sincères condoléances, je l’assure que nous prenons grande part à son immense chagrin et que nous garderons d’Yves l’image d’un homme bon et bienveillant, humain et désintéressé, fidèle défenseur des idées généreuses sur lesquelles est bâtie notre République.  

Vous pouvez retrouver le reportage diffusé le mercredi 5 mai 2021 sur France 2 au cours duquel Yves-Michel Renard évoque son père Louis Renard.

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