Témoignage de Monsieur Marcel Brunier

Marcel Brunier faisait partie du réseau Louis Renard dont 29 des membres furent arrêtés en 1942, puis déportés. Marcel Brunier connut plusieurs camps avant d’être libéré de Dachau en avril 1945 par les alliés. Voici des extraits de son récit décrivant les conditions de travail dans les camps et prisons où il a été interné.

Marcel Brunier en 1995

Camp d’Hinzert

La faim, le froid, le travail.

Tout travail sera pénible, très dur. Les exceptions seront très rares.

« Dessouchage » , sciage et ramassage de bois en forêt où des coupes ont été pratiquées. Des journées de douze heures, parfois plus, sous les coups.. . et la crainte des coups.

Mais, ce qui fut le plus pénible et nous marqua tous, ce fut le « commando-de-la-charrette ».

C’est une charrette assez commune, à quatre roues, avec des ridelles sur le côté, munie d’un timon pour la tirer. On nous attelle à cette charrette -entre quatorze et dix-huit -mettons, une moyenne de seize ! et nous tirons. Nous tirons, toute la journée.

La région a quelque altitude. Il y a des côtes et des descentes. Tout n’est pas facile. La charrette, pleine de souches, est très lourde. Il faut tirer davantage. Et courir dans les descentes pour ne pas être écrasés.

Nous parcourrons, de la sorte, quelques trente-cinq kilomètres par jour. Ce n’est point là un exploit pour un sportif ou pour un marcheur. Mais, lorsqu’il faut tirer un charroi de cette importance, cela pèse !

Nous étions chaussés de galoches -semelle de bois et toile- sans souci de pointure ou d’adaptation aux pieds nous n’avions pas de chaussettes, sinon des carrés de toile, dits « chaussettes russes » enroulés de

manière inconfortable et instable autour des pieds. Nous avons tous eu les talons et les orteils écorchés.

C’était à en pleurer, mais, il nous fallait continuer à marcher, à tirer, souffrant à chaque pas.

Celui qui ne suivait pas -ou suivait mal- ou ne tirait plus recevait les coups de bâton des S.S.

La charrette nous a laissé un souvenir particulièrement pénible.

Nous avons connu quelques travaux un peu plus doux au commando Romica.

Romica, c’est une entreprise qui avait partie liée avec les S.S. à qui elle louait du personnel pour alimenter un de ses ateliers installé dans le camp. On y découpait les bavures des joints en caoutchouc servant à l’étanchéité des mines. Le sabotage allait bon train. Les mines sorties de là ne devaient pas être très étanches !

Je cite Romica parce que quelques uns en ont profité, ont trouvé là une sorte de havre de paix, d’accalmie au milieu de ce que nous vivions par ailleurs.

Après la guerre, Romica s’est installé en France, pour y fabriquer des chaussures- des savates.

GROSS-ROSEN, en Silésie :

Le plateau de Gross-Rosen, à l’entrée de l’hiver : de moins quinze à moins vingt degrés. Nous travaillons surtout à l’extraction du granit, dans une carrière taillée à flanc de coteau. Les blocs de granit sont transportés en wagonnets, cassés et débités pour être utilisés.

Les wagonnets déraillent, causant des accidents très graves.

Et puis, prendre un bloc trop gros, c’est ne pas pouvoir le porter jusqu’au bout ; le prendre, au contraire, trop léger ou trop juste, c’est se faire repérer par les S.S. qui interviennent à coups de bâton. Mais nous devenions très perspicaces et savions ce qui était possible et ce qui ne l’était pas.

Nous travaillions sans gants. La pierre gelée était raboteuse et cruelle. Le froid ajoutait ses morsures au mal que nous éprouvions.

Camp de Kamenz

A Kamenz. nous manipulerons des rails sur une voie ferrée.

Il fallait d’abord les desceller, les séparer les uns des autres puisqu’ils étaient soudés par le gel. Ensuite, nous devions les hisser sur nos épaules.

Saisir un rail à mains nues par moins quinze degrés. c’est avoir l’impression que l’acier colle à la peau, l’absorbe. l’arrache. La chair fait bloc avec le rail.

Le froid décuplait notre misère. attisait nos souffrances.

Camp de Wolfenbüttel

A Wolfenbüttel, nous travaillions à casser des bottes déclarées « hors-service ». Si nous dépassions un certain nombre de bottes, ce beau rendement nous donnait droit à une tranche de pain supplémentaire. Je me suis toujours refusé à ce jeu. Il me manquait toujours une botte pour décrocher la tartine supplémentaire. C’était ma façon à moi de dire : »Vous voulez me soudoyer ? Eh bien, je ne marche pas ! »

Et je n’ai pas marché.

Du coup, j’ai été repéré par un S.A.. Il nous survejllait de l’extérieur. Il avait demandé à l’interprète : « Pourquoi le jeune homme qui est là arrête-t-il son travail, chaque soir, avant de mériter la récompense ? Pourquoi, ne veut-il pas la tranche de pain ? »

La réponse fut vague : la fatigue, probablement. L’autre n’avait pas été dupe.

Chaque dimanche matin, nous devions accomplir des corvées. L’une d’elle consistait à passer dans les cellules afin de récupérer dans de grands sacs, triés par catégories, les éléments de bottes cassés et désarticulés au préalable dans les caves. Le dimanche suivant, j’étais de corvée de sacs.

Le S.A. se tenait en haut d’un escalier métallique aux arêtes bien aigües. Il m’a attendu et tout simplement poussé d’un coup de pied dans le dos. Je suis parti, tête en avant. Encore chanceux ! C’était une descente ultra-rapide sur quatre bons mètres d’escalier. Le sac que je portais est passé devant moi, il a amorti la chute, limitant la gravité des meurtrissures. Je m’en tirai à bon compte.

Marcel Brunier

S.L. Hinzert Matricule 6182

Article rédigé, par Sabine Renard-Darson, à partir d’extraits du témoignage oral de Marcel Brunier. Ce récit fut réalisé quelques années après la Libération.