Les six fusillés de Bondilly : témoignage

Lettre inédite, rédigée le 31 décembre 1944 par Josiane MOINE, témoin des évènements du 29 août 1944 à Bondilly, commune de Saint Cyr au cours desquels 6 personnes ( dont son père et ses 3 frères) ont été fusillées par des soldats allemands en retraite.

Cette lettre nous a été confiée par son auteur, Josiane DARDILLAC née MOINE.

Témoin direct de tragiques exactions des troupes allemandes en retraite à l’encontre de plusieurs membres de sa famille, elle relate les faits de ce 29 aôut 1944 à des cousins de Paris. Elle était alors âgée de 19 ans et domiciliée à Bondilly, commune de Saint- Cyr. Elle a perdu ce jour-là son père Roger, et ses trois frères : Claude, Jean, et Roger.

Saint-Cyr,le 31 décembre 1944

Chers cousins,

Voici déjà plusieurs jours que nous avons reçu votre lettre et bien heureux de vous savoir en bonne santé. Comme nous commençons à prendre un peu de courage, je vais pouvoir vous donner plus de détails sur notre grand malheur.

Nous avions la batterie le vendredi 26 et le samedi 27 août, lorque pour la première fois, nous voyons des maquis venant de Bonneuil-Matours en auto et allant sur Traversay ( des Allemands passaient sans arrêt sur la route Nationale, mais jamais par ici) lorsqu’une heure plus tard ces maquis sont repassés, ils se sont arrêtés dans la côte et juste au bas ce qui fait à peu près 200 m de chez nous. Ils ont fait sauter 4 gros arbres pour barrer la route et sont repartis. Cela se passait le vendredi à 11 h du matin- mes frères très patriotes, inutile de vous décrire notre joie à tous de voir enfin des soldats français- mais ce n’était pas tout. La journée se passe bien, ainsi que le samedi où nous passons une bonne journée de batterie. Le dimanche également toujours calme, mais toujours ce barrage. Le lundi, à 2 h de l’après-midi, une voiture d’officiers allemands se dirige sur Bonneuil, mais elle est arrêtée par ce barrage et retourne très en rage certainement ; à ce moment là, maman eut un mauvais pressentiment, mais nous, nous ne voyions pas le danger et pourtant il est proche. L’après-midi se passe. Mon petit frère Claude, 17 ans, toujours gai et souriant, arrive de la batterie de Vilaine où il aurait pu coucher- il est 9 h du soir. Notre grand frère Roro, qui est à la Cormaillère,n chez une cousine, arrive également après que nous avions envoyé mon oncle Adophe le supplier de coucher là-bas puis que des Allemands étaient à Bondilly et qu’ils aimaient guère les jeunes- mais de peur que nous soyons en danger, il était accouru près de nous.

Nous dînons tous ensemble ce lundi soir, hélas, le dernier. 6 Allmeands sont aux quatre routes en attente. Le maire impatient va jusqu’à eux et leur demande bien gentiment ce qu’ils attendaient. Ils lui disent qu’ils étaient là jusqu’à minuit pour faire tourner uen colonne allemande sur Vouneuil- nous avons donc pensé – à cause de ce barrage, ils ne viendront pas ici- mais hélas ceux-ci se dirigent bien sur Vouneuil. Il est minuit moins le quart. Seules maman et moi, nous ne sommes pas couchées car nous ne sommes pas tranquilles. J’ouvre la porte, je vais à celle de la chambre et appelle mes frères. Jean et Claude se lèvent, ainsi que maman, nous allons nous cacher dans les champs, car s’ils viennent par ici, ils vont faire quelque chose. Alors,mes frères, tous en même temps, nous disent – Allez donc vous coucher, pourquoi aller se cacher, nous ne sommes pas la cause de ce barrage,nous avons tous nos papiers. Ils retournent se coucher ainsi que moi, mais, maman, bien seule cette fois, reste et écoute. Ils passent toujours sur cette route de Vouneuil. Mais pas longtemps après, une demi-heure plus tard, passent quelques cavaliers. D’abord, ils vont jusqu’au bois et retournent. Là, ils s’arrêtent devant la porte,et commencent à appeler. Nous ne bougeons pas- maman m’a réveillée- nous écoutons, je regarde par le trou de la serrure, il fait un clair de lune comme en plein jour. Papa dort toujours et maman ne veut pas le réveiller de peur qu’il ouvre la porte.

Aprèsles cavaliers, arrivent des chariots, une colonne de quatre kilomètres. Ils secouent de plus en plus les grilles et appellent toujours. Nous ne bougeoans pas encore, mais j’entends la porte de la chambre s’ouvrir et la voix de Jean qui dit à Roro- il vaut mieux y parler-. Au même moment, ils enfoncent les grilles et crient – Monsieur, monsieur- mon frère Jean leur dit :  » Vous voulez quelque chose »- Oui ! répond un Boche, combien êtes- vous de jeunes ? – Trois-. Venez tous les trois nous aider à débarasser la route et apportez des outils. Alors mes frères sans vouloir se laisser impressionner partent ensemble, sans doute en pensant qu’après les avoir aidés, ils passeraient leur chemin et eux seraient libres.

Ils sont juste partis lorsque nous entendons tirer les premiers coups de feu, et ce doit être là que ces bandits viennent de tuer mon oncle. A ce moment-là, j’ouvre la porte et parais. Je ne saurai vous dire le nombre qu’il pouvait y avoir dans la cour. Il en vient peut-être une dizaine vers moi, et comme des fous, rentrent dans la maison, arrachent mon père du lit qui dort encore et l’emmènent, pendant que d’autres sont après nous alignés contre un mur dans la cour pour sans doute nous fusiller, ma grand mère, maman, Serge, Claudette, Louisette et moi- et à deux fois différentes.

Mais tout autour de nous,l’on entend des coups. ils prennent des lapins dans les toits pour les tuer à coups de fusils.Ils tirent partout, dans les fenêtres, dans les plafonds etc …Il est deux heures, et cela dure toujours. A 2 h 1/2,nous sommes relâchés et rentrés dans la maison avec la porte fermée. Là, nous pensons qu’ils vont mettre le feu à la ferme, puisqu’il y en avait toujours dans la cour. Ils me rappellent pour ouvrir les portes du bâtiment. Je suis seule dans le milieu de la cour avec ces brutes, ces sauvages qui me tiennent à bout portant avec peut-être 5 ou 6 fusils. Là, maman m’a bien vu perdue, mais non, nous devions rester pour découvrir le lendemain d’aussi cruelles choses et souffrir comme nous souffrons. Tout d’un coup, ils partent . ils passent tous et s’arrêtent au coin du bois. Là, je sors en disant à maman qu’il vaut mieux partir. Je les entends crier, hurler au coin de ce bois. Peut-être regardaient-ils leur travail. Alors ma grand mère rentre dans sa chambre retrouver mon grand père, le seul qu’ils avaient laissé au lit après m’avoir demandé son âge, et nous , nous partons à travers champs maman, me petits frères et moi.

Nous partons rejoindre ma tante, qui je pense est dans la tranchée que mon oncle avait faite pour se préserver des bombardements. Il est trois heures moins le quart. Nous arrivons bien à cette tranchée. J’appelle mon oncle tout bas, ma tante me répond en me disant de descendre, mais mon oncle n’est pas là. Les Allemands l’ont emmené et nous venions en effet de passer à ses pieds sans l’avoir vu. Il était tombé là dans le champ, et nous sommes restés dans cette tranchée jusquà 7 h du matin, pieds nus , moitié habillés, mais nous ne pensions pas à nous. A 7 h, nous entendons crier. C’était ma grand-mèr, après avoir cherché et appelé partout, qui découvrit le corps de mon oncle. Il était à 50 m de nous. Là, je suis sortie avec Lili, mais maman et ma tante sont restés sur le coup.

Aux cris de ma grand-mère, le village est accouru car ces bandits étaient partis. Avec le maire et plusieurs voisins, nous avons rentré mon oncle chez lui, mais ce n’était pas tout. Je vais au maire et lui dis :  » Chez nous, ce n’est pas un qu’ils ont emmené c’est quatre et où sont -ils ? » Alors plusieurs hommes sont allés voir au bois où ils ont découvert tout près du barrage Berger et mes trois frères, les uns à cotés des autres. Mon père était lui dans un petit chemin derrière Berger. Aussitôt, j’ai dû faire conduire maman hors de Bondilly, et, d’après le docteur, il ne fallait pas qu’elle les voit. Elle est donc restée à la Cormaillère pendant plus d’une semaine ( où il ne passait pas d’Allemands) et sans même se rendre compte de rien. J’étais donc seule avec grand-mère, qui est forte et courageuse, pour m’occuper de tous et de tout. Pa sun frère avec moi, non pas un, ni mon père, ni même maman. Il fallait pourant que je tienne bon. Je ne pouvais laisser grand-mère seule avec des étrangers. leurs obsèques eurent lieu le jeudi. Une foule immense les accompagnait, et nous rencontrions tout le long de la route ces sales bandits qui partent toujours. Je ne pouvais plus les voir, et nous avons été libérés par les F.F.I quelques jours plus tard. Là, nous avons commencé à ramener maman tout doucement, mais nous n’avons couché ici qu’un mois plus tard, et je ne peux pas vous dire notre ennui et ce vide dans la maison. Il nous faut quand même faire marcher la ferme. Nous avons trouvé des domestiques, mais ce ne sera jamais la gaité à la maison maintenant, après avoir été si nombreux et unis comme nous l’étions, nous qui avions eu la chance qu’aucun de mes frères partent en Allemagne, et qu’à la veille d’être libérés, il nous arrive un si grand malheur.

Peu de temps après, nous avons été obligé de mettre Serge en pension car nous ne pouvions pas en être les maîtresses, se sentant seul, lui qui est aussi insupportable. Il est à Châtellerault, et la femme de son parrain, Rolland Cibert, qui est en Allemagne, s’occupe de lui, et moi j’y vais toutes les semaines.

Nous serions chers cousins tous bien contents et heureux d’avoir la visite de quelques uns de vous …Maman, mes grands parents et mes petits frères se joignent à moi pour vous embrasser tous très fort.

Votre petite cousine qui ne vous oublie jamais et vous embrasse bien fort.

Josiane

Publiée en ligne avec l’autorisation de l’auteur

Commentaires

Cette lettre émouvante fait tomber le mythe d’une libération glorieuse. Elle est la preuve d’une libération douloureuse, où des populations civiles, prises en otages, ont tragiquement payé le tribut des représailles d’une armée allemande en déroute.

D’autres témoignages recueillis à Bonneuil- Matours concordent avec celui-ci.