Les enfants victimes des bombardements

De ces adultes qui décident des guerres les enfants sont toujours victimes.

Enfant (mémorial de Caen

Les populations belges, du Nord et de l’Est de la France, Lorrains et Mosellans, sont les premières à se jeter sur les routes pour fuir l’enfer du Blitzkrieg* dès mai 1940. Elles emportent dans leur exode matelas, baluchons ou objets dérisoires. Rattrapées par l’aviation allemande elles seront mitraillées au hasard des chemins. Femmes et enfants sont alors les premières victimes de ces centaines de milliers de civils tués en France au cours de la 2ème guerre mondiale.

L’Allemagne a installé ses troupes en France et a commencé la fortification des côtes ainsi que des ports d’où elle lance ses U-boots (sous-marins) vers les convois maritimes alliés. L’économie française est au service de l’occupant et produit matériel et munitions dans ses usines Renault, Gnome-et-Rhône, Caudron ou Matford. Le commandement allié prend alors la décision de cibler ces centres de productions de guerre.

Le 3 mars 1942 a lieu le premier bombardement en France qui détruit l’usine de Boulogne-Billancourt mais entraîne également la mort de 400 civils dont 56 enfants. Ce qu’on appellerait « dégâts collatéraux » aujourd’hui déchaîne alors la propagande de Vichy : « Radio-Paris » par la voix de Jean Hérold-Paquis et « Radio-Vichy » par celle de Philippe Henriot soulignent la « barbarie » anglaise. Une campagne est parallèlement organisée avec des dessins animés dans les salles de cinéma et des affiches condamnant la  cruelle félonie britannique.

Cette stratégie de destruction des centres de production va être accentuée par la concurrence que se livrent l’US Air Force et le Bomber Command britannique. Par la suite, Solly Zuckerman dans le « Transportation plan »** va imposer le pilonnage des voies de communication, aérodromes, ponts et surtout gares, éléments stratégiques prioritaires pour paralyser le trafic ferroviaire français. Des tracts expliquent cette stratégie et sont largués aux populations concernées pour les inviter à fuir.

  13 juin 1944. Après l’espoir du débarquement du 6 juin, les Poitevins connaissent l’horreur des bombardements : hurlement des sirènes annonçant le raid aérien, grondement des avions qui s’approchent, nuit qui s’éclaire sous les fusées limitant le périmètre de la gare à anéantir, fuite épouvantée des familles serrant leurs enfants. Puis c’est l’apocalypse, les murs qui tremblent, les maisons qui s’écroulent, les cratères qui remplacent les boulevards du Grand Cerf et Pont-Achard ainsi que des rues adjacentes. Quand les avions s’éloignent enfin, le sifflement de la vapeur des locomotives éventrées dans l’enchevêtrement de la ferraille et le crépitement des poutres qui brûlent attendent les membres de la « Défense Passive ». Ils relèveront plusieurs centaines de civils tués parmi lesquels 23 enfants. Mais si tous les Français ont connu l’occupation, seuls les Normands ont vraiment connu la guerre avec 20 000 civils tués durant la Bataille de Normandie, essentiellement à cause des bombardements. Ce quartier dévasté de Poitiers a certes marqué les esprits poitevins mais il est indispensable de le confronter à des villes comme Caen détruite à 80% pour mieux comprendre le prix de la Libération payé par les Normands et le traumatisme des enfants.

Du 6 juin au 8 juillet, encerclés par les Alliés et prisonniers avec leurs parents des Allemands qui résistent fanatiquement, les enfants vont être exposés à l’enfer. La peur a remplacé la quiétude pour ces gosses et les larmes ont remplacé les rires en constatant la mort du petit camarade encore présent la veille. Terribles visages inoubliables de ces enfants qui ne dévoilent nulle autre expression que la désolation.

Enfants tués en une semaine à Caen
(Quellien Jean, Garnier Bernard, 1995)
  Garçons Filles
1-5 ans 400 300
5-10 ans 320 250
10-15 ans 400 300
     
Total 1120 850

La France, avec 550 000 tonnes de bombes larguées sur son territoire, a été le pays d’Europe occupée le plus bombardé après l’Allemagne. Si la Libération a été la scène d’une liesse maintes fois répétée, les Normands, aujourd’hui encore, n’ont pas oublié ceux qui se sont sacrifiés pour leur libération : Américains d’Omaha Beach, Britanniques de Juno, Canadiens et Polonais de Gold, « Français libres » de Sword, résistants atrocement réprimés. Le Mémorial de Caen a tenu à rendre également un hommage particulier à ces 27 millions de Soviétiques morts en fixant les divisions allemandes à l’Est et qui ont certainement contribué par leur sacrifice, au succès du débarquement  Mais les Normands n’ont également pas oublié ces bombardements, très contestés à l’époque, qui ont emporté ce qu’ils avaient de plus cher : leurs enfants. Leurs larmes taries n’ont jamais pu atténuer leur douleur, ce qui a entraîné des relations parfois compliquées avec leurs libérateurs. Je peux en témoigner, petit Poitevin de 9 ans alors exilé à la Ferté-Macé dans l’Orne pendant cet inoubliable été 1944. Et encore, en l’absence de combats, La Ferté a-t-elle été épargnée en ne comptant que 17 civils tués par l’artillerie américaine alors que Rânes, agglomération voisine d’une dizaine de kilomètres, a connu des combats acharnés faisant de nombreux morts parmi la population ainsi qu’Argentan.

Churchill, alors inquiet de l’évolution de l’opinion française touchée par la propagande de Vichy et averti par la Résistance française exaspérée par le nombre de victimes civiles, demande à Eisenhower de réduire les bombardements. Cette « stratégie de la destruction » expliquée par Jean-Charles Foucrier persistera cependant avec l’erreur du bombardement de Royan dans la nuit du 4 au 5 janvier 1945. 442 civils y perdront encore la vie dont 19 enfants.

(*)    Blitzkrieg   Guerre éclair

(**)  Transportation plan  bombardements stratégiques

Sources :

FOUCRIER Jean-Charles, Un scientifique en guerre : Solly Zuckerman et les bombardements sur la France, printemps 1944, Page 19 – Bulletin des doctorants et jeunes chercheurs du Centre d’Histoire du XIXe siècle, Centre d’Histoire du XIXème siècle, n°4-5/printemps 2016, pp 75-88

État civil Mairie de Poitiers (remerciements à M. Fouquet)

État civil Mairie de Royan (recherches personnelles)