Hommage à Jean Tartarin – Résistant – Déporté

Jean Tartarin, dernier déporté survivant du réseau Louis Renard est décédé en septembre 2008. Roland Barrat, ancien résistant, lui a rendu un dernier hommage le jour des obsèques.

Jean Tartarin décoré de la Légion d’Honneur

Jean Tartarin n’est plus. Il était le dernier déporté survivant du réseau Louis Renard, réseau créé le premier en France, le 31 août 1940. Au martyrologue de ce réseau : 10 membres décapités à la prison de Wolfenbuttel, le matin du 3 décembre 1943, il y a 65 ans, 17 morts dans l’univers concentrationnaire sur 29 arrêtés dans une première vague, puis une seconde vague d’arrestations en mars 1944. Jean Tartarin était le dernier témoin.

Prenant en cet instant la parole au nom des quelques compagnons du réseau Louis Renard, de la Fondation de la France Libre, des Médaillés de la Résistance, de la Société d’entraide des membres de la Légion d’Honneur auxquels appartenait le disparu, me font un devoir de porter témoignage de ce que fut Jean Tartarin.
La perte d’un ami fait aussitôt mesurer la place qu’il tenait dans nos pensées ; elle nous fait ressentir peine et chagrin et entrevoir l’image que nous conservions de lui. La disparition de notre ami nous endeuille et nous laisse dans une profonde tristesse. Brusquement un vide s’est ouvert. Avec lui nous perdons un de ces hommes dont on ne peut parler qu’en bien, tant sa personne forçait l’estime. Un homme attaché aux valeurs fondamentales, ancré si résolument dans ses convictions qu’il ne pouvait transiger et les laisser remettre en question. Il était unanimement apprécié pour sa droiture, sa fidélité dans l’amitié, son sens de l’équité, l’intérêt qu’il portait à chacun, cette façon qu’il avait de savoir vous accueillir, écouter et comprendre les autres. Il était connu pour sa sagesse. Ses jugements étaient sains, il était de ceux vers qui on se tourne pour quêter un conseil.

Cet équilibre, cette sérénité d’esprit, s’assortissaient aussi de fermeté de caractère : il était à la fois un homme de pondération et un homme d’action. Il ne se voulait pas démonstratif ; sa discrétion et sa modestie étaient si grandes qu’elles ne s’exerçaient pas seulement vis-à-vis d’autrui, car il savait les appliquer à lui-même dans sa vie intérieure.

Parlant un jour de la Résistance, un sujet sur lequel il aurait pu se faire valoir, il me confiait : << Quand je revois ce que j’ai fait, je me demande quelquefois si c’est bien moi qui le faisait >>. Il n’avait pourtant pas à en douter, c’était bien lui, mais en évoquant sa participation à un épisode de la Résistance – qui aurait pu s’écrire comme une page d’héroïsme – il ne cherchait pas à grossir son rôle et il en parlait plutôt avec une sorte d’humilité.

Pourtant ce qu’il venait de rappeler n’était pas une mince affaire. Il s’agissait d’opérations de parachutage de matériels et d’atterrissage d’appareils alliés auxquels il avait pris part, par la reconnaissance des terrains, l’établissement de fausses cartes d’identité qui sauvèrent de la mort des dizaines de prisonniers évadés, de résistants recherchés par la Gestapo, de familles juives, sans compter les missions périlleuses auxquelles il participa.

On a tendance à relater maintenant ces choses en les banalisant, mais nous savons combien il fallait avoir l’âme bien trempée pour accomplir ces actions à hauts risques en 1943, en territoire occupé, avec seulement une poignée d’hommes en se sachant à la merci d’une curiosité, d’une indiscrétion ou tout simplement d’une patrouille ennemie.

Je ne retracerai pas la carrière de Jean dans la Résistance. Nous savons qu’elle est une longue suite d’actions aussi dangereuses les unes que les autres. Mais je dirai ce qui mérite d’être souligné. Nous le savons, les entreprises des hommes naissent souvent de la volonté de pionniers, de précurseurs, qui montrent la voie et ouvrent le chemin. Ainsi en a-il été dans la Résistance et dans son avant-garde, Jean Tartarin s’est trouvé parmi les premiers à s’engager.

A cette époque, nous sortions à peine d’une situation désespérée, les signes annonçant une victoire n’apparaissaient pas encore ; il fallait vraiment envisager avec confiance l’avenir de notre pays pour se lancer dans l’aventure. Chacun avait sa formation, son caractère. Le profil de Jean était celui du silence et du sang-froid. Il avait foi dans le destin de la France, le refus de la soumission et de l’oppression, la détermination de combattre pour la reconquête des libertés et la libération du territoire national. Jean avait choisi cet engagement, il en acceptait tous les risques, il était prêt à tous les sacrifices. Tel était notre ami : un homme tranquille dans la Résistance, un homme courageux et solide.

Il était entré dans le réseau Renard dès 1941, il avait 18 ans, à l’instigation de son patron d’alors, M. Aimé, relieur à Poitiers, mort en déportation, qui avait jugé de la valeur de l’homme. Arrêté en mars 1944 lors de la seconde vague d’arrestations qui finit de décimer le réseau, il fut interné à la prison de la Pierre-Levée, puis à Fresnes et déporté au Struthof de sinistre mémoire, et ensuite emmené au kommando Allach, avant de finir à Dachau d’où il fut le 30 avril 1945, libéré par la 8ème armée américaine.

De cette résistance et déportation, il lui restait maints souvenirs, et également la nostalgie de cette fraternité acquise dans les moments difficiles, et affermie par les épreuves. Il souhaitait la continuer et la faire revivre. C’est pourquoi il s’engage auprès des jeunes des lycées et collèges de la Touraine et de la Vienne, les accompagnant en Allemagne tous les ans jusqu’en 2006 et fréquemment au camp du Struthof. La rosette de la Légion d’Honneur, la plus haute distinction nationale, était venu récompenser son action. Il fut aussi président de l’UNADIF-FNDIR de la Touraine pendant plus d’une décennie, aidant au maximum ses camarades déportés ou anciens de la Résistance. Pour eux, il était Jean << le grand >> comme on l’appelait en famille. Là encore sa générosité était grande, son cœur ouvert à tous.

Chère Madame, chers enfants et petits-enfants, votre mari, votre père, votre grand-père fut un résistant authentique et exemplaire. La grande séparation qui vous touche aujourd’hui est une épreuve cruelle. Je veux dire en mon nom personnel et celui des associations que je représente ici nos sentiments d’affection et de fraternelle amitié. Jean demeurera toujours présent dans nos mémoires. Il fut pour nous, ses compagnons, un exemple et un frère respecté, admiré et aimé.

Roland Barrat
10 septembre 2008