Henri Martin, combattant de l’armée de la libération – témoignage

Je m’appelle Henri Martin, je suis né le 11 décembre 1921 à Poitiers. Après mon Certificat d’études primaires, j’ai fait deux ans d’apprentissage dans l’alimentaire. Au moment où a éclaté la Seconde Guerre mondiale, j’étais un jeune commis dans une épicerie rue Carnot à Poitiers. En 1941-1942, les réseaux de résistance étaient peu connus, il fallait avoir des relations et être informé pour participer à une action de résistance. Par ailleurs, l’occupant allemand avait besoin de travailleurs pour soutenir son effort de guerre et recrutait en territoire conquis. L’Allemagne sollicita d’abord des volontaires, mais cette demande se solda par un échec. Nous vivions alors dans la crainte d’être raflés par les Allemands, soit parce qu’un acte de résistance avait été commis ou pour nous envoyer travailler en Allemagne. C’est pourquoi, durant l’été 1942, j’ai d’abord décidé de me cacher quelque temps à la campagne, à Saint-Georges-les-Baillargeaux.

1945. Henri Martin, en Allemagne, après la victoire. (Collection privée famille Martin)

De retour à Poitiers, j’ai été prévenu par des employés du bureau de recrutement de l’armée que le Service du travail obligatoire (STO) serait bientôt institué. J’ai décidé sur leurs conseils de rejoindre l’Afrique du Nord (AFN) avec un autre camarade : en septembre 1942, nous avons ainsi signé un engagement dans l’armée d’armistice au 4e régiment de tirailleurs marocains (4e RTM). Nous sommes donc partis de Poitiers pour rejoindre notre unité à Casablanca. Après avoir passé la ligne de démarcation, nous avons été dirigés sur Valence (dans la Drôme) à la caserne de la Tour Maubourt, qui était un centre d’attente. En effet, depuis l’armistice du 22 juin 1940 l’armée française étant limitée à 100 000 hommes dans l’hexagone et à 120 000 en AFN, il fallait un démobilisé pour un engagé. Las

d’attendre la place qui ne venait pas, le 30 octobre 1942 on nous proposa un départ pour Tunis dans le 4e régiment mixte de zouaves et tirailleurs (4e RMZT). C’est ainsi que le 31 octobre nous avons eu la chance d’embarquer sur l’un des derniers bateaux (le bateau gouverneur « Général Guédon ») qui partit de Marseille pour Tunis, avant l’invasion de la zone libre par les Allemands le 11 novembre. Nous sommes arrivés à Tunis le 3 novembre.

Le 8, juste après notre arrivée, eut lieu le débarquement des Alliés en Algérie et au Maroc. Il y eut alors des combats entre les Alliés anglo-américains et l’armée d’Afrique. Ces combats terrestres et navals ont été assez violents, avec des victimes des deux côtés. Mais tout est rapidement rentré dans l’ordre. Au moment du débarquement allié, les relations entre l’AFN et la métropole ont été rompues. Toute l’armée d’Afrique a donc rejoint le camp des Alliés, ce qui était espéré depuis longtemps. Nous avons alors appris que les Allemands venaient de débarquer sur le terrain d’aviation de Tunis et de Bizerte. Ils cherchaient ainsi à occuper la Tunisie pour se diriger vers l’Algérie et aussi faire la liaison avec l’armée allemande de Rommel, qui se trouvait en Libye, et qui reculait devant la 8e armée anglaise du général Montgomery.

Nos unités ont dû décrocher sur des positions prévues à l’avance. Les régiments de Tunis se sont donc repliés sur Medjaz-el-Bab et Oued Zarga dans la nuit du 11 au 12 novembre, emmenant leur matériel et leurs munitions, de manière à former un bouclier dans l’attente de l’arrivée des Alliés. Je suis donc parti de Tunis pour Medjaz-El-Bab en temps que fantassin voltigeur, sous les ordres du sergent Marchand, au sein du 2e bataillon du 4e RMZT. Le 10 décembre, une attaque de chars allemands dans ce secteur a été repoussée par nos vaillants artilleurs. Nous étions alors terrés dans des trous (de type Gamelin) avec nos mousquetons, comme seule défense !

Le 18 décembre, nous avons été relevés par le 3e régiment de tirailleurs algériens mais nous sommes remonté au front dès le 23 décembre. La nuit de Noël, en guise de cadeau, nous avons essuyé une attaque allemande, qui nous a infligé une pluie continuelle d’obus. Au cours de cette nuit, allant de position en position, l’aumônier du régiment disait une messe pour ceux qui le voulaient ou qui le pouvaient. Cette messe se déroula dans une maison délabrée, avec une seule bougie en guise d’éclairage. C’était émouvant !

Durant ces combats nous nous sommes vraiment accrochés alors que nous avions un très mauvais équipement. On était équipé comme nos parents en 14-18 : bandes molletières, vieux mousquetons… Les conditions de vie était également rudes : par exemple, pour pouvoir se laver, il n’y avait que les eaux salées des oueds, c’était douloureux. Je me rappelle avoir fait, avec la queue de chemise, ce qu’on appelait des chaussettes russes pour s’enrouler les pieds. Et au moment de les enlever, elles étaient collées à mes pieds !

Pendant le mois de janvier 1943 nous sommes restés dans les différents secteurs autour de Medjaz-El-Bab. Pendant une offensive de chars alliés, avec mes camarades fantassins nous assistions à l’attaque au fond d’un trou, sans malheureusement voir ce qui se passait. Nous fûmes tout d’abord heureux d’entendre l’avancée des chars anglais, puis déçus et inquiets d’entendre ces mêmes chars ensuite reculer, suite à l’échec de leur offensive.

Le 23 janvier 1943, nous avons été remis à la disposition du commandement français, pour une destination inconnue (soit disant en permission). Le 2e bataillon du 4e RMZT devait en fait assurer la garde du terrain d’aviation de Youks-les-Bains, aux abords de Tébessa en Algérie, où nous sommes arrivés le 30 janvier. Durant cette garde, nous patrouillions continuellement autour du terrain d’aviation, à la recherche d’éventuels parachutistes allemands, mais aucun ne se présenta. Le 14 février, Rommel déclencha son offensive en direction de Tébessa : ce fut la fameuse bataille du col de Kasserine, tout près de Tébessa, qui fut enrayée par les contre-attaques alliés, terrestres et aériennes.

Nous avons ensuite été dirigés sur Bône, où on nous a confiés la protection de son fort et la surveillance de la côte algérienne. Le 26 avril, on a commencé à avoir un meilleur équipement, enfin ! Le 5 mai, mon régiment s’est regroupé pour participer avec les Alliés à l’attaque finale en direction de Tunis et Bizerte. Par le sud arrivaient la 8e armée du général Montgomery ainsi que la 1ère DFL (1ère division française libre) et la colonne Leclerc. Les Alliés ont gagné la bataille de Tunis le 8 mai 1943, marquant ainsi la fin de la campagne de Tunisie : il n’y avait donc plus de troupes germano-italiennes en AFN. La reddition de nos adversaires provoqua des colonnes de prisonniers innombrables. Cela me fit penser à nos aînés qui en juin 1940 subirent le même sort et étaient toujours prisonniers en Allemagne. Pauvres de tous ! C’est pas beau la guerre.

Les mois qui suivirent la fin de la campagne de Tunisie nous ont permis d’apprendre à utiliser notre nouveau matériel, dont une partie avait été récupérée sur les Allemands. Au cours de cette période nous nous sommes beaucoup entraînés, faisant par exemple des manœuvres à tirs réels. Le 3 décembre 1943, mon régiment a quitté Tunis pour l’Algérie. Notre 2e bataillon s’est retrouvé dans la région d’Atadba-Coléa. C’est ici que nous avons commencé à toucher le matériel américain : jeeps, chars légers, obusiers… Notre Noël 43 fut bien meilleur que celui de 42 !

Le 1er janvier 1944, le 4e RMZT est redevenu le 4e régiment de zouaves. Le 6 février, mon bataillon est passé à la 1ère demi-brigade de zouaves, pour devenir le 3e bataillon de zouaves portés (3e BZP) de la 1ère division blindée (1ère DB). Je me suis alors retrouvé mitrailleur-mécanicien sur la tourelle d’un half-track. Le personnel d’un half-track était alors composé d’un sergent, d’un chauffeur, d’un mitrailleur-mécanicien, chargé de la mitrailleuse de 7×7 mm qui surmontait la tourelle du véhicule et de quatre à six voltigeurs, qui avaient chacun une mitrailleuse. Notre half-track était sous le commandement du sergent Petit. Ici commence un nouvel épisode en vue de la reconquête.

Je me suis retrouvé au 1er Combat Command de la 1ère DB. A cette époque une division blindée comprenait :
– un Etat-major ;
– trois Combat Command (Groupe de Combat) ;
– diverses unités complémentaires.

Un Combat Command comprenait quant à lui :
– un commandant de groupe ;
– un commandant adjoint ;
– un régiment de cuirassiers (chars) ;
– un bataillon de zouaves ;
– un groupe d’artillerie ;
– une compagnie du génie ;
– un escadron de reconnaissance ;
– un escadron de tanks destroyer ;
– un escadron de réparation divisionnaire ;
– une compagnie de bataillon médical.

Avec tout cela, on se sentait en forte confiance pour affronter l’avenir. Après de nombreux entraînements, la 1ère DB avait l’espoir de partir avec le Corps expéditionnaire français en Italie (CEFI), mais il en fut autrement. Au cours d’une de nos manoeuvres sous les yeux du général de Lattre de Tassigny, commandant de l’Armée B dont faisait partie la 1ère DB, nous avons appris par radio le débarquement de Normandie le 6 juin 1944. Aussitôt, la division s’est rassemblée au camp d’Assi Ben Okba, à 20 kilomètres d’Oran. Séjour infernal qui dura deux mois : poussière, chaleur, manque d’eau. Ce fut éprouvant.

Début août, le Combat Command 1 (CC1) est entré dans la zone de water proofing, opération qui consistait à équiper tous les véhicules pour leur permettre de circuler dans l’eau à une profondeur d’environ un mètre. Puis les opérations d’embarquement ont commencé à Oran et Mers el-Kébir. Tous ces préparatifs confirmaient notre préparation à un débarquement de vive force, mais où et quand ? Le 8 août, nous avons quitté le port vers une destination inconnue. On pensait qu’on allait en Normandie ! Nous n’avons appris notre point de débarquement qu’une fois en mer. Dans la nuit du 15 au 16 août nous sommes arrivés face aux côtes de Provence. Il n’y a pas de mots pour décrire l’émotion que nous avons alors ressentie…

Le CC1, avait été désigné par le général de Lattre pour être la première grande unité française à prendre pied sur la terre de France, dans le cadre du 6e corps d’armée américain. Les opérations de débarquement ont eu lieu dans la soirée du 15 et la nuit du 15 au 16 août. Je me trouvais sur un Liberty Ship, d’où je suis descendu par une échelle de corde sur la péniche où mon half-track avait été déposé par une grue. Nous avons débarqué sur la plage de La Nartelle à Sainte-Maxime près de Saint-Raphaël, qui avait été conquise par les forces américaines. Après les opérations de dé-water proofing, le 16 au soir, le CC1 a pu disposer d’une grande partie de ses éléments. L’accueil des civils était très enthousiaste. Les premiers que nous avons croisés, nous ont demandé du haut de leur balcon et avec leur accent chantant si nous venions de loin ; nous leur avons répondu que nous arrivions d’Oran mais ils ont compris New-York, ils nous prenaient pour des Américains !

Notre mission était d’abord de consolider notre tête de pont. Mon groupe a rencontré les premières résistances au Luc puis nous avons été bloqués quelques heures au sud d’Aubagne. Au cours de ces combats, les deux half-tracks qui avançaient devant nous ont été touchés et nos camarades gravement blessés. Ils ont été vite évacués par nos braves ambulancières, qui ont fait comme à leur habitude du beau travail ! Puis, avec les unités de la 3e division d’infanterie algérienne (3e DIA) et les tabors marocains, nous avons dégagé la voie pour libérer Marseille, où nous sommes rentrés le 23 au soir, après des combats éprouvants et des pertes conséquentes en hommes et en chars. Dès le 24, mon half-track participait à la protection du PC du général Monsabert, commandant la 3e DIA, près de la mairie de la cité phocéenne. Le 28, Marseille était totalement libérée par l’armée française et les FFI, comme Toulon quelques jours auparavant.

Ensuite, ce fut la poursuite du Rhône aux Vosges. Nous avons traversé le Rhône à Avignon sur un pont de bateaux. Au cous de notre remontée, nous avons libéré plusieurs villes au cours du mois de septembre : Annonay, Macôn, Châlon-sur-Saône, Beaune, Dijon, Nuits-Saint-Georges, Langres. Le 12 septembre, à Châtillon, les troupes venant de Provence ont fait leur jonction avec celles de Normandie et particulièrement la 2e DB du général Leclerc. Parallèlement, à Autun, les unités FFI en provenance du Sud-Ouest, dont le Corps Franc Pommiès, ont rejoint l’Armée B, qui est devenue la Première armée française.

Après Langres nous avons traversé notamment Port-sur-Saône et Lure pour arriver au pied des Vosges, où nous avons été bloqués à partir du 20 septembre dans les secteurs de Melisey et Faucogney. Le 27, nous avons pris position au col du Mont de Fourche, qui domine Rupt-sur-Moselle. Dans les Vosges, nous avons été accueillis à bras ouverts par la population ! C’était extraordinaire ! Mais cette région fut aussi marquée par de forts combats. Dans ce secteur, un évènement m’a particulièrement marqué. Ma manie du casse-croûte m’a poussé un soir à me préparer une bonne soupe, grâce aux vivres que la population locale m’avait gentiment données… Après avoir creusé mon trou d’abri pour passer la nuit, je suis allé voir si cette soupe cuisait bien. Avant mon retour un obus était tombé sur son emplacement, il ne restait rien de ma soupe. Ouf ! J’ai vraiment eu de la chance cette nuit là.

Quelques temps après, j’ai reçu un ordre d’affectation au PC du bataillon, comme ordonnance du commandant du bataillon Michel Létang. Bien que je regrettais de quitter mes camarades, je ne pouvais qu’obéir à cette nouvelle affectation : un ordre est un ordre ! J’ai donc été mis à la disposition de ce chef. Pour moi commençait un autre travail, certes moins dur, mais plus instructif, et plus près des opérations. Je devais notamment guider le commandant sur le terrain en m’aidant des cartes d’Etat-major, exercice difficile pour un novice en la matière.

Au mois de novembre, après avoir été relevé des positions que nous tenions, nous avons été mis au repos à Fleurey les Favernay, en Haute-Saône. Nous avons assisté à Vesoul aux commémorations du 11 novembre. Après le 11 novembre un ordre est arrivé, nous annonçant que nous devions rejoindre Royan, où le CC1 devait être engagé pour reprendre les poches allemandes de l’Atlantique. Changement de programme ! Le 14 novembre commençaient les opérations pour la libération de l’Alsace.

L’ordre de Royan était en fait une diversion consistant à relâcher la vigilance des Allemands. Toutes les grandes unités françaises se sont alors mises en action. Le Rhin fut atteint le 19 novembre, Mulhouse libérée le 23. Deux jours après j’y rentrais avec le PC de mon bataillon, que notre commandant installa au nord de la ville, où le front était stabilisé. Un jour, dans ce secteur, alors que mon commandant et moi-même foncions sur la route avec notre véhicule, deux chars nous ont fait signe de ne pas nous engager sur le pont qui se trouvait devant nous. Mon commandant, qui conduisait le véhicule, n’avait pas remarqué ces signes, que je suis me suis empressé de lui signaler ; il s’est alors ravisé et a fait immédiatement demi-tour au début du pont. Heureusement car à l’autre extrémité se trouvaient les Allemands !

La résistance farouche des unités allemandes nous a contraints à rester au nord de Mulhouse jusqu’à Noël ! Le commandant, quant à lui, a été promu lieutenant-colonel et nommé commandant de la première brigade de zouaves. En janvier 1945, a débuté l’offensive qui devait liquider la poche de résistance allemande de Colmar. La bataille a été très dure, mais victorieuse, et le 9 février, toute l’Alsace était enfin libérée. Le 20 mars, nous avons été mis au repos en prévision des actions futures dans la belle région de Riquewihr et Ribeauvillé.

Nous sommes entrés en Allemagne en avril. Nous avons traversé Freudenstadt, ville allemande en flamme. Le 21 avril, le groupement Vallin du CC1 a atteint le Danube à Mühlheim. Le 22, le même groupement s’est emparé en fin de matinée de Sigmaringen, château des grandes familles allemandes où s’étaient installés temporairement des membres du gouvernement de Vichy. Le 24, la ville d’Ulm était occupée par les Français au sud et les Américains au nord. Après Ulm, la Première armée française est devenue l’armée Rhin et Danube ! Pour ma part, le PC de mon bataillon a avancé jusqu’à Biberach, au sud d’Ulm. Dans la nuit du 7 au 8 mai, nous avons reçu l’ordre de rejoindre la région de Landau dans le Palatinat. Arrivés là-bas le 8, nous avons entendu à la radio française les parisiens fêtant la victoire. Nous, nous avons célébré la fin de la guerre avec le bon vin de la cave de nos hôtes ! C’était très sympathique !

Début octobre 1945, notre division a quitté l’Allemagne. De retour en France, elle a stationné entre Bourges et Angoulême. Avec le PC de mon bataillon je me suis installé à Limoges, où j’ai été démobilisé le 10 octobre.

De retour à la vie civile, j’ai fait carrière dans la représentation alimentaire, en restant fidèle à l’association Rhin et Danube, dont je suis le porte-drapeau du département de la Vienne depuis de nombreuses années, afin de perpétuer le devoir de mémoire envers nos camarades.

(Témoignage recueilli et retranscrit par le collège Camille Guérin de Poitiers en 2008)