Edith Augustin

EDITH AUGUSTIN, ALBERT ROQUET, EUGENE ET MARIE TILLET,

Résistants du groupe « Alliance ».

Edith Augustin

Edith Augustin est née en 1895 à Chauvigny. Son cousin, Albert Roquet est né en 1903, lui aussi à Chauvigny. Edith et Albert étaient voisins. Obligée de quitter l’école, Edith entre en apprentissage à Poitiers, vers l’âge de 12 ou 13 ans. Son apprentissage terminé, elle reste à Poitiers et devient vendeuse. Albert, de son côté, a le goût de l’aventure. Après son service militaire, il part en Sierra Leone durant quelques années. À son retour, il trouve un emploi dans une entreprise poitevine de travaux publics.
Travailleuse et économe, Edith met de l’argent de côté. C’est ainsi qu’elle peut acheter un magasin de modes avec une amie, Marie, qui épousera Albert en 1929. En 1933, Edith qui ne s’est jamais mariée, achète une maison de campagne à Quinçay pour que ses neveux et les enfants de son cousin puissent y passer des vacances.
Après l’armistice du 22 juin 1940, le département de la Vienne est coupé en deux par la ligne de démarcation. Poitiers est en zone occupée et Chauvigny en « zone libre ». Aussitôt Edith se procure un laissez-passer (ausweis) pour pouvoir rendre visite à son père. Ses fournisseurs en articles de modes, à Paris, sont en majorité de religion israélite et, après la mise en place du statut des Juifs par la loi du 3 octobre 1940, la modiste accepte de faciliter le passage des membres de leur famille en zone non occupée. Avec l’aide de ses ouvrières, elle s’ingénie à cacher de l’argent et des bijoux appartenant à des Juifs dans des chapeaux et des colifichets. Elle passe ensuite la « frontière » à Jardres, Tercé ou Pouillé et laisse les objets chez son père à Chauvigny où les fugitifs viennent les récupérer. Une seule fois, elle est arrêtée, mais elle est relâchée.

Edith Augustin.

Tout en ayant des opinions de droite, Edith et Albert n’apprécient pas le régime de Vichy et ne supportent pas la présence des Allemands. Edith est en relation avec le réseau « Marie-Odile » qui a pour activité essentielle la récupération des aviateurs alliés. En 1942, un cousin de Marie Roquet, Orner Parnaudeau, membre du réseau « Alliance », passe à Poitiers avant de franchir la ligne de démarcation. Ce réseau, créé dès 1940 par le commandant Loustaunau-Lacau et continué par Marie-Madeleine Fourcade, est le seul mouvement de résistance à être dirigé par une femme. Il travaille en relation directe avec l’Intelligence Service et lui fournit des renseignements militaires qui sont transmis au Grand État Major Allié. Ses agents sont au nombre de trois mille et parmi eux, les permanents (environ un millier) reçoivent des noms d’animaux comme pseudonymes, si bien que les Allemands appellent ce réseau « l’Arche de Noé ». Ainsi des hommes et des femmes que rien ne paraît désigner pour l’héroïsme et l’aventure acceptent de briser le cadre étroit et paisible de leur existence pour se plier aux lois de la lutte clandestine contre l’occupant. La plupart ne savent même pas de qui proviennent les ordres qu’ils exécutent, mais tous, appartenant aux milieux les plus divers, mettent en commun leurs forces morales et matérielles au service d’un même idéal : la délivrance de la Patrie.

Le groupe poitevin du réseau « Alliance » repose sur le noyau familial constitué par Edith Augustin, Albert Roquet et ses beaux-parents, Eugène et Marie Tillet. Il est complété par Jean-Baptiste Métayer, agent des contributions directes, et Jean Kiffer, alias « Aspic », agent commercial de la maison Japy. Les liaisons du groupe avec celui de La Rochelle sont assurées par Louis Gravot, alias « Cabillaud ». Les tâches sont réparties suivant les instructions reçues. Albert, alias « Sylvie », qui est bon dessinateur, dresse le plan d’un terrain entre Lavausseau et Latillé en vue d’un parachutage. Les coordonnées sont envoyées à Londres et l’opération est annoncée pour le mois de décembre 1943. Eugène et Marie Tillet hébergent un moment un marin des Forces Françaises Libres et cachent un poste émetteur dans une mansarde de leur maison, chemin du Petit-Étang, dans le quartier de Montmidi. Edith qui habite dans le centre de Poitiers sert de boîte aux lettres. La position des rideaux, dans la vitrine du magasin de modes, constitue un signal pour informer les agents extérieurs appartenant au réseau. Ils ne peuvent entrer que si les rideaux sont baissés et, une fois à l’intérieur de la boutique, doivent fournir le mot de passe. Certains messages sont acheminés par Edith à Chauvigny.

Albert Roquet

En septembre 1943, un agent double, Jean-Paul Lien, livre aux Allemands les noms de 200 résistants appartenant au réseau « Alliance », notamment les agents de la région Sud-ouest. Les arrestations à Poitiers sont effectuées à partir de la mi-décembre : Jean Kiffer, le 20, Albert Roquet, le 2l, les époux Tillet et Edith Augustin, le 3 I, Jean-Baptiste Métayer, le 15 janvier 1944. Une perquisition, effectuée au siège de La Fraternelle où travaille Albert, permet de découvrir, dans le coffre-fort de la société, sept kilos de cheddite (un explosif à base de chlorate de sodium ou de potassium et d’un dérivé nitré du toluène) et quatre cents détonateurs qui auraient été amenés à Poitiers, quelques jours auparavant en provenance d’un chantier situé à Availles-Limouzine. Chez Edith, les Allemands ne trouvent rien. Dès qu’elles ont aperçu les uniformes, ses ouvrières ont fait disparaître quelques documents compromettants, notamment la comptabilité abandonnée par des commerçants juifs de Paris, qu’elles ont brûlés dans le poêle.
Les six résistants sont écroués à la prison de la Pierre-Levée. Tous les membres du réseau « Alliance » qui ont été arrêtés sont alors rassemblés à la prison de Fresnes, puis transférés à Compiègne et acheminés, par convois de trente à quarante, à Strasbourg où ils sont interrogés par les services de l’Abwehr dans l’attente d’être jugés par le tribunal militaire de Fribourg-en-Brisgau. Faute de place dans les prisons du Reich, ils sont envoyés au camp de sûreté de Schirmeck-Labroque, dans le Bas-Rhin, où sont également enfermés des Alsaciens hostiles au régime nazi.
Les hommes du réseau « Alliance » sont affectés au bloc 10, une baraque en planches, comprenant un dortoir avec des châlits, un lavabo et un réfectoire. Les femmes sont détenues au « garage », ainsi nommé du fait qu’à l’origine on y remisait les voitures. Les conditions de vie sont certainement moins pénibles que dans un camp de concentration, car les détenus ne sont pas astreints au travail forcé, mais l’hygiène y est déplorable, surtout au « garage », et la discipline est rigoureuse. Les membres de l’ « Alliance » sont étiquetés « terroristes » et condamnés au secret collectif, c’est-à- dire qu’ils n’ont pas le droit de sortir de leur baraque. Ils ne peuvent entrer en relation avec les autres prisonniers et la moindre infraction au règlement disciplinaire est sévèrement punie : privation de nourriture, châtiments corporels et séjour au cachot. Au moins dans l’épreuve, Albert, son beau-père et les deux autres Poitevins d’un côté, Edith et Marie Tillet de l’autre, ont la chance de pouvoir se soutenir mutuellement.

Devant l’avance des Alliés, un ordre venu de l’OKW de Berlin (Commandement suprême des armées) décide de transférer les 107 détenus du réseau « Alliance », enfermés à Schirmeck, au camp de concentration du Struthof, situé à 2 000 mètres à vol d’oiseau, dans la montagne. Dans la nuit du 1er au 2 septembre 1944, une camionnette les transporte par groupes de douze sur la route qui monte en lacets à travers les bois de sapins. À l’intérieur du camp, les prisonniers sont conduits dans un local situé à côté des douches où ils sont obligés de se déshabiller et de se coucher à plat ventre sur le sol. On pense qu’ils ont été exécutés d’une balle dans la nuque et leurs corps sont ensuite brûlés dans le four crématoire.

Après la guerre, Edith Augustin, Albert Roquet, Eugène et Marie Tillet ont été nommés sous-lieutenants à titre posthume. Ils ont reçu la Légion d’honneur, la Croix de guerre, la médaille de la Résistance et un Certificate of service, signé du Maréchal Montgomery, pour avoir donné leur vie afin que l’Europe puisse être libre.

Jean-Marie AUGUSTIN professeur à l’Université de Poitiers

Bibliographie sommaire :

Le pays chauvinois, n° 45, 2007
Fourcade (M.-M.), L’Arche de Noé réseau Alliance 1939-1945. Plon

Article proposé et mis en ligne par Sabine Renard-Darson d’après des notes qui lui ont été confiées par Jean-Marie Augustin, neveu de Edith Augustin.