André Ravarit : martyr des marches de la mort

Joseph Fimbel rend hommage à son compagnon de déportation, André Ravarit, par ce témoignage sur les épouvantables conditions de l’évacuation des camps et la lutte de chaque instant contre la mort.

André RAVARIT

Témoignage de Joseph FIMBEL

Comment mourut un résistant poitevin, originaire de Civray ?

Responsable régional des Mouvements Unis de la Résistance (M.U.R.), dans la ferme de l’Epine à Pressac, il assurera le relais des aviateurs anglais et organisera leur retour en Angleterre. Arrêté le 6 juin 1944, déporté à Buchenwald, il mourra épuisé et exécuté le 23 avril 1945.

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Il a été arrêté par la Gestapo, guidée par un collaborateur notoire, connu sous le nom de « Judex » et son indicateur. Ils seront tous deux fusillés à la libération de Civray.

André Ravarit sera transféré à la prison de la Pierre Levée à Poitiers. Déporté en Allemagne, dans le camp de concentration de Buchenwald, il mourra épuisé et exécuté sur le bord de la route, quelques heures avant l’arrivée des libérateurs.

Voici le témoignage particulièrement émouvant de l’évacuation du camp au printemps 1945. Cette lettre a été écrite à la famille de Ravarit par l’un de ses compagnons de déportation, Joseph Fimbel, un prêtre, qui évoque les conditions dans lesquelles eut lieu l’évacuation des camps de la mort.

Il écrit à propos de son ami :

« Depuis longtemps nous étions liés. Chaque soir, nous nous retrouvions pour faire ensemble notre prière et notre acte de résignation à la mort.
André avait pu sauver son chapelet (il n’y en avait que deux au camp). Ce chapelet qu’il me prêtait parfois, avait été perdu quelques jours avant sa mort dans la paille d’une grange, au cours de la nuit.
Si personnellement j’ai maigri de 30 kg, Monsieur André n’avait plus que la peau sur les os… Grâce à une plaie aux pieds, il avait réussi à se soustraire durant environ trois semaines à sa tâche quotidienne. Pendant ces jours, Ravarit put ménager ses forces.

Le 11 avril, nous nous mettions en route pour échapper à l’avance des russes. Nous commencions une route de martyrs qui devait totaliser, le 8 mai, jour de notre libération, 440km.
André avait courageusement entrepris la marche, malgré des signes d’affaiblissement passagers. Nous nous tenions par la main, marchant comme des frères. Nous nous couchions côte à côte, et notre dernière pensée était la prière. Chaque matin, au départ, la volonté d’André s’affirmait : « J’ai bon moral, j’arriverai…, je suivrai…, ayons confiance… », etc. Puis c’était à longueur d’heure, la marche monotone, silencieuse, tête penchée en avant, jusqu’à la halte où nous reprenions l’essentiel de la conversation.
La marche se révélait pénible, un soir il se dit particulièrement fatigué. Au cours de la nuit, nous l’entendions gémir : « j’ai froid…j’ai une congestion pulmonaire. Nous le calmons, on se prive de la couverture pour lui donner à lui seul. Il repose tranquillement jusqu’au matin.

Notre première pensée « Est-il en vie », ou comme cela arrivait quotidiennement : « le corps épuisé de celui qui s’endormait était-il un cadavre ? »
« Oui », me dit son voisin. Nous étions tous en joie.
Refoulant fatigues et douleurs, nous suggestionnant pour tenir le coup, nous nous mettons sur les rangs : Colonne 2, André à mes côtés.
Il s’affaisse sur lui-même : « Allons du cran, ce n’est pas le moment de flancher ». Mais toute exhortation reste vaine. Le malade, à peine relevé, se laisse retomber dans la neige fraîchement tombée.

Ensemble, nous sortons de la ferme, ensemble nous traversons une partie du village, la colonne 2 nous dépasse complètement, puis la colonne 3.
Maurice Albord m’aide à empoigner André. Nous le portons, nous le traînons. Lui-même demande à être déposé au bord de la route. Nous nous y refusons d’abord, mais nos propres forces nous trahissent et la distance avec le gros de l’effectif augmentant, nous étions obligés d’abandonner notre cher camarade.
Pensez si j’avais le cœur gros, si l’arrêt en pleine route était un échec alors que depuis des semaines, après la mort de mes meilleurs amis, je m’étais juré de ramener au moins Ravarit.
C’est alors que je vis André se signer.
Le militaire qui fermait la marche m’ordonna de déposer André derrière une haie à 3m de la grande route, presque sous l’église qui dominait la pente assez abrupte à cet endroit, pour autant que mes souvenirs sont exacts.

« Embrasse-moi », ce que je fis avec quelle dévotion, « tu diras aux miens que j’étais courageux ».

Puis ce fût pour moi et Maurice Albord l’inévitable « los, los, schnell, schnell ».

Un dernier regard très furtif et nous continuons notre marche, 15 m, 20 m au plus, pour entendre, le bruit de la balle tirée à bout portant destinée à donner la mort. Il était environ 6 heures du matin.

Nous les avions entendues si souvent ces exécutions de nos chers malades impuissants, à poursuivre leur route, que de suite notre attention se portait en prières pour celui qui, victime et martyr, paraissait devant Dieu ».

Texte adapté de Jacques Rigaud

Bibliographie : Roger Picard, Gaston Racaud, la Vienne pendant la Seconde Guerre Mondiale, tome 3, CRDP de la Vienne.