La ligne de chemin de fer et la gare de Saint Saviol : objectif important pour les alliés et la Résistance intérieure

Durant la période d’occupation l’armée allemande, à cours de carburant et de véhicules, utilise intensément les transports par chemin de fer, en assurant pour leur sécurité une surveillance continue sur les voies et les installations techniques.

La gare de Saint-Saviol

La gare de Saint – Saviol se situe à mi-chemin entre Poitiers et Angoulème, sur la ligne stratégique Paris – Bordeaux – Espagne.

Aménagée en pleine campagne, il existe seulement à proximité quelques maisons et un hôtel – restaurant. Gare de bifurcation avec la ligne de Lussac les Châteaux partiellement exploitée, ainsi qu’une ancienne liaison avec la ligne des Chemins de Fer Economiques des Deux – Sèvres, elle dispose d’installations techniques considérables permettant le stationnement de convois de grande longueur, avec éventuellement la possibilité d’embarquer et de débarquer du matériel lourd. Considérant ces possibilités pour ses transports militaires, l’occupant s’est intéressé à ces installations isolées et a envisagé leur utilisation lors des interruptions de circulation, avec la possibilité non négligeable dans ce cas de reporter les acheminements sur les accès routiers à proximité : RN10 Bordeaux – Paris et RN148 côte Atlantique vers le centre et au-delà.
A – LES ACTIONS DES COMBATTANTS
– Par les maquis :
Dans cette région isolée et boisée, la Résistance intérieure française prend conscience que ce secteur, lieu de passage important de l’armée d’occupation du fait de l’existence de ces voies de communication tant ferroviaires que routières, est propice à mener des actions militaires contre l’ennemi, dans le but de freiner sa remontée vers le front de débarquement ainsi que le demande l’Etat Major Allié à Londres et le Général de Gaulle.

Installés dans les bois et les villages isolés à la limite des départements de la Vienne, des Deux – Sèvres et de la Charente, des maquis s’organisent pour saboter les installations ferroviaires, créer des embuscades sur les routes et après avoir décroché, se replier rapidement sur les lieux de cantonnement dans la nature.

Le bilan de leurs actions dans le secteur Ruffec – Charente et Couhé( Vienne – sud ) s’établit, selon le Ministère de la Défense, à une trentaine de sabotages, ce qui est largement confirmé par les rapports d’activité des principaux maquis ayant opéré dans ce secteur : groupes de Vienne – sud côté Est et groupes FTP du côté Ouest.

-Par l’aviation alliée :
Le stationnement des convois sur les voies de la gare et l’accumulation des trains sur la ligne à la suite des sabotages bloquant les circulations, constituent pour l’aviation des Alliés des cibles faciles à repérer et à anéantir.

Pendant la période de juin à août 1944, ces avions généralement sollicités par l’Etat Major de la Résistance en possession de renseignements sur les stationnements des convois ou les circulations programmées, cela grâce aux renseignements recueillis par les agents de liaison auprès des cheminots, ont mitraillé à sept reprises les trains et les installations :

– 16 juin : mitraillage et destruction totale d’un train de munitions garé dans la nature sur la ligne de Lussac les Châteaux.

– 5 juillet : mitraillage d’un train de troupe en gare : anéantissement de nombreux militaires allemands et d’une cinquantaine de chevaux.

– 6 juillet : nouveau mitraillage en gare de Saint – Saviol.

– 10 juillet : mitraillage de locomotives en gare.

– 19 juillet : mitraillage des installations ferrées et d’un train de matériaux assurant la remise en état des voies sabotées.

– 26 août : mitraillage de deux trains en partie détruits et incendiés.

– 28 août : survol d’avions de la ligne devenue sans trains et mitraillage sur la RN10 des derniers convois allemands.

B – CONSEQUENCES SUR LA VIE DES RIVERAINS ET DES CHEMINOTS

Durant cette période, les habitants de Saint – Saviol et les cheminots de la gare ont vécu nuits et jours dans la peur de ces mitraillages et de leurs conséquences pour eux et leurs biens, mais aussi avec la crainte des réactions des occupants installés tout autour de la gare, avec postes d’observation sur les toits et armés, eux-mêmes vivant sur le qui-vive et devant se procurer par tous les moyens les vivres et autres produits nécessaires à leur survie, notamment en profitant de l’absence des habitants qui s’éloignaient dans les villages voisins, souvent la nuit, pour leur sécurité.

En plus des témoignages des habitants, nous avons relevé dans le petit journal « Murmures d’Abeilles » des élèves de l’école publique locale rédigé après la Libération , quelques passages donnant un aperçu des mesures contraignantes et souvent vexatoires imposées à la population locale par l’occupant :

– garde des voies ferrées par les habitants « munis de gourdins » en attendant que l’occupant puisse le faire.

– garde des wagons dans la gare par les habitants.

– obligation à tous (hommes et femmes entre 18 et 60 ans) de couper le bois et les haies en bordure de la ligne de chemin de fer.

– ramassage des engins non éclatés et divers répandus sur le sol après les mitraillages.

– mise en terre des chevaux et autres tués au cours des mitraillages (50 le 5 juillet).

– pillage de maisons, notamment vivres et ustensiles et destruction de ce qu’ils ne pouvaient emporter.

– obligation faite dans les écoles, aux élèves qui subissaient la pénurie de chaussures, de parcourir les champs pour ramasser les doryphores.

Et aussi quelques souvenirs exprimés par les enfants de l’école à cette période dans leur bulletin : « Murmures d’Abeilles » :

« Le 16 juin, une escadrille d’avions passe au-dessus de nous. On se mit à les compter : une trentaine. Ils se mirent à tourbillonner, un descendit en tirant avec sa mitrailleuse sans atteindre le train. Un deuxième en fit autant et une forte détonation retentit suivie de nombreuses autres durant un jour et une nuit ».

« Nous vîmes arriver une auto avec un drapeau tricolore devant le radiateur. Les maquisards nous demandèrent de nous éloigner, coupèrent les fils téléphoniques et entrèrent dans le bâtiment de la prise d’eau. Ils en ressortirent rapidement et montèrent dans la voiture qui les attendait. Une minute après, la prise d’eau s’écroula dans un grand bruit ».

« Le 28 août, mon oncle et son beau-frère s’en allaient tranquillement à pied, leur bicyclette à la main, passant devant les Allemands qui les arrêtent. Ils sont gardés un quart d’heure , puis les Allemands les font passer de l’autre côté de la route et les fusillent ».

« Dans la soirée du 28 août, sept trains passent à la suite des uns des autres. Le train de tête transporte les ouvriers avec du matériel pour remettre la voie en état. Les trains se suivent sans interruption pour éviter les sabotages, mais le dernier restera à Saint – Saviol car la locomotive perd son eau. Dernier passage de trains allemands ».

Ce fut effectivement le dernier passage des trains de l’armée d’occupation nazie dans le secteur. D’ailleurs ils n’allèrent pas loin du fait des sabotages quasi permanents et de l’aviation alliée qui veillait. Ce fut aussi le retour au calme pour cette population qui pendant trois mois a « vécu en première ligne » et a supporté les contraintes imposées par l’armée allemande d’occupation.

Sans conteste, ce secteur fut pendant cette période un des plus animés et dangereux du département de la Vienne.

Texte rédigé par Jacques Rigaud, acteur et témoin des faits relatés.

Documentation :

– Maquis D2 BAYARD de Jean TARRADE.
Historique des unités de la Résistance du Ministère de la Défense.

Témoignages des habitants et élèves de l’école locale (extraits du journal de l’école : »Murmures d’Abeilles »).