Version de M. Lucien Sommen

La Libération de Poitiers : témoignage de Candide (Lucien Sommen)
Lucien Sommen, alias Christian Vallin, célèbre résistant du département de la Vienne, d’origine lorraine (décédé en 2002), proche du Général De Gaulle, livre par écrit sa version de la Libération de Poitiers, sous le pseudonyme de Candide, le 26 août 1994, 5O ans après les faits.

 » Les jours précédant le 5 [septembre 1944], Candide avait assisté avec bonheur à la retraite de l’armée allemande sur le sol national. Retraite d’ailleurs peu glorieuse comme toutes les retraites : « piétaille » se déplaçant sur des véhicules hétéroclites ou pédestrement, mêlant soldats de la Wehrmacht de toutes armes aux supplétifs recrutés parmi les Slovaques, les Russes Blancs de l’Armée Vlassov, les gurkas d’un régiment hindou, personnels des KreisKommandanturen et quelquefois même, membres du S.D. et de la Gestapo, comme ce fut le cas des services de Poitiers.

Spectacle revanche, puisque quatre ans plus tôt, l’armée française se trâinait de façon identique sur ces mêmes routes, à la différence près que les directions avaient varié : de nord – sud, on en était maintenant à ouest-est. »

LE CONTEXTE

« L’avant-veille, Candide, accompagné d’un citoyen suisse résidant à Poitiers, lors d’une entrevue à Croutelle, proposait dans l’honneur, une reddition des éléments allemands encore sur le territoire poitevin. [Cette proposition est faite au] Général ELSTER, Commandant de la 278e division d’Infanterie et Commandant de la place de Mont de Marsan, que le Haut Commandement allemand avait chargé, comme ses confrères WÜRTZER et SCHNEIDER, au Centre et au Sud Est, de ramener le maximum de soldats allemands en Allemagne.
Réponse laconique :  » Diesen Lumpenkrämer ergebe ich mich nicht. Bringen Sie mir die Amerikaner. »
Traduction :  » A ces romanichels ( les maquis), je ne me rendrai pas. Amenez-moi les Américains. »
Seule concession : les blessés et éclopés devaient se rendre aux Autorités françaises, en l’occurence la Gendarmerie, pour être soignés dans les hôpitaux.

ELSTER en traversant l’Indre et Loire, et l’Indre, devait apprendre que les troupes
du 1° Corps d’Armée français et les éléments du 3° C.Aaméricain étaient sur le point de faire jonction dans la région de Langres- Châtillon sur Seine, et que les maquis du Morvan étaient particulièrement actifs.
Dans le même temps, le 12° C.A américain, qui poursuivait son offensive le long de la Loire, avait pris Orléans et acceptait enfin de s’occuper de la colonne ELSTER, malmenée d’une part par l’aviation alliée, d’autre part par les maquis de l’Indre. Après la signature d’un « gentlemen aggreeement » à Issoudun entre Américains et Allemands, la reddition officielle de la colonne ELSTER fut signée le lendemain au pont d’Arçay, en présence du délégué militaire F.F.I du département (MIRGUET dit SURCOUF, le S.A.S de SIMON ) et du Commandant de la 1/2 brigade F.F.I. Grand’Pierre. »

CES  » HOMMES ETRANGES » VENUS LIBERER POITIERS

« A Poitiers, l’administration d’occupation avait quitté la ville le 26 Août 1944.
Ce 5 septembre au matin, au carrefour des routes de Chauvigny, de Limoges, de Nouaillé et de Gençay, l’animation débute dès l’aube.

Isolément ou en groupe, ayant emprunté qui un camion ou camionnette à gazogène, qui une traction avant, équipée de même, qui une vieille Terrot à essence, ou simplement la bicyclette, arrivent des hommes étranges et fort bavards. La seule chose qu’ils aient en commun, c’est qu’une grande majorité arbore au bras droit un brassard, souvent tricolore, portant les sigles F.F.I. ou F.T.P.F..

Candide vient de comprendre que les Maquis arrivent pour libérer la ville de Poitiers que les Allemands viennent de libérer de leur présence.
Sous son œil plutôt narquois, mais attentif, les hommes se regroupent en formations plus ou moins importantes, et la colonne prend forme. Les chefs entourés et fébriles se reconnaissent facilement.

Ils ont pour la plupart, revêtu des uniformes naphtalinés, sortis des greniers où ils dormaient dans des coffres en bois. Rares sont cependant ceux qui ont le privilège d’arborer le  » Battle dress » anglais. Pour les coiffures de même : du képi en passant par le calot, pour en venir au béret, et pour certains originaux le casque français hérité de 40 ou le heaume de pompier.
De même, en ce qui concerne les grades, leur manifestation est des plus anachroniques : les uns, fidèles à la tradition de l’armée française de 40, portent les insignes en bas de chaque manche ( ou une seule parfois), les autres ont adopté la mode anglaise et les portent sur l’épaulette, les derniers enfin en sautoir sur les bords de la veste.
Un simple coup d’œil permettait de juger des promotions autoconférées pour des besoins d’autorité ou pour satisfaire la vanité : colonel à cinq voire six galons, capitaines à trois galons…

Les combattants arboraient en général une panoplie d’armes hétéroclite et parfois ubuesque : parmi ces dernières, on reconnaissait fort bien « la Sten », l’arme d’assaut miracle, faite de tôle, d’un entretien simpliste, et qui, pourtant, portait des « pélots de 9 mm » à un peu plus de 50 mètres. Elle ne pouvait rivaliser avec un  » Mauser 7,2 mm » ou le M.L.G 42″ le fusil mitrailleur de la Wehrmacht, armes prises à l’ennemi. Pour le folklore, on avait même sorti de leurs oubliettes des « Lebel »de l’avant dernière guerre et des pistolets portés à la ceinture. Il semble que les mitrailleuses anglaises  » Bren » étaient aussi rares que les engins destinés à l’artillerie d’une formation importante : « bazookas »anglais ou mortiers de « 60 » récupérés.
Si l’on voyait pointer des fusils de chasse, c’est que leurs propriétaires les avaient sauvés de la réquisition et semblaient tout heureux de participer à la fête en attendant la prochaine ouverture de la chasse.
Ceux qui n’avaient pas d’armes suivaient les bras ballants en essayant d’afficher un air martial.

On avait également sorti quelques drapeaux tricolores de sociétés patriotiques, d’autres plus modestes sortis de leur cachette ou simplement fabriqués à la hâte pour l’occasion. Mais tous flottaient dans un air de liberté retrouvée dans un air de fête.
Certains chefs avaient fait assaut de coquetterie, quelques uns préférant le genre « cavalier » chaussaient des bottes, d’autres arboraient la chèche, nostalgiques du ciel d’Afrique ou du Moyen Orient. Qu’allait donc pouvoir arborer le pauvre « pèquenot » sorti pour l’occasion de son bocage poitevin ? « 

LA PRISE DE POSSESSION DE POITIERS :

UNE FOULE EN LIESSE MAIS UN CANDIDE DUBITATIF

« Après d’ultimes tractations concernant l’ordonnancement de la colonne procédant à la prise de possession de Poitiers par l’Armée Secrète.
Des éléments se mettent en marche vers le Centre Ville. Précédés de drapeaux et des inévitables tractions-avant portant pour la plupart la Croix de Lorraine sur les flancs, l’État Major F.F.I suit, ainsi que l’ensemble des uniformes par le faubourg du Pont Neuf, la Rue Jean Jaurès, pour aboutir à la Place d’Armes sous les applaudissements de la foule.

Candide se bornera à son rôle d’observateur et n’assistera pas au triomphe que réservera la population en liesse après tant d’années de privations aux valeureux combattants de la onzième heure. Nouvellement installé dans ses bureaux mis à sa disposition par Madame La Générale Gallet, avenue de Bordeaux, il a mesuré l’ingratitude momentanée envers ceux qui avaient préparé cet évènement, qui sans eux, n’aurait pu avoir lieu.

De plus, la mémoire populaire est courte : on oublie que les combats continuent à l’est de notre pays, que des soldats français ou alliés continuent à se battre et combattront jusqu’au 8 mai 1945. Peu nombreux seront d’ailleurs parmi la horde des combattants ayant envahi Poitiers, ceux qui auront l’intention de persévérer dans le combat pour la Victoire finale : combien rejoindront la 2° D.B, la 1° Armée, à l’instar de leurs camarades du Périgord ou de Toulouse ? Certains d’entre eux, certes assumeront le bouclage des poches de La Rochelle et de St Nazaire. »

LA CRAINTE D’UNE RECUPERATION POLITIQUE

et LE SOURIRE A LA VICTOIRE

 » La récupération politique est déjà dans l’air, que ce soit au sein du C.D.L, des Comités locaux de Libération ou des Comités d’épuration.
Candide est perplexe. Tant de gens pour se targuer d’avoir fait de la Résistance, pour avoir participé à la Libération entre la mi-juillet et la fin août 1944, et en tirer gloire, lui semble une injure à ceux qui ont incarné et représenté la Résistance française depuis 1940 au péril de leur vie. Ses compagnons de combats méritaient eux aussi la reconnaissance d’un peuple soumis et libéré par leurs efforts.
Et seul en ce jour qui fera date dans l’histoire locale, il rendra hommage à celui qui incarne la Résistance : Charles De Gaulle, à ses amis des réseaux et des mouvements , à ceux des Glières, du Vercors, du Mont Mouchet, à Jean Moulin, Pierre Brossolette, et j’en passe, aux officiers et soldats de la 2° D.B, de la 1° Armée, aux aviateurs et marins F.F.L, à tous ceux qui ont participé dès 1940 à l’élaboration d’une Résistance intérieure. Il songera également : aux décapités du réseau Louis Renard , aux 135 fusillés de la butte de Biard, à ses amis de Libé-Nord et de l’O.C.M, disparus dans la nuit de la déportation, aux malheureuses victimes des bombardements alliés.

Un mois plus tard, fidèle au G.P.R.F ( Gouvernement Provisoire de la République Française) et à son Président, il évitera la sécession…en assistant le Commissaire de la République au cours des journées troubles du début décembre 1944.
Puis, lassé d’une situation où le politique avait pris le dessus, il suivra ailleurs le combat pour l’extermination du 3° Reich nazi. Le 8 mai 1945, il sourira à la Victoire. »

Signé :
Ce 26 Août 1994, jour où en 1944, Poitiers connut la « libération » par le départ de l’administration allemande. Une page de l’histoire locale était tournée.
CANDIDE, alias Christian VALLIN RAE 94.

CONCLUSION POUR L’HISTOIRE :

DES REPRESENTATIONS PLURIELLES DE LA LIBÉRATION

Si cette version n’engage que son auteur, empreint d’une incontestable ironie voltairienne, elle montre néanmoins l’écart entre les attentes d’un résistant « de la première heure » et les excès de ce « folklore » qui a marqué la Libération.

Elle révèle aussi que, plus que le fait lui-même, c’est sa représentation qui est essentielle.

C’est pourquoi, il importe, de recueillir et confronter les versions les plus multiples pour comprendre les diverses représentations de ce fait majeur, la Libération d’un territoire occupé durant 5 ans : de la version populaire à celle du spécialiste, de la version militaire à celle d’un civil, de la version d’une femme à celle d’un homme, versions de militants politiques de diverses convictions…

A SUIVRE…

Texte écrit par Roland Barrat