Témoignage : la ferme des Ecures et la résistance civraisienne

La fille d’André et Denise RAFFOUX avait 15 ans en 1944.Comment a-t-elle vécu ces années de guerre à la ferme des Ecures ( Nord de la Charente à la limite du Civraisien) aux côtés d’un père résistant ? Elle nous livre ses souvenirs.

ANDRE ET DENISE RAFFOUX

Les Ecures 1940-1945

Texte écrit par leur fille Rolande JACUZZI

J’avais quinze ans en 1944 et mon adolescence a été marquée par les années de guerre. Ce que je vais écrire est l’ensemble de mes souvenirs, de ce qui s’est passé, de ce que nous avons vécu, ma famille et moi, à la ferme des Ecures.
Ce récit est un témoignage de reconnaissance pour mes parents, André et Denise Raffoux. Je le dédie d’abord à ma mère, personne généreuse, affable, pour qui tout être qui franchissait le seuil de sa maison, y trouvait le gîte et le couvert s’il en avait besoin. Toutes ces qualités faisaient d’elle la femme parfaite pour seconder mon père dans son action de résistant qu’il fut dès les premiers jours de l’occupation.

Mon père, fils d’un couple d’instituteurs laïcs, possédait en lui depuis toujours l’esprit républicain et un grand idéal de liberté.

« S’ils sont les maîtres que feront-ils de nous ? Ils nous déporteront dans d’autres pays et nous séparerons de nos familles » .

Telles furent les paroles de mon père en 1940 en voyant la défaite de la France et l’occupation par l’Allemagne.

JUILLET 1940 : l’installation aux Ecures

Mon père, revenu de la guerre, nous devons quitter Montalembert dans les Deux-Sèvres pour venir habiter dans la propriété agricole que mes parents avaient achetée en 1938, située au village des Ecures, commune de Pleuville, au nord de la Charente.
Mes parents, ma grand-mère, ma soeur, mon frère et moi prenons place dans la C.4. Arrivés à l’entrée de Pleuville, nous apercevons le poste allemand. Prenant la route du village de chez Mathieu, mon père demande aux habitants par où nous pourrions rejoindre les Ecures. Ceux-ci nous indiquèrent un chemin assez cahoteux mais carrossable. Nous venons de passer la ligne de démarcation. Pleuville et les Ecures étaient en zone libre ce qui sera le point déterminant pour tout ce qui se passera par la suite.
Nous nous sommes installés dans notre nouvelle habitation. Les meubles et le cheptel étaient arrivés depuis septembre 1939 et étaient sous la surveillance d’un couple, Emma et Pierre Dumousseau.

Une rentrée peu ordinaire

Ma grand-mère attendait avec angoisse des nouvelles de mon oncle qui avait été fait prisonnier. Les premières lettres arrivèrent d’Autriche où il resta cinq ans. Pour ma soeur et moi il fallait penser à la rentrée scolaire. Nos parents nous avaient acheté à chacune une bicyclette, ayant trois kilomètres à parcourir pour rejoindre l’école. Nous n’étions pas les seules nouvelles élèves de la classe. Il y avait des enfants de réfugiés et ceux des gardes mobiles qui gardaient le poste français. Je n’ai pas gardé un bon souvenir de cette rentrée. L’institutrice nous appelait par notre nom de famille et nous vouvoyait.

1941-1942 : d’une zone à l’autre

En 1941 débutait l’entrée en zone libre de gens fuyant l’occupant, alors que d’autres passaient en zone occupée pour voir la famille. C’est ainsi que mon père devint « passeur ».

En 1941 et 1942 un nombre important de personnes, quelques fois plusieurs membres d’une même famille, souvent de confession juive, aidés par mon père, franchiront la ligne de démarcation. Je ne parlerais ici que des personnes ayant séjourné assez longtemps à la ferme. Nombreux sont ceux qui n’y ont fait qu’un bref passage. Le premier prisonnier évadé qui arriva fut Eugène Michelet, maréchal- ferrant de Montalembert. Je me souviens de son arrivée dans la cour de la ferme. L’ayant reconnu, j’appelais ma mère en disant : « maman, c’est « Pedoc » » (c’était son surnom). Surprise, elle lui dit : « Mais d’où viens-tu ? » « Je leur ai faussé compagnie » répondit-il. Il resta plusieurs mois aux Ecures. Le soir, après dîner, il me faisait réciter mes leçons. Quelques mois plus tard, ce fut un prisonnier évadé d’origine russe dont la famille habitait la Charente-Maritime. Son épouse, prévenue de son retour, vint le rejoindre avec leur petit garçon.

Juillet 1941, c’est les vacances. Ma soeur a été reçue à son certificat d’études primaires. L’institutrice prenait sa retraite. A la rentrée, nous avons eu un nouvel instituteur, Monsieur Gauvin qui était un prisonnier évadé.

Les familles ne pouvaient correspondre d’une zone à l’autre. Commence alors le passage des lettres. Les correspondants écrivaient sous doubles enveloppes. Je me souviens que nous roulions les lettres dans les poignées de nos guidons de vélos, et nous allions les déposer chez Madeleine Charroux, une habitante du village de la Courcelle où le facteur, desservant les villages occupés, les prenait.

Le soir, à mon retour de l’école, ma soeur me faisait le compte- rendu des événements de la journée. Le fils d’une famille juive en passant dans un chemin était tombé dans la boue. Ma mère lui avait lavé et fait sécher ses vêtements afin qu’il puisse repartir.

La Russie était entrée en guerre avec l’Allemagne, les communistes français traqués par les Allemands furent contraints de quitter la zone occupée. Ce fut le cas d’Armand Gadioux, arrivé le premier, puis Léon Sellier et son fils Roger un peu plus tard. Tous les trois venaient de Montalembert. Monsieur Girard (c’était son nom de guerre) fut le troisième prisonnier évadé qui séjourna quelques mois. Il était viticulteur dans la région de Cognac. Il avait été conduit aux Ecures par Monsieur Naffrechoux de Saint-Saviol dont il était le beau frère. Pour tous ces hommes qui participaient plus ou moins aux travaux de la ferme, il fallait installer des lits, nettoyer les chambres, laver les draps. Ma mère supervisait tout ça ainsi que la préparation des repas, rendue possible grâce aux produits de la ferme. Néanmoins, il y avait pénurie pour les produits d’épicerie, ceux-ci étant obtenus avec des cartes d’alimentation. Le pain était également rationné. Certains boulangers donnaient du pain en échange de sacs de blé. La chasse étant interdite, le gibier était abondant. Mon père partait tôt le matin avec son fusil et ramenait un lièvre ou plusieurs lapins, quelques fois un faisan, ce qui améliorait les repas.

La seule distraction des jeunes était de se retrouver dans les cafés de Pleuville. Un soir, la TSF des Allemands fut prise dans leur guérite. Le lendemain, à l’aube, la police de Limoges était dans la cour. Quand mon père ouvrit la porte de la maison, quatre hommes descendirent d’une voiture en disant « Police, monsieur, nous avons ordre de perquisitionner. Armand Gadioux qui loge chez vous est accusé d’avoir dérobé une TSF qui appartient aux Allemands » . Ma mère avait entendu le mot  » police « . Prétextant de faire sortir la chienne, elle alla avertir Gadioux et les autres de l’arrivée de la police. « Où va cette dame ? » demanda un policier. « Elle va s’occuper de notre petit garçon » dit mon père. Armand Gadioux possédait des couteaux dits de chasse que son frère qui habitait Saint Etienne lui avait envoyés. Il s’empressa d’aller les cacher.

J’ai le souvenir précis de ces policiers qui ouvraient les meubles, les tiroirs, les placards. Silencieux, froids, ils étaient impressionnants. A l’un deux qui ouvrait une boîte sur la cheminé mon père lui dit :
« Pensez-vous trouver une TSF dans une boîte à sucre ? » Remarque qui resta sans réponse. L’heure arriva pour moi de partir à l’école. Un des policiers me fit ouvrir mon sac en disant « Tu ne dis à personne que nous sommes ici ». Ayant expliqué à l’instituteur qui me le demandait la raison de mon retard, il me dit : « Va à ta place et ne dis rien ».
Armand Gadioux et Roger Sellier furent emmenés et interrogés à la mairie de Pleuville, mais relâchés presque aussitôt. Roger Sellier et son père partiront quelques jours après. Une dame habitant Fon-Romeu à qui mon père avait fait franchir la ligne de démarcation la veille et qui avait couché à la maison, proposa de les héberger.

Novembre 1942 : La ligne de démarcation supprimée, les habitants ont toute liberté de circuler.

Noël 1942 : Un sapin fut installé dans une salle de l’école. Les élèves de la grande classe aidèrent les instituteurs à le décorer. Des cadeaux et un goûter de lait au chocolat furent offerts aux enfants dont le père était prisonnier.

1943 : le refuge des réfractaires et résistants

En 1943, le gouvernement de Vichy institua le service du travail obligatoire en Allemagne. De nombreux appelés, réfractaires à ce service, durent se cacher. Ce fut le cas de Charles Fougeroux de Charroux et André Breton, un Bordelais. Tous deux resterons à la ferme jusqu’à leur départ au maquis en 1944. René Suant de Civray ne resta que quelques mois.

La résistance est de plus en plus organisée et active. Mais, en août 1943, les membres du réseau de Civray sont arrêtés par la Gestapo. Monsieur Baillargeon mourra sous la torture. Les autres résistants arrêtés furent déportés. Albert Suire, Roger Dupré, Marcel Bourdet, du même réseau prirent la fuite et se réfugient en un premier temps dans la région d’Availles-Limouzine. Albert Suire et Roger Dupré vinrent par la suite se cacher aux Ecures. De toutes les personnes qui ont séjourné chez mes parents pendant ces années de guerre, c’est de ces deux hommes que je garde le meilleur souvenir, même un souvenir ému.

Monsieur Dupré était très triste de vivre dans la clandestinité. Ses yeux se voilaient de larmes lorsqu’il évoquait l’emprisonnement de sa femme pendant trois mois, par représailles. Marcel Bourdet venait les voir, à la tombée de la nuit à bicyclette.
Pour tous ces résistants, il fallait reprendre la lutte, réorganiser les parachutages d’armes, interrompus par le démantèlement du réseau de Civray.

1944 : des parachutages au premier maquis

Un jour du début de 1944, deux hommes arrivent aux Ecures pour de nouveaux contacts. Ils s’installent dans la salle à manger avec Messieurs Suire, Bourdet, Dupré et mon père pour discuter. Ma mère leur avait préparé un repas.

Puis le moment arriva, où tous les soirs, il fallait écouter avec attention les messages personnels diffusés par la Radio de Londres, malgré le brouillage caractéristique. « Le cendrier est renversé sur la table ». Le message personnel venait d’être prononcé. Le parachutage était pour la nuit. Le soir, après dîner, mon père, Albert Suire, Roger Dupré, Marcel Bourdet, André Ravarie, Louis Nicolas étaient réunis dans la cuisine, attendant le moment d’aller sur le terrain où avait lieu le parachutage. Le terrain se trouvait à une centaine de mètres de la ferme auprès d’un bois où étaient entreposés les containers. Ma soeur et moi sortîmes de la maison pour assister de loin au parachutage.
Nous apercevions les feux allumés pour baliser le terrain. Dans cette nuit calme, où tout était silencieux, nous perçûmes le ronronnement d’un moteur qui s’amplifiait de minute en minute. L’avion apparu passa une première fois pour reconnaître le code du signal : une lettre en morse effectuée par Albert Suire à l’aide d’une lampe de poche. Prenant un virage, il repassa au-dessus du terrain en larguant en une seule fois son précieux chargement. Puis il s’éloigna, le bruit du moteur s’atténua de minute en minute jusqu’à disparaître. Pour moi, adolescente de quinze ans, tous ces parachutes blancs qui descendaient lentement au gré du vent était un spectacle féerique et un peu mystérieux. Sur le terrain, les hommes détachaient les parachutes des containers, les pliaient, sortaient les armes et cachaient le tout dans le bois. Il y avait également des produits pharmaceutiques qui furent placés dans un placard de la maison. Un second parachutage eut lieu quelques temps plus tard dans les mêmes conditions.
Ma mère avait peur. Monsieur Suire et Monsieur Dupré la rassuraient. « La ferme est isolée au milieu des champs et des bois. Les Allemands ne trouveront jamais les Ecures » disaient-ils.
Le 18 mai, jour anniversaire de mon père, Albert Suire et Roger Dupré lui achetèrent un stylo. Mon jeune frère le lui offrit en récitant un compliment qu’ Albert Suire lui avait appris.

Le 6 juin, jour du débarquement, l’émotion fut grande pour tous. Louis Nicolas vint avertir que son beau-frère André Ravarie venait d’être arrêté par la Gestapo. Il fut déporté et ne revint jamais.
Les jours qui suivirent l’arrestation d’André Ravarie, par peur que la Gestapo nous surprenne au petit matin, nous ne restions pas le soir à la maison. Ma mère et mon frère couchaient chez une voisine au village de Felet, ma soeur et moi chez une amie. Les hommes dormaient dans la grange.
La ferme voisine changea de propriétaire. Les nouveaux acquéreurs, les frères Kering, originaires de Lorraine, venaient de Bretagne où ils avaient participé à la construction du mur de l’Atlantique. L’argent gagné leur avait permis d’acheter cette propriété.

En juin 1944, des jeunes gens de Charroux arrivent aux Ecures. Ce sera la formation du maquis d’Albert Suire. Tous partiront quelques jours plus tard pour un autre lieu, ainsi que Monsieur Dupré, Charles Fougeroux et André Breton.

Juillet 1944 : des volontaires pour le maquis se présentent aux Ecures. Raymond Dechamp de Savigné sera le premier, suivi de Delhomme de Champeniers. D’autres suivront, venant de Châtain, Civray, Benest, Champeniers et également des hommes de la commune et du bourg de Pleuville. Fin juillet, ils seront une quarantaine. Ce maquis portera le nom de maquis RAF sous la direction de mon père secondé par Paul Jammet. Ils s’installèrent dans une maison inhabitée de la ferme.

3 août 1944 : les Allemands aux Ecures,

l’antichambre du VIGEANT

L’après-midi de cette journée se déroulait comme d’habitude. Ma mère faisait la sieste avec mon frère. Ma grand-mère était dans la cuisine. Ma soeur et moi assises dehors sur un banc, nous confectionnions des écussons en tissus bleu marine avec une croix de Lorraine brodée dessus que les maquisards épinglaient à leur béret ou à leur manche.

Nous n’avions aucune inquiétude. La veille, Emma Dumousseau qui travaillait dans un champ avait vu deux hommes habillés en civil qui regardaient en direction des Ecures avec des jumelles. Mais personne n’en n’avait tenu compte. Quelques coups de feu retentirent au loin. Nous pensions que c’était des maquisards qui s’entraînaient à tirer.

Puis mon père arriva en courant, on venait de le prévenir, les Allemands étaient à Pleuville et se dirigeaient vers les Ecures.

« Partez, partez, partez vite … » disait mon père. Ma grand-mère voulait prendre quelques vêtements. « Vous n’avez pas le temps » lui dit-il. « Il faut prévenir la mère Dumousseau qui mettait les gerbes de blé en tas dans un champ » dit ma mère. « Je vais y aller » dit mon père. « Partez, partez, partez » répétait-il.

Je pense qu’à ce moment précis, mon père comprenait que nos vies pouvaient être en danger. Nous sommes donc partis, ma mère tenant mon frère par la main, ma sœur donnant le bras à ma grand-mère. Nous avons traversé la prairie, puis le ruisseau en nous dirigeant vers la ferme de Thorigné. Ayant traversé la route de Pleuville, à Pressac, nous étions dans un champ de maïs lorsque nous avons entendu du bruit et des voix. Nous nous sommes cachés. Un groupe de soldats allemands est passé à vélo. Ils étaient allés jusqu’au village de chez Boulon à l’entrée de Pressac et faisaient demi-tour pour aller aux Ecures. Nous avons continué à travers champs puis traversé un petit bois.

Les soldats allemands s’étant heurtés aux maquisards, les coups de feu fusaient de toutes parts. Les balles nous sifflaient aux oreilles. Monsieur Merine de Thorigné qui fuyait avec nous ainsi que sa femme et leur bébé, nous criait : « Couchez-vous ». A la sortie du bois, nous avons rencontré madame Solange Morisset, sa fille Colette et une autre jeune fille. Madame Morisset avait pris cette direction pensant rencontrer sa mère et sa soeur venues laver leur linge au ruisseau. « Pleuville est en feu, nous avons eu juste le temps de sortir du magasin » nous dit-elle.
Un convoi allemand arrivant de Champagne-Mouton par la route de Benest s’était trouvé face à face avec deux maquisards à moto qui ont pu fuir malgré le tir des Allemands. Mais la voiture de maquis qui suivait dut stopper au milieu du bourg. Une fusillade éclata, deux hommes de la voiture furent tués : Eugène Mandineau et Louis Bourgoin, un Canadien. Les deux autres occupants : Yves Delorme et un officier américain, purent s’échapper en passant par la fenêtre d’une remise. Aussitôt la troupe allemande mit le feu a dix-sept habitations du bourg. Les habitants fuyaient par les jardins. Lorsque les soldats quittèrent le bourg, les hommes de Pleuville qui se trouvaient là, aidés par les femmes, luttèrent avec des seaux d’eau pour éteindre le feu, ce qui empêcha que le bourg brûle entièrement.

Nous avons continué jusqu’au village de Lagemaranche où habitaient les ouvriers agricoles travaillant aux Ecures, Raymond Pignoux et Maurice Vouzellaud. Arrivés près du village, nous avons aperçu de la fumée en direction des Ecures. C’étaient les gerbiers qui brûlaient. Nous avons tous passé la nuit sans dormir, avec les habitants du village. Le lendemain, mon père est venu nous rejoindre. La ferme des Ecures était entièrement détruite. Les maisons, la grange pleine de foin, le matériel agricole, la récolte de grain, tout avait brûlé. Dix-sept bêtes à cornes avaient été tuées dans la bataille.

Mes parents pleuraient surtout leurs cinq chevaux tués volontairement d’une rafale de mitraillettes en plein poitrail. De tout ce qu’ils possédaient, il ne restait que des ruines fumantes et des cadavres d’animaux jonchant le sol. La chienne de berger Risa avait été tuée. La chienne de chasse Nina nous avait suivi dans notre fuite. Seule le bâtiment qui abritait l’écurie des chevaux n’avait pas brûlé. Certainement que les Allemands avaient laissé intact ce bâtiment pour y soigner leurs blessés. De nombreux pansements trouvés sur place le prouvaient.

En effet, les maquisards aidés par un autre groupe de maquis venu en renfort, attaquèrent les Allemands à la tombée de la nuit. Mais les forces des maquis étant inférieures en hommes et en matériels, ils durent abandonner. C’est dans cette seconde bataille que les bovins furent tués. Ils avaient été détachés et sortis de l’étable par la troupe avant d’y mettre le feu.

Malgré cette situation tragique, nos vies avaient été épargnées, c’était le principal. La rencontre entre la voiture du maquis et la troupe allemande dans le bourg de Pleuville a sans doute déterminé le cours des événements pour nous. Quel aurait été notre destin si les soldats allemands et les miliciens étaient arrivés aux Ecures par surprise.

Deux hommes ont été tués aux Ecures : Clémentin Jarrassier, un maquisard de Champeniers, et Joseph Kening, un des voisins qui avait demandé une arme à mon père pour se battre aux côtés des maquisards.

II y eut également deux blessés Robert Fourquet et Alfred Thimonier. Celui-ci sera soigné par monsieur et madame Albert qui habitaient la Grande Motte.

Monsieur Albert, capitaine en retraite, dira plus tard que le lendemain, des officiers allemands étaient entrés chez lui et avaient déplié une carte d’état-major. Connaissant bien ce genre de carte, il avait constaté que seul le nom des Ecures était souligné au crayon rouge.

Les Allemands quittèrent les Ecures le 4 août au matin. Ils avaient eu tout loisir de piller la maison avant d’y mettre le feu. Des récipients restés sur place démontraient qu’ils avaient mangé. Les bouteilles d’eau de vie avaient été également vidées. Ils se dirigèrent vers Mauprevoir et le Vigeant.
Continuant leurs sinistres méfaits, ils prirent des hommes qui travaillaient dans les champs ou tout simplement circulaient sur les routes. Monsieur Begouin, monsieur Rousseau et ses fils de Charroux, ainsi qu’un homme qui allait au Vigeant chercher son extrait d’acte de naissance pour se marier, furent ramassés. Ils seront fusillés avec les autres otages civils du Vigeant, une cinquantaine environ. Une partie du bourg fut également incendiée.

Madame Kering, son bébé de 2 mois, ses parents, monsieur et madame Gouedard, la famille Perrissat et Eugène Chaperon, employés de cette ferme, ainsi que Emma Dumousseau passeront la nuit dans un bois. Madame Kering en repartant le lendemain, avec ses parents, à Pressac où ils habitaient, trouva son mari mort dans le chemin qui relie les deux fermes.

Notre présence inquiétait les habitants du village de Lagemaranche. Aussi passions nous nos journées assises dans les champs. Le troisième jour, la famille Moreau de Pressac proposa de nous loger dans une maison située dans leur ferme des Thiers. Ils nous avaient également donné quelques meubles. Monsieur Orlu de Lagemaranche, nous y emmena avec son char à banc.

Comme il faisait chaud, il était impossible de faire des trous dans le sol pour enterrer les bêtes. Le maire de Pleuville et mon père décidèrent de les faire brûler avec des fagots.
Mon père regroupa son maquis à Lubert, petit village à côté d’Availles-Limouzine où ils restèrent quelques jours. Ensuite, ils partiront pour Machecoul en Loire-Atlantique.

Les habitants des communes voisines donnèrent des vêtements, du linge, des couvertures, le tout partagé par le maire entre tous les sinistrés. Des maquisards avaient arrêté un convoi allemand sur la nationale 10 aux environs de Ruffec. Ayant récupéré une importante somme d’argent, ils la partagèrent entre les sinistrés de Pleuville et du Vigeant. Il y avait également une jument et une mule qu’ils amenèrent aux Ecures.

Fin 1944-1945 : retour aux Ecures

Ma mère avait toujours très peur. Ayant appris qu’une personne avait demandé dans un café de Pressac où nous étions, et croyant que l’on nous recherchait, elle nous emmena passer la nuit dans un bois. Plus tard, nous avons su que c’était un homme de Montalembert qui voulait savoir ce que nous étions devenus.
Avec ma soeur, nous allions chercher le pain et faire quelques courses à Pressac. Nous avions sympathisé avec une jeune fille juive qui prenait pension à l’hôtel. Elle était accompagnée d’une dame qu’elle appelait « nounou ».

Début octobre, nous venions tous les jours aux Ecures pour faire les vendanges. Des voisins avaient donné des barriques à ma mère pour qu’elle y mette son vin. Nous sommes revenues habiter les Ecures début novembre. Le voisin Vendel Kering offrit de louer une maison de sa ferme à ma mère. Mon frère avait l’âge d’aller à l’école. Je l’emmenais tous les matins et j’allais le chercher tous les soirs à pied. Mon père vint, fin février, pendant quelques jours. Il nous avait apporté du pain américain.

Au printemps 1945, mon père est revenu. Le 8 mai, c’est la fin de la guerre. A Pleuville comme partout c’est la fête. Les cloches sonnent, on danse autour des feux de joie. Les femmes dont le mari est prisonnier sont les premières à manifester leur joie.

Juin 1945 : les pouvoirs publics nous ont octroyé un baraquement en bois pour nous loger. Des menuisiers-charpentiers de Confolens, messieurs Reynat, Bujon et Lafont sont venus le monter. L’été il y faisait très chaud, l’hiver très froid. Nous avons habité ce baraquement jusqu’en juillet 1948.

Après bien des démarches, le service de la reconstruction nous a fait rebâtir la maison où était le maquis, les murs déjà existants ayant pu resservir. La grange fut reconstruite en 1950. En attendant, mes parents mettaient les bêtes dans l’étable brûlée que l’on avait recouverte avec du carton goudronné.

Des dommages de guerre furent accordés à mes parents sous forme de titres. Le premier titre fut alloué en 1953. Ma mère étant décédée en avril 1953, elle n’en a jamais bénéficié.

En guise d’épilogue…

Louis Bourgoin était Canadien, à 22 ans sa vie s’est arrêtée un jour d’août 1944 dans un petit bourg charentais. Joseph Kering a contribué à la construction des blockhaus sur les côtes françaises où de nombreux alliés sont tombés. Ce même jour d’août 1944, il est mort parce qu’il avait eu l’opportunité de se battre aux côtés des maquisards.

L’ambiguïté des événements de cette époque a fait que le nom de ces deux hommes soit gravé sur la même plaque d’un monument commémoratif.

Texte adapté de Jacques Rigaud