René Bourdin, résistant civraisien, interné à la prison de Poitiers

1943 – FAITS DE RESISTANCE EN CIVRAISIEN par M. R. BOURDIN
Témoignage recueilli par Jacques Rigaud en février 2005.
René BOURDIN, Interné à la prison de la Pierre Levée du 18/08/43 au 18/10/43 pendant 9 semaines.

UN ENTERREMENT AU CLAIR DE LUNE

Le 13 août 1943, MM. Baillargeon René et Bonneau Georges venaient d’être arrêtés . Avec mon père, Bourdin Gaston, nous nous sommes tout de suite inquiétés du camouflage des armes entreposées à Landraudière chez M. Provost Marcel. Après consultation rapide des quelques membres du réseau nous avons décidé de transférer le contenu de ce parachutage dans un lieu plus sûr – Rendez-vous fut pris pour la nuit suivante, le 14 août 1943, à 22 heures.
La pleine lune de cette période semblait nous aider de son éclairage.
Je garde un souvenir ému de ce cortège, pioches et pelles sur l’épaule, suivant cette plate-forme tirée par deux chevaux conduits par M. Provost. C’était en quelque sorte les prémices de l’armée de l’ombre.
Le lendemain, 15 août, M. Provost avec attelage et charrue, s’affairait à effacer les traces que nous avions laissées par cet enterrement. Oh Sacrilège, effervescence dans le bourg de Saint-Gaudent, ce saint homme qui, contrairement à ses principes religieux, osait retourner la terre ce jour sacré.
Ce même jour, nous apprenions avec beaucoup de peine le décès de M. Baillargeon se refusant à parler sous la torture. M. Bonneau subissant cette épreuve terrible a été contraint de conduire la gestapo à Landraudière (ce que je comprends pleinement, ayant occupé la cellule n° 2 de la Pierre Levée à la place de M. Baillargeon). Je précise que cette cellule se trouvait juste au-dessus de la salle d’interrogatoire et de torture.
M. Bonneau, entouré de ses bourreaux, indiqua donc la fagotière sous laquelle les armes avaient été camouflées ; mais, surprise, elles n’y étaient plus.
Malheureusement, en même temps, M. Provost était pris et contraint, sous la torture, d’indiquer à nos ennemis l’endroit où elles avaient été mises l’avant-veille.
Arrestation de M. Provost et de moi-même ce 16 août 1943 ; je précise également que deux employés de M. Provost arrivant pour travailler à la ferme avaient aussi été arrêtés, puis relâchés après interrogatoire.
Malgré le temps passé, je me souviens de mon arrestation comme si c’était d’hier.
La gestapo et les soldats allemands surgirent dans notre maison (mon père, cette nuit-là, avait préféré découcher, mais moi, je n’avais malheureusement pas cru à une intervention aussi rapide), je me suis donc retrouvé avec quatre canons de mitraillettes appuyés sur le ventre et rapidement sorti du lit ; je traverse avec mes accompagnateurs la cuisine où se trouvait ma mère (arrêtée par la suite), demandant à l’officier allemand si elle pouvait me donner une tasse de café, réponse négative : « le kafé ça enerff ».
Je fus donc conduit à la Kommandatur où ces messieurs m’attendaient. Ils me plaquèrent au mur, les mains en l’air, placé à côté de M. Bonneau, ayant dû au passage, enjamber M. Provost inanimé, étendu sur le parquet ; il avait la figure très pâle et ensanglantée, une marque d’embout d’entonnoir lui ayant coupé la commissure des lèvres.
Autour d’une grande table, la gestapo était en train de poser des questions à des gens, probablement juifs qui venaient eux aussi d’être arrêtés.
A un certain moment, M. Bonneau s’est penché vers moi, exécutant probablement un ordre que la gestapo lui avait ordonné, il m’a dit : « C’est Poitiers qui nous a dénoncés » ; j’allais ensuite en entendre parler.
Ligotés, M. Provost et moi, nous avons été conduits sur le plancher d’un camion et embarqués… pour la Pierre Levée, gardés par plusieurs soldats allemands armés. A notre sortie de Civray, au lieu-dit le Bois du Mont, j’aperçus par l’arrière du camion, l’archiprêtre de l’époque, le père Moine faisant le signe de la croix, alors je me suis dit est-ce vraiment fini ? Ou est-ce un geste favorable à notre sort ? En ce qui me concerne, je dirai égoïstement, c’est peut-être cela qui m’a sauvé.
A la réception, très chaleureuse comme vous pouvez vous en douter, j’ai osé poser la question : « pourquoi je suis là ? ». En réponse, un S.S. a sorti son pistolet, m’a poussé au mur et m’a dit, « vous, bientôt kapout, fous êtes bien avec les Anclais », ceci laissant présager de beaux jours d’incarcération !
Après les séances de photos sur toutes les faces, mensurations, empreintes surtout, j’ai pensé à ce moment-là aux quelques mitraillettes graissées que j’avais manipulées ; détail resté sans suite heureusement. Ensuite, j’ai été conduit par un soldat geôlier à la cellule qui m’était réservée. Ce gardien, qui pouvait avoir mon âge s’est plutôt montré compatissant, me disant de ne pas faire comme celui qui m’avait précédé (M. Baillargeon) et il a bien voulu répondre à mes questions, à savoir, comment et où ? Alors il est allé au fond de ma cellule et a mis un doigt sur la poignée du vasistas, en me disant : « Tu vois, ici, avec 3 mouchoirs noués dans le sens diagonal » (avec gestes et son mouchoir à l’appui).
Après un mois d’incarcération, j’ai subi mon premier interrogatoire par trois gestapistes me demandant avec beaucoup d’arrogance ce que je savais sur le réseau, et, ajoutant « vous êtes parfaitement au courant puisqu’à Civray, quand M. Bonneau vous a dit, c’est Poitiers qui nous a dénoncés, vous avez répondu, je le sais ». J’ai pris à ce moment-là un air ignorant… à la suite de quoi j’ai été confronté avec M. Bonneau, j’étais donc suspendu à sa réponse qui pouvait être à charge ou à décharge. Mais heureusement, M. Bonneau leur a répondu que les enfants n’avaient pas été tenus au courant de ces choses-là. Il a été reconduit à sa cellule et l’interrogatoire s’est poursuivi avec moins de violence. J’ai été ensuite dirigé et accompagné dans ma case pour plus d’un mois, non sans avoir pris encore quelques coups de poing et subi des attitudes humiliantes. Un exemple parmi d’autres, en me remplissant ma gamelle de soupe (plutôt de l’eau légèrement teintée), mon innommable serveur éprouva le besoin, par un geste sadique, d’y faire tomber la cendre du gros cigare qu’il fumait.
Il m’est arrivé un jour, conduit à la douche, de croiser M. Provost qui en revenait ; malheureusement, nous n’avons pu qu’échanger un regard furtif mais qui voulait dire bien des choses, ignorant ce qui avait pu se passer depuis notre arrestation.

Cette incarcération était difficilement soutenable. Durant le temps de ma détention, plus de trente camarades incarcérés dans les cellules voisines ont été fusillés (un article sur les fusillés de la butte de Biard sera prochainement mis en ligne). Nous imaginions facilement, du fond de nos cellules, le trafic morbide dans le hall central, à en juger par les cris des gardes chiourmes et aboiements de chiens.
A plusieurs reprises, vers 5 h. du matin (nous n’avions pas de montre), les condamnés à mort étaient extraits de leur cellule, et ceci sans ménagement envers la dignité de gens qui allaient mourir dans la demi-heure suivante. Ces hommes, braves, courageux, déterminés, trouvaient encore la force de nous crier « Adieu chers camarades, vive la mort » ou entonnaient la Marseillaise.
La Pierre Levée et la butte de Biard se trouvant parmi les quelques points les plus hauts de Poitiers, nous percevions très bien, la mort dans l’âme, dans le calme du petit matin, le crépitement des mitrailleuses.
Un jour, ma mère, internée avec ses amies au camp de la route de Limoges, apprit par quelqu’un ne sachant pas que j’étais incarcéré à la Pierre Levée, qu’un camion allemand s’était arrêté devant la porte du camp, pour demander la direction d’un pays près de Poitiers, car les corps des fusillés étaient enterrés dans les cimetières environnants ; ce matin-là, il y avait eu effectivement des fusillés, et leur sang coulait encore sous les ridelles de ce camion. Ma mère, affolée, désespérée, a ému un garde et l’a supplié d’aller voir à la prison afin de savoir si je n’étais pas sur la liste de ces malheureux. Ce qu’il a fait rapidement et il est revenu rassurer ma mère. (Le Camp d’internement de la route de Limoges était partiellement gardé par des gendarmes français).
Les cellules de la Pierre Levée étaient de plus en plus encombrées, suite à l’incarcération d’un équipage ou partie d’équipage d’un sous-marin allemand qui venait de tuer leur commandant et de saborder leur bateau. Me trouvant bloqué quelques instants à l’entrée des toilettes, un de ces marins me dit rapidement : « mem herr, krieg bald fertig ! » – traduction : « Monsieur, la guerre, bientôt finie ! » – le dos de ces soldats était lacéré et ensanglanté. J’espère que ces hommes ont pu survivre à leur calvaire afin d’informer aussi longtemps que possible leurs compatriotes, sur la sauvagerie de la gestapo et de la SS.
Les arrestations se multipliant, je me retrouvai très vite avec des compagnons de cellule ; deux anciens de la der des ders 14-18 ; le premier, un homme de Lageon près de Parthenay, agriculteur, et chez lequel tombait le premier parachutage de cette région, ce qui me faisait penser un peu plus à M. Provost Marcel. Il me parlait beaucoup de ses fils S.T.O. et gentiment me disait : « Cette guerre c’est de la rigolade à côté des 4 ans de la guerre 14-18 dont je suis sorti sans blessure corporelle et tu verras, d’ici peu, tu viendras chez moi et nous ferons un bon gueuleton, ma femme est une excellente cuisinière ». A quoi je lui répondais : « Ami Potiron, c’était son nom, n’en ajoutez pas à la torture, puisque nous n’avons droit qu’à un morceau de pain par jour, et, différent de grosseur toujours pour la provocation » ; de temps à autre, cette part de pain était accompagnée d’une petite portion de fromage que je leur donnais volontiers, n’ayant jamais pu en manger, et, en remerciement, ils me répondaient : « Si seulement tu n’aimais pas le pain non plus ! ».
Plus tard, quelques années après la libération, me trouvant à Parthenay, je me suis dirigé vers Lageon, pensant à mon vieil ami de misère et heureux de peut-être le revoir ; ignorant ce qu’il en avait été, je me suis arrêté dans un café pour me renseigner, et, l’aubergiste m’a répondu : « Oh ! Monsieur, de tous les résistants de cette époque, aucun n’en est revenu ». J’ai donc préféré faire demi-tour et rentrer tristement en pensant à mon vieil ami Potiron qui avait été pour moi comme un père. J’ai, par la suite fait connaissance de ses enfants au cours d’une commémoration à la mémoire des internés et déportés de cette région…
Le deuxième compagnon, un ancien de 14-18 aussi, M. Tournat, cafetier à Montamisé, près de Poitiers, lieu où se rassemblait un groupe de jeunes résistants, avait été arrêté, ainsi que ce groupe, un soir de réunion (ces patriotes avaient fait sauter un train près de la gare de Poitiers) ; M. Tournat fut déporté, il en revint miraculeusement et décéda quelques années après.
Neuf semaines après mon arrestation, un adjudant allemand est venu dans ma cellule, me signifier que j’allais sortir ; mais, je n’osais y croire. Enfin, quelques heures après, la porte s’ouvrait. Je me suis donc dirigé vers le carrefour direction Civray, où, heureuse coïncidence, Mme Ribardière de Genouillé et un de ses employés au volant d’une camionnette gazogène, m’ont pris en charge ; bien surpris qu’ils étaient. A la sortie de prison, je marchais d’un pas pressé, sans oser courir, car j’avais encore tellement peur qu’ils me rattrapent en me disant : « Il y a erreur ».
Mais, quelques jours après, j’ai vite compris la raison de cette sortie. Fréquemment, j’apercevais un des gestapistes qui m’avaient fait subir les interrogatoires ; assez mal dissimulé, il me surveillait ; et, ceci pendant des semaines et des mois ; ils se relayaient ; le réseau n’étant que partiellement démantelé, la police allemande, par manque d’informations, pensait que ma libération pouvait être un piège, pour ceux qui n’étaient pas pris, et, susceptibles de m’approcher.
Je profite de ce récit pour exprimer toute ma reconnaissance à la mémoire de MM. Bailly et Georges Gaucher, chez lesquels, j’avais été hébergé les premiers jours de ma libération, et, qui ont donné de grandes preuves de patriotisme.

Les femmes furent libérées de leur internement au mois de décembre 1943 et, par la suite, ont fêté cet anniversaire le reste de leur vie. Ceci avait créé entre elles des liens indéfectibles.
L’humeur de ces dames, assez inégale et accentuée par leur internement, entraînait parfois quelques frictions ; mais jamais très importantes puisque celles- ci se terminaient toujours par des larmes et des embrassades… (Ceci m’a été conté par ma mère).

M. Maurice Bailly, maire de Civray pendant l’occupation, avait souvent été, avec M. Lambert, commissaire de police et interprète, favorable à certains Civraisiens en difficulté avec l’occupant.
M. Bailly s’était déplacé à Vichy, après avoir obtenu une entrevue avec le Maréchal Pétain (Laval assistait à cet entretien), afin qu’il intervienne pour la libération de ces dames. Ce qui avait probablement été fait ; ma mère m’ayant conté, qu’après quelques jours, le préfet de l’époque, passant à côté de leur baraquement, à Poitiers, route de Limoges, avait prononcé dédaigneusement : « Ce sont celles qui sont là »

M. René BOURDIN

Texte adapté de Jacques Rigaud