Le Conseil National de la Résistance, un patronat français absent

« On veut bien se battre, on veut bien mourir, mais on veut savoir pourquoi » déclarèrent ceux qui dès 1940 et ils n’étaient guère nombreux à cette époque, avaient décidé sciemment de s’engager dans la résistance au péril de leur vie.

Batterie du Puy de l’Auture (La Poche de Royan)

Le Conseil National de la Résistance

Un patronat français absent

 « On veut bien se battre, on veut bien mourir, mais on veut savoir pourquoi » déclarèrent ceux qui dès 1940 et ils n’étaient guère nombreux à cette époque, avaient décidé  sciemment  de s’engager dans la résistance au péril de leur vie.

 Il faudra attendre l’année 1943 après trois longues années de lourds sacrifices pour que l’unité de la résistance sous l’égide de Jean Moulin se réalise.

 Le 27 mai 1943 après de nombreuses difficultés d’ordre conflictuel, Jean Moulin présenta le CNR, Conseil National de la Résistance. Cette entité  permettra à Charles de Gaulle de s’opposer aux alliés, Churchill et Roosevelt, qui avaient projeté de former, après la libération de la France, un gouvernement provisoire qu’ils auraient confié au général Giraud fidèle à Pétain pour mieux le contrôler. Moment décisif qui contrecarra ce projet et permit à la France de garder, à la libération, son intégrité, son indépendance  et de s’affirmer comme force combattante.

Jean Moulin fut arrêté à Caluire le 21 juin 1943 . Il mourut à la suite de tortures sans rien dévoiler des secrets, lui qui les connaissait tous. Sa mort fut annoncée le 8 juillet 1943.

 L’action de Jean Moulin est historique pour de nombreuses raisons.

Il réussit avec son opiniâtreté, son intelligence et sa persuasion  à rassembler et fédérer les organisations de résistance de sensibilités différentes. Il contribua ainsi à faire l’unanimité des partis politiques et syndicats reconstitués clandestinement. Et cette unanimité permit d’harmoniser le combat  pour chasser l’ennemi hors de France en créant le 29 novembre 1943 les Forces Françaises de l’Intérieur. Enfin, le CNR jeta les bases d’une nouvelle société rompant avec la 3eme République pour imposer une société solidaire, laïque, juste, affranchie de la féodalité des classes dominantes, des trusts comme on disait à l’époque et des banques. Un vrai projet de société accepté à l’unanimité par les membres présents. A la mort de Jean Moulin c’est Georges Bidault qui présidera le CNR. Mais dès le 11 septembre 1944 Louis Saillant secrétaire de la CGT présidera à son tour le CNR et mettra avec le   général de Gaulle le programme du CNR en application.

 Les membres du CNR en septembre 1944 :

 Président d’honneur

Georges Bidault : Ministère des affaires étrangères

Président

Louis Saillant : Secrétaire de la CGT

Membres

  • Emmanuel d’Astier de la Vigerie « Libération Sud »
  • Paul Bastide «  Parti radical et radical socialiste » 
  • Maxime Blocq-Mascart« Organisation Civile et
  • André Colin « Démocrates Chrétiens » 
  • Jacques Debu-Bridel « fédération républicaine et républicains nationaux, Colonel FFI
  • Marcel Degliame « Combat »
  • Benoît Frachon « Confédération Générale du Travail » 
  • Auguste Gillot «  Parti communiste »   
  • Jean Laniel « Alliance démocratique »
  • Jacques Lecomte-Boinet « Ceux de la Résistance »
  • Jean-Pierre-Levy « Franc-tireur »
  • Daniel Mayer « Parti socialiste »
  • André Mutter «  Ceux de la Libération »
  • Henri Ribière « Libération Nord »
  • Gaston Tessier « Confédération Française des Travailleurs Chrétiens »
  • Pierre Villon « Front National »  *

  Secrétaire général : Pierre Meunier

  Secrétaire général adjoint : Robert Chambeiron

          *  Le Front National était à l’époque un organe de la résistance communiste à ne pas confondre avec le FN d’aujourd’hui.

 Autres membres ayant participé au CNR : Pascal Copeau, Jacques Henri Simon, Claude Bourdet qui à son retour de Buchenwald remplaça le colonel Marcel Degliame, André Mercier, Eugène Claudius Petit, André Le Troquer, Roger Coquoin, Charles Laurent.                                                                    

On remarquera qu’aucun membre du patronat ne figurait parmi les membres fondateurs du CNR. En voici les raisons.

 Dès 1941 après l’invasion du territoire soviétique par les nazis, Hitler se rendit compte qu’il lui fallait « assurer la défense à l’Ouest en remplaçant les hommes par du béton » selon la formule de Robert Paxton historien américain. La fortification du littoral de la Norvège à l’Espagne  fut confiée à l’ingénieur allemand Fritz Todt. Ce chantier gigantesque prit le nom d’ «  ORGANISATION TODT ». L’Allemagne ne pouvant assurer seule une telle entreprise, Fritz Todt décida de la faire sous-traiter  par les pays occupés.

Pétain  encouragea d’emblée ce projet, car il y voyait une légitimation de la collaboration économique d’une part et une façon d’occuper les entreprises françaises et les travailleurs français d’autre part .

 C’est ainsi que les entreprises françaises du BTP se partagèrent cet immense chantier du littoral de la Manche et de l’Atlantique comprenant des milliers de bunkers, les bases sous marines de St Nazaire et de La Rochelle. Cela représentait du ferraillage, de la boiserie, des millions de mètres cubes de béton  qui permirent à ces entreprises  de s’enrichir d’autant plus qu’elles ne supportaient pas  le coût de la main d’œuvre. En effet 291 000 personnes dont 10% d’Allemands seulement furent impliquées. Si en 1942 la main d’œuvre était libre et  payée par les Allemands, avec l’argent de la banque française selon les conditions de l’armistice, en 1943 une partie des requis du STO fut dirigée vers le littoral.

« J’avais huit ans en novembre 1943 et le hasard des déplacements de mes parents recherchés par la police de Vichy (ils avaient été condamnés par contumace par la section spéciale de Poitiers) nous avait conduits à Bacqueville en Caux en Seine-Maritime. Je me souviens des camions qui s’arrêtaient sur la place du bourg, devant le garage de M. André Carré et du magasin de Mme Marguerite Lair à l’époque. Chaque jour on embarquait  les requis vers Belmesnil pour y construire une rampe de lancement de V1 et on les ramenait le soir ». (Témoignage et photos de Louis-Charles Morillon).

En 1944 lorsque Rommel prit en charge les travaux de la défense du littoral normand, il procéda à une réquisition massive des hommes.

 Il n’y eut pas d’épuration de ces entreprises à la libération car  la France détruite par l’occupation et les bombardements alliés avait besoin des entreprises du BTP pour sa reconstruction. Or les entreprises les plus opérationnelles étaient celles qui avaient le plus collaboré.

 Mais la collaboration ne s’arrêta pas au patronat du BTP.

 Dans l’industrie aéronautique les entreprises Caudron, Gnome-et–Rhône, Martin Mullet, Bronsavia et Somua se mirent au service de l’occupant. Ces firmes livrèrent ainsi à la Luftwaffe 1540 avions, 4138 moteurs, 4144 hélices et des milliers de pièces (Selon les archives allemandes). l’usine Hispano-Suiza refusa cette collaboration. Elle vit, en représailles, ses machines réquisitionnées et envoyées en Allemagne et ses usines occupées furent alors bombardées par les alliés. Marcel Bloch qui refusera également  de collaborer sera en définitive déporté. Quant à l’usine Creusot-Schneider elle accepta de fabriquer des éléments de bombes pour une firme d’Outre-Rhin.

 Dans l’industrie automobile dès le 10 juillet 1940, les usines Renault furent les premières à réembaucher et à reprendre leur activité. A ce moment Peugeot délocalisa dans le sud de la France, réorienta et recycla sa production pour ne pas avoir à participer à une aide quelconque à l’occupant.

Dans un de ses discours le général de Gaulle avait déclaré : « La France a été trahie par ses élites dirigeantes et ses privilégiés. »

A la libération, Worms, Berliet et Renault furent emprisonnés pour collaboration avec l’ennemi et ce dernier vit son entreprise nationalisée dans l’esprit des décisions du programme du CNR prises à l’unanimité.

Au lendemain de la libération, Charles de Gaulle confirma ce comportement en recevant une délégation du patronat français : « Messieurs, je n’en ai pas vu beaucoup d’entre vous à Londres. » déclara-t-il.

 Dans une France pillée, désorganisée, déchirée, et ravagée par les bombardements ( la Bretagne et la Normandie meurtries connurent des villes détruites à 80% comme Caen, voire à 100% comme St Lo ) il fallait une farouche volonté politique pour réussir l’application de ce programme du CNR.

        Rédigé par Louis-Charles Morillon

Les sources : 

« Les patrons sous l’occupation » par Renaud de Rochebrune et Jean-Claude Hazera.

« Industriels et banquiers sous l’occupation » site Alternatives économiques.

« Le mur de l’Atlantique » film de l’INA présenté par Alexandre Adler dans les mercredis de l’histoire.

 – Photos collection personnelle de Louis-Charles Morillon.

 – Le choix de la défaite par Annie Lacroix Riz.

 – Surenchère collaboratrice sous l’occupation site histoire-en-questions.fr.