La revanche venue du ciel

La réponse des Anglais au crime de Verrières

La revanche venue du ciel
(Bonneuil-Matours le 14 juillet 1944)

Lorsque le S.A.S. se remit à la tâche, des efforts avaient déjà commencé à être déployés en Angleterre afin de châtier les unités allemandes responsables de l’attaque de Verrières.

Un rapport révèle que Tonkin a demandé qu’une attaque aérienne soit effectuée le 5 juillet soit 2 jours seulement après Verrières. Il semble que ce soit le capitaine Maingard (du S.O.E.) qui ait transmis ce message par radio en Angleterre au quartier général des forces spéciales. Maingard possédait, semble-t-il, un repère cartographique de la localisation des Allemands à Bonneuil-Matours, à 22 km au nord-est de Poitiers.
C’était un complexe de baraquements, identifié comme étant les dortoirs de la plupart des troupes allemandes responsables de l’opération de Verrières du 3 juillet.

Le message disait ceci : « demande un bombardement spécial du QG du commandant boche qui a dirigé les colonnes de répression en Indre, Vienne, Creuse et Loire. 15 km au sud de Châtellerault. Château à 450 m au sud-est du carrefour est du village. 100 m au sud de la route d’ Archigny. Compagnie de défense dans la forêt à 30 m à l’est des fossés le long de la rivière la Vienne du carrefour TTT à 200 yards ( = environ 180 m) vers le sud. Présence probable de chars. »

Le château identifié était le château de Marieville, une résidence importante située sur une colline sur la berge est de la rivière. Il avait été réquisitionné par le colonel commandant le bataillon de la 17ème division blindée SS, les troupes se trouvant dans les baraquements le long de la berge légèrement boisée de la rivière. Un pont à proximité permettait des points de référence excellents pour une attaque aérienne.

Des quartiers généraux des Forces Spéciales, le message fut transmis aux quartiers généraux de la brigade S.A.S. où l’on ne tarda pas à utiliser les contacts établis avec la Royal Air Force dans un but de revanche.

A ce moment précis, rien ne permet d’affirmer que Londres était au courant de l’exécution des prisonniers S.A.S.. Tonkin ne sut rien de l’exécution jusqu’à la fin de la guerre. Il semble que ce soit très probable si l’on tient compte des mesures prises par les Allemands pour dissimuler l’exécution des membres en forêt de Saint-Sauvant.

L’attaque aérienne doit donc être considérée dans le contexte d’une opération visant principalement à venger la mort d’un seul officier S.A.S., le lieutenant Stephens, et celle des 7 maquisards.

Lorsque l’appel atteint la R.A.F., il arriva au moment le plus actif de la guerre où elle devait faire face à des demandes constantes pour des opérations aériennes éclair. Les circonstances de l’appel touchèrent particulièrement l’officier de l’air commandant le groupe 2, le redoutable Basil Embry si bien que la R.A.F. ne déclina pas l’appel et accepta l’opération.

Quand les délais le permettaient, les membres du Q.G. du groupe 2 faisaient des simulations afin de faciliter les instructions d’une attaque prédéfinie mais Embry expliqua que cela n’était plus possible dans les temps impartis. Cependant, il fut clair en disant que l’attaque était une mission répressive et révéla que les baraquements en question abritaient une unité allemande coupable d’avoir matraqué à mort un prisonnier de guerre britannique. A ce moment-là, Embry avait le sentiment que les Allemands impliqués faisaient partie de la redoutable Gestapo et cela ajouta à sa résolution de voir l’escadrille 140 remplir sa mission avec brio. Il était clair qu’Embry voulait insuffler à ses équipages un esprit de vengeance. Eric Romsey, navigateur, rappela qu’Embry ne ménageait pas ses mots lorsqu’il décrivait la façon dont les Allemands « avaient défoncé la tête de quelqu’un ».

Six Mosquitos devaient être équipés de nouvelles bombes incendiaires américaines. Quatre avions devaient ouvrir le feu en direction de la cible avec des bombes hautement explosives, puis les bombes incendiaires seraient larguées et, finalement, on larguerait à nouveau des explosifs afin d’étendre l’effet. Un autre serait affecté à patrouiller la route le long de la rivière pour stopper tout renfort.
La décision avait été prise de ne pas attaquer le solide château mais de viser les baraquements où se trouvait une concentration importante et plus vulnérable d’ennemis.

Toute la flotte décolla dans la soirée peu avant 21h. Après avoir traversé la Manche et le nord de la France pratiquement sans encombre, la cible, grâce à un ciel sans nuages et à une excellente visibilité, fut aisément identifiée le long de la rivière.
Le système de largage fut enclenché, les bombes armées. La seule source de tracas fut une 20 mm faisant feu sauvagement du toit d’une grande maison proche. Après que le premier avion ait largué ses bombes, la fumée enveloppa le tireur et le tir stoppa.
Aucune alerte ne fut donnée à l’approche des bombardiers et les citoyens entendirent seulement le rugissement des engins Merlin au moment où les mosquitos remontèrent au-dessus de la vallée, laissant croire aux personnes présentes que les avions étaient arrivés moteurs coupés afin de surprendre les Allemands. En vérité, la grande vitesse et la basse altitude de leur attaque assuraient que le Mosquitos seraient au-dessus de leur cible avant que la Allemands n’aient le temps d’entendre leur arrivée et de s’organiser.

Les bombes utilisées étaient un mélange d’explosifs à retardement de onze secondes et d’explosifs instantanés avec de nouvelles bombes incendiaires américaines M76 phosphoreuses. Un certain nombre d’équipages de ce raid prétendait, après-guerre, que cette nouvelle bombe était la première bombe au napalm. Si tel est le cas, alors l’attaque sur Bonneuil-Matours correspondrait à la première utilisation opérationnelle de cette arme.
Lorsque les premiers équipages annoncèrent « bombes larguées » sur la cible, ils quittèrent ce territoire et les bâtiments furent laissés en proie aux flammes.

Pour les troupes SS, l’épreuve était loin d’être terminée. Un grondement crescendo s’éleva au-dessus du rugissement des flammes lorsque les Mosquitos virèrent et replongèrent sur la cible. A travers la fumée qui s’élevait, les avions réapparurent et se mirent à viser, avec leur canon et les mitrailleuses, toute silhouette en uniforme noir suffisamment malchanceuse pour être surprise à découvert. Connaissant la raison de leur raid, les hommes n’étaient pas d’humeur à exercer une quelconque pitié.

Par la suite, chaque avion organisa son propre retour en Angleterre. Il n’y eut aucune tentative de se replacer en formation.

Les Mosquitos laissèrent derrière eux un théâtre de destruction impressionnant. Les 7 blocs avaient été soufflés et, comme prévu, les SS avaient été surpris. Ils revenaient juste d’une mission réussie dans l’Indre contre le maquis « Gilles », dans la région de Bélâbre, et on estime à 400 le nombre des troupes ennemies au moment de l’attaque.

Durant la nuit, les habitants du village craignirent des représailles mais, heureusement, elles ne se produirent pas.
Les Allemands s’activèrent, eux-mêmes, à transférer leurs blessés à Poitiers. Un certain nombre de gens furent appelés à charger les corps dans les camions.

Discrètement, les habitants de Bonneuil-Matours célébrèrent le raid qui avait surpris leurs hôtes indésirables pendant leur dîner, d’autant plus que le ragoût était composé de mouton volé dans les fermes du coin.

Deux jours plus tard, le camp allemand fut complètement abandonné par les survivants SS qui quittèrent Bonneuil-Matours pour de bon.

Le 15 juillet, Tonkin prit conscience que l’attaque avait eu lieu lorsqu’il reçut un message radio d’Angleterre demandant, pour le compte de la R.A.F., les résultats du bombardement.
La Résistance française estimait entre 150 et 200 le nombre des victimes. Le compte-rendu de la gendarmerie locale fit état de 80 à 100 tués ou blessés.
Si l’on tient compte de l’enthousiasme exagéré de la Résistance, l’estimation de la gendarmerie est vraisemblablement plus juste.
Quelques que soient les chiffres réels, le raid fut un succès complet.