Joseph Garnier, un humaniste poitevin au service de la France

Originaire de Condac en Charente, où il est né le 2 avril 1909, dans une famille modeste, Joseph Garnier a marqué l’histoire de notre région. Il joua un rôle de premier plan dans la Résistance puis à la Libération.

Joseph Garnier a six ans lorsque son père trouve la mort, le 8 mai 1915, en combattant sur le front de Belgique. Pupille de la Nation, il obtient, à la fin de sa scolarité primaire, une bourse d’études lui permettant d’entrer à l’Ecole normale d’instituteurs de Poitiers.

Il exerce ce métier de 1928 à 1931 puis quitte l’enseignement pour intégrer l’administration préfectorale. Tout en exerçant son activité professionnelle, il passe son baccalauréat afin d’accéder à l’Université où il obtient sa licence puis un diplôme d’études supérieures de droit public.

En 1935, il épouse Yvette Berneron à Lignet (Vienne). De cette union naîtront trois enfants.

Le 1er janvier 1939, il est nommé, sur concours, directeur des hôpitaux-hospices de Poitiers. Les aléas de la vie, et particulièrement l’occupation allemande, orientent sa carrière professionnelle de manière inattendue mais avec deux soucis constants, le service de l’Etat et le respect de l’être humain. Son profond attachement aux valeurs républicaines l’amène à rejoindre le réseau de Résistance « Libération Nord » en 1942 et à favoriser l’évasion de détenus politiques soignés dans les différents établissements hospitaliers qu’il dirige.

Améliorer le sort des malheureux

A ce sujet il écrivait : « Pendant la période de janvier 1939 à septembre 1944, date de ma révocation, mon action professionnelle ne se développait que sur un plan purement administratif et technique. Cependant les déclarations et les discours de Philippe Pétain et les portraits des membres du gouvernement usurpateur n’ont pas été affichés dans les établissements que je dirigeais. Sur 150 personnes travaillant à l’hôpital, 50 environ ont été convoqués pour le Service du Travail Obligatoire (STO), à la suite de mes démarches et grâce à la collaboration des médecins, un seul est effectivement parti.

« Un des pavillons de l’Hôtel-Dieu était affecté aux détenus politiques du camp de Rouillé. Ce bâtiment était entouré de barbelés et gardé jour et nuit par la police. J’ai, dans toute la mesure du possible, amélioré le sort de ces malheureux. Grâce à des complicités j’ai organisé des interventions chirurgicales qui évitaient les déportations en Allemagne et des évasions ».

Un bras de fer avec les autorités

Outre le camp de Rouillé, ces internés proviennent de plusieurs centres de détention, en particulier le camp d’internement de la route de Limoges à Poitiers, la colonie pénitentiaire de saint Hilaire, le centre de stockage des Lourdines à Migné et, bien évidemment, la prison de la Pierre levée. Lorsque leur état de santé nécessite une hospitalisation, ils sont admis à l’hôpital Jean Macé (dans le quartier Montierneuf) et sont, par la suite regroupés à l’hôpital Pasteur. Ces internés hospitalisés sont placés sous la surveillance de fonctionnaires de police. Joseph Garnier ne souhaite pas que le personnel hospitalier devienne « auxiliaire de la police » aux ordres de l’autorité allemande. Commence alors un bras de fer entre l’autorité préfectorale voulant imposer des mesures de surveillance et Garnier qui s’y oppose.

Dix évasions ont lieu à l’hôpital Jean Macé lors du dernier trimestre 1941. Le préfet, Louis Bourgain, décide alors de regrouper tous ces internés hospitalisés dans des « chambres de sureté » situées dans le pavillon Dalesmes de l’Hôtel-Dieu, de munir les fenêtres de barreaux et ceinturer le bâtiment d’un grillage et de fils de fer barbelé.

          Le rôle de Joseph Garnier est remarquable. Avec une grande habilité, il résiste au Préfet et au Commissaire de police qui souhaitent transformer le corps médical en geôliers. Il oppose le bon sens et le droit aux tentatives d’instaurer l’arbitraire dans le seul lieu où il est encore possible d’apporter un peu d’humanité aux internés des camps et aux détenus des prisons.

Un jour, le Commissaire central lui enjoint, afin d’éviter les évasions, d’enlever les vêtements et les chaussures des internés et de les doter de pyjamas et de chaussons. Aussitôt, muni d’un certificat du médecin chef, Joseph Garnier s’oppose à cette mesure expliquant, qu’étant donné le chauffage insuffisant, les malades ne peuvent recevoir ces vêtements sommaires, car,  » dans l’intérêt sanitaire de ceux-ci, on ne peut les laisser au lit toute la journée « . Joseph Garnier finit par avoir gain de cause.

De fausses opérations pour éviter la déportation

Malgré les mesures prises par les autorités, les évasions se poursuivent, favorisées par le personnel avec, parfois, la complicité de fonctionnaires de police. Des sanctions sont prononcées contre les policiers accusés de « négligence inadmissible ». Deux d’entre eux sont révoqués et un troisième suspendu huit jours sans traitement. Le Feldkommandant de la place de Poitiers menace le préfet de faire arrêter le personnel de police chargé de la surveillance si ces faits se reproduisent. Les évasions marquent le pas, mais malgré tout, deux femmes tziganes, six jeunes colons de la colonie pénitentiaire de Saint-Hilaire, deux détenues politiques puis trois internés du camp de Rouillé parviennent à s’évader. La passivité des gardiens reconnue, l’un d’eux est condamné à trois mois de prison.

Grâce à son réseau de résistance, il fait parvenir, en fraude, de l’argent et des colis aux internés. Il organise, avec la participation du corps médical, des interventions chirurgicales destinées à éviter la déportation de certains prisonniers. C’est le cas du véritable sauvetage du docteur Wolfsohn, juif communiste. Arrêté à Paris pour ses activités politiques, il est transféré au camp de Rouillé. Apprenant sa désignation pour le prochain convoi vers Drancy, il simule une crise cardiaque justifiant son transfert à l’Hôtel-Dieu. Dès son admission, son ami le révérend Père Fleury, dévoué à la cause des persécutés juifs et tziganes, n’a qu’un objectif, l’arracher à la surveillance de la Gestapo et à une mort certaine. Il se confie à Joseph Garnier et tous deux imaginent un stratagème. Avec la complicité de médecins et de policiers, il est opéré de l’appendicite le jour même. Lorsque les agents de la Gestapo viennent prendre livraison du prisonnier, ils voient passer un corps inanimé par l’anesthésie. Le docteur Wolfsohn ne sera jamais déporté car d’autres événements occupèrent les Allemands dans les jours et semaines suivantes et ils en oublièrent le prisonnier.

En avril 1944, il est désigné, par les différents mouvements de résistance de la Vienne, président du Comité Départemental clandestin de Libération.

Suite à une dénonciation, le 6 juin 1944 des agents de la Gestapo se présentent à l’Hôtel-Dieu en vue de son arrestation. Alerté par le concierge, Joseph Garnier parvient à gagner la maternité où la sage-femme en chef, mademoiselle Guépatte, lui procure une échelle qui lui permet de fuir en franchissant le mur d’enceinte d’une propriété jouxtant l’hôpital.

Révoqué de ses fonctions pour « abandon de poste » par le gouvernement de Vichy, il poursuit ses activités clandestines, restant en contact avec différents membres du CDL ainsi qu’avec le mouvement Libération Nord et le parti socialiste.

Nommé Préfet de Charente

En août de la même année, sur les instances de ses nombreux amis, il accepte sa nomination de Préfet de Charente. A partir de cette date, en collaboration avec monsieur Schuhler, Commissaire de la République de Poitiers et des différents chefs de maquis locaux, il assume la lourde tâche de mise en place d’une organisation permettant la prise de pouvoir sitôt la libération de Poitiers.

Il reste Préfet de Charente jusqu’en janvier 1952, mais de sérieux problèmes de santé l’obligent à quitter sa fonction. Il est alors détaché à la préfecture de police de Paris pendant quatre ans puis est nommé Directeur de cabinet au Secrétariat d’Etat de l’Information.

De 1957 à 1963, il occupe le poste de Secrétaire Général à la préfecture de la Seine puis Trésorier Payeur Général du Vaucluse. Il décède à Paris, le 29 mai 1969, à l’âge de 60 ans.

Joseph Garnier est décoré de la Légion d’Honneur, de la médaille de la Résistance, de l’ordre de la Santé Publique et de l’Ordre du Mérite Civil du ministère de l’intérieur.

En hommage à son action durant la seconde guerre mondiale, un bâtiment porte encore aujourd’hui le nom de Joseph Garnier dans l’enceinte du CHU de la Milétrie.

Sources : famille Garnier