La loi du sang. Penser et agir en nazi

CHAPOUTOT Johann, La loi du sang. Penser et agir en nazi, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque des Histoires, 2014, 576 p.

LE NAZISME : UNE IDEOLOGIE CONSTRUITE ET COHERENTE

Chaque page du livre que Johann Chapoutot consacre à cette question est une révélation. L’argumentation en est rigoureuse et la démonstration éblouissante. Prétendre résumer une  pareille somme, c’est prendre le risque d’en caricaturer le contenu. L’auteur a fait un travail de bénédictin : Non seulement il a dépouillé tous les discours et écrits des chefs nazis, mais également épluché les milliers d’instructions particulières données à tous ceux, et ils furent nombreux, chargés de faire connaître et de mettre en musique le nouvel ordre, et l’on pense d’abord aux officiers, aux sous-officiers et aux soldats de la SS. La doctrine fut largement acceptée parce qu’elle instrumentalisait une paranoïa collective sans précédent et qu’elle répondait aux angoisses du moment.

C’est une idéologie fondée sur un retour aux lois de la Nature et à une Terre-mère dispensatrice de mythiques bienfaits. L’homme doit prendre conscience qu’il n’y représente qu’une partie du vivant qui l’entoure et qu’il en doit respecter scrupuleusement l’ordonnancement. Son existence n’y a de sens que par son appartenance à une race, don de la Nature, qu’il a le devoir d’honorer, de défendre et de préserver. La même Nature en a établi une hiérarchie infrangible : au sommet, la race nordique ou germanique des Aryens à laquelle, Grecs et Romains appartenaient à l’origine, les Allemands en sont aujourd’hui l’échantillon le plus pur. Viennent ensuite les « Humanités mélangées » dont la pureté a été altérée par les métissages successifs, suivies des Slaves dont la vocation exclusive est de servir d’esclaves aux maîtres nordiques. Tout en bas de cet étrange classement hiérarchisé, se trouvent les Noirs et les Asiates, races méprisables.

Mais à côté, il y a ceux d’où vient tout le mal du monde, les juifs, inclassables car ils sont une non-race ou une contre-race, une nuisance mystérieusement introduite par la Nature, assimilés par les théoriciens nazis, à des bacilles ou à des champignons vénéneux qu’il faut éradiquer à tout prix. « C’est, écrivait Reinhardt, le plus grand danger de l’humanité ». Goebbels, de son côté, avait clairement souligné le péril : « on ne doit laisser place sur ces questions, à aucune sentimentalité. Les juifs, si nous ne nous défendions pas contre eux, nous anéantiraient. C’est un combat à la vie et à la mort entre la race aryenne et le bacille juif ». Tout est dit.

Au fil de l’histoire, et pour les nazis, c’est bien la race germanique qui a le plus souffert du parasitisme juif. Dans son immense bonté, l’homme germanique, s’est laissé circonvenir par son ennemi juré qui a utilisé contre lui son avatar le plus efficace, le christianisme [selon Rossner, « la juiverie est la semence et le christianisme est le fruit »]. La Nature stipule que la vie est un combat, le christianisme, en introduisant les notions aveulissantes d’amour, d’humilité et de pitié, a désarmé l’homme nordique, et Hitler considérait que les Dix commandements représentaient une « mutilation de l’être humain ». Pour Himmler le christianisme représente une « peste majeure, la pire qui pouvait nous frapper au cours de notre histoire ». À toutes ces raisons s’ajoute la force mobilisatrice  d’une paranoïa collective qui voudrait que les peuples germaniques aient été particulièrement persécutés depuis 1648 à l’instigation de la France qui aurait alors organisé l’éclatement de l’empire germanique (pourtant déjà bien éclaté !), et poursuivi sa funeste entreprise avec la Révolution de 1789, l’Empire, et comme cela  jusqu’au traité de Versailles, conçu pour « l’extermination définitive du peuple allemand ». Abaissement auquel ont contribué les conceptions talmudiques du droit de même que l’invention du bolchevisme qui, tout comme le christianisme, est issu de la culture juive.

L’année 1933 constitue, selon Hitler, l’an un d’une véritable révolution copernicienne : début d’un processus historique qui allait  redonner toute sa place à la race supérieure. Un droit nouveau « conforme à la race » et à la Nature se substitua progressivement à l’ancien, qui, sous couvert d’émancipation du peuple, installait l’arbitraire le plus absolu, le plus tyrannique, le plus violent que l’histoire ait connu. La guerre [1939-1945] programmait l’extermination des juifs. Elle avait aussi pour but de soumettre les Slaves, ces « animaux humains » comme disaient les nazis, considérés par eux comme leurs pires ennemis après les juifs, d’en éliminer le plus grand nombre possible, à commencer par leurs élites qui ne le sont devenues d’ailleurs, que par l’apport de sang allemand transmis par des métissages successifs imprudemment tolérés jusqu’alors et que les lois de Nuremberg interdisaient désormais. L’objectif était de confisquer leurs terres pour y installer des colons, de repousser la frontière germanique de 500 km à l’est, et de ne conserver dans cet espace que la main-d’œuvre servile nécessaire…

L’idéologie nazie s’est répandue dans le peuple grâce à une propagande remarquablement orchestrée et redoutablement efficace, mais aussi, et surtout, parce qu’elle reçut la caution des intellectuels les plus éminents (savants, biologistes, grands professeurs de droit, historiens, géographes, philosophes, journalistes etc.), lui conférant ainsi la crédibilité sans laquelle la meilleure des propagandes reste limitée dans ses effets. Cependant, solidement ancrées, les idées nauséabondes qu’elle véhiculait, avaient déjà laissé des traces durables. Chapoutot raconte comment 18 médecins allemands qui avaient assassiné 56 enfants handicapés entre 1939 et 1945 furent déférés par les Britanniques, pour « crime contre l’humanité », devant un tribunal allemand. Ils avaient plaidé que les êtres vivants qu’ils avaient eu à traiter ne pouvaient être qualifiés « d’êtres humains » ! Et, finalement, en 1949, le tribunal prononça un stupéfiant non-lieu.

Le livre de Chapoutot doit être lu et relu par tous ceux qui s’intéressent au sujet ou qui ont à en parler. C’est un livre fondamental que l’on doit avoir toujours à portée de la main.

Jean Henri Calmon