France Bloch-Sérazin Une femme en résistance (1913-1943)

QUELLA-VILLEGER Alain, France Bloch-Sérazin Une femme en résistance (1913-1943), Paris, Ed. des Femmes, coll. Biographie, 2019, 295 p.

France Bloch-Sérazin

Militante, Patriote et Martyre

Longtemps la Résistance est restée une affaire d’hommes. Les femmes ont cependant, petit à petit, reconquis la place éminente qui leur revenait dans cette glorieuse aventure, mais les ouvrages qui en témoignent sont encore bien rares. Avec celui-ci, remarquable à tous points de vue, Alain Quella-Villéger contribue, pour une part, à combler la lacune. Il y raconte l’histoire dramatique de France Bloch-Sérazin, fille de Jean Richard Bloch, compagnon de route du parti communiste, écrivain et journaliste.

En quête du Graal de justice

Élevée dans le cocon culturel du « petit paradis bucolique » de la Mérigote, maison que la famille possède à Poitiers, elle fait, dans cette ville, de solides et brillantes études qu’elle va poursuivre à Paris, munie d’une licence de chimie, pour se consacrer à la recherche. Le milieu familial, les événements qui déchirent l’histoire de cette époque troublée, les injustices sociales, aggravées par une crise économique d’une ampleur inégalée, poussent cette jeune femme, intelligente, généreuse et idéaliste, à s’engager dans l’action politique. Comme beaucoup, elle est fascinée par la révolution communiste à l’œuvre dans l’ancien empire des tsars et dont Joseph Staline, personnage hors norme, sorte de demi-dieu à l’antique, est le génial artisan. Expérience titanesque qui doit être protégée et défendue avec ferveur, et le militantisme ordinaire prend bientôt l’allure d’une ardente croisade en faveur de l’humanité nouvelle, fruit à venir de la révolution en cours.

Frédo, Moi et le Parti

France s’inscrit au parti en 1937. En 1939, elle épouse Fredo Sérazin, un ouvrier militant communiste, avec qui elle va vivre une magnifique histoire d’amour dans laquelle le PC tient une place de choix : « Le jour de notre mariage, écrit-elle, nous étions trois : Fredo, moi et le parti ». Ils s’engagent passionnément dans la lutte antifasciste, décrétée par Moscou, sont de tous les combats et s’opposent notamment à l’odieux accord de Munich.

Le séisme du Pacte

Le pacte germano-soviétique en mettant brutalement un terme à cette stratégie, sème le désarroi dans une troupe jusque-là dévouée à la cause. Les instructions venues de Moscou via le Komintern, font cesser le combat antifasciste au profit d’une lutte contre la guerre impérialiste dans le but d’obtenir une paix de compromis. Romain Rolland, l’ami fidèle, en est bouleversé et profondément scandalisé[1]. Les témoignages des camarades de France, recueillis par l’auteur, restent très flous sur le contenu de son  action pendant la période qui va de septembre 1939 à juin 1941. En revanche, tout à fait révélateurs d’une chronologie plus significative, sont les papillons [« Vive l’URSS », « Vive Staline »,] qu’elle glisse sous les portes ou colle la nuit sur les murs de Paris, au mépris des risques encourus. Opérations de propagande nécessairement postérieures à l’invasion de l’URSS [22/6/41], inconcevables en effet avant cette date charnière, tant était grande et unanime l’indignation populaire contre l’URSS et le pacte.

Jean Richard-Bloch à Moscou

 En réalité, pendant l’hiver 40-41, les communistes sont réduits au combat social et à la dénonciation de la politique bourgeoise de Vichy, ce qui leur vaut d’ailleurs d’être poursuivis et condamnés par le régime, en raison des dispositions, très dures, prises contre eux par le gouvernement Daladier. Les conditions du départ pour Moscou de Jean Richard Bloch[2] attestent que les Allemands se gardent bien de réprimer frontalement les communistes, par crainte d’éveiller la méfiance de Staline, alors même qu’ils s’apprêtent à envahir l’URSS. Les mêmes raisons laissent à penser,  que c’est plutôt la police française qui se présente, en novembre 40 à son domicile, et non la Gestapo comme il l’écrit à Jean Paulhan[3], d’autant que celle-ci ne devient opérationnelle en France, qu’à partir du printemps 1942[4]. La mémoire meurtrie de l’écrivain, les circonstances aidant, assimile l’une à l’autre.

Vichy met sa police au service de l’occupant.

Après le déclenchement de Barbarossa [22/6/41], les militants reprennent la lutte antifasciste avec d’autant plus de facilité que leurs sentiments sur le sujet n’ont pas varié. Et c’est bien le cas de France, qui se jette à corps perdu dans la bataille, avec une foi revivifiée. Elle crée le laboratoire clandestin qui alimente en explosifs le groupe de sabotage dirigé par Raymond Losserand : « c’est ainsi, écrit l’un des membres, que vers novembre 41, saute à Orléans, avec du matériel préparé par elle, un pylône électrique de grande importance pour l’ennemi ». Elle ne se contente pas de confectionner cet armement spécial, mais se charge d’approvisionner le réseau en toutes sortes de produits interdits nécessaires à sa réalisation.

Condamnée à mort

 Repérée par la police française en février 42, elle est identifiée, prise en filature et arrêtée le 16 mai 1942 en même temps que tous ses camarades du groupe, soumise aussitôt à l’interrogatoire du commissaire divisionnaire Jean Hénoque, de sinistre réputation. L’auteur a très judicieusement reproduit le dialogue entre le policier, très bien renseigné, et sa prisonnière démunie, qui mobilise son intelligence, son habileté et tout son courage, dans une défense sans espoir. C’est un des moments les plus pathétiques de l’ouvrage. Le 2 juin 1942, elle est livrée à la police allemande par l’administration française, dans le temps même où René Bousquet prépare avec le général Oberg, chef des SS et de leur police en France[5], le fameux accord qui va généraliser cette collaboration étroite dans le seul but de renforcer la lutte contre la Résistance. Transférée à la Santé, France est condamnée à mort, comme la plupart de ses camarades du groupe, le 30/9/42, et Marie-Josée Chombart de Lauwe, sa voisine de cellule, raconte que « Le président du jury avant de lever la séance avait rendu hommage à leur courage et s’était excusé de devoir les condamner ». Attitude surprenante mais pas isolée. Ainsi, au procès des Résistants du Musée de l’Homme [17/2/1942] le président avait-il, de la même façon, rendu hommage aux condamnés qui s’étaient conduits, selon ses propres termes, en « bons Français » s’excusant presque d’avoir dû, pour sa part, se conduire en « bon Allemand ». Marques ultimes d’une civilité ancienne qui s’étiole à mesure que  s’impose la barbarie des nouveaux temps.

France, victime expiatoire ?

Ses camarades avaient pensé que sa condition de femme lui éviterait l’exécution. Des précédents récents pouvaient être invoqués : trois femmes condamnées à mort lors du procès des Résistants du Musée de l’Homme, échappèrent à la sentence, tout comme les trois femmes frappées de la même peine, en novembre 1942, au procès des communistes de Thouars, accusés de sabotage aux usines Rusz. Mais France, transférée en Allemagne, est guillotinée à Hambourg le 12 février 1943[6]. Alain Quella-Villéger a raison de dire qu’elle est d’abord condamnée pour des motifs politiques et notamment pour la place de premier plan qu’elle occupe dans le groupe de sabotage, mais on ne peut s’empêcher de penser que sa qualité de juive a constitué, pour les nazis, une circonstance particulièrement aggravante. Difficile, en outre, de ne pas considérer qu’à travers la fille, les bourreaux ont voulu frapper le père qui, sur radio Moscou, mène contre eux une implacable guerre des ondes. Ajoutons encore que son supplice suit, de quelques jours seulement, la chute de Stalingrad, immense victoire du communisme sur le nazisme !

France meurt dans un complet isolement, imposé par son statut de prisonnière « NN », sans aucune nouvelle des siens, de son petit Roland, de Fredo, vaillant Résistant, exécuté par la Gestapo en 1944. Ce que plus tard, dans une lettre très émouvante, Jean Richard Bloch résume ainsi : « il est mort ne la sachant pas morte. Elle est morte en l’espérant vivant et libre ». Lui-même, brisé par cette terrible épreuve qui lui a enlevé sa fille, son gendre, son neveu, sa mère, meurt d’une crise cardiaque en plein Paris le 15 mars 1947.

Dans une analyse fine et fort bienvenue, l’auteur consacre la dernière partie de son ouvrage à la mémoire de l’événement qui subit les fluctuations erratiques des passions partisanes, et rappelle, à cette occasion, que depuis 1980 un collège de la ville de Poitiers porte le nom de France Bloch-Sérazin.

 C’est un livre passionnant, bien documenté, très bien écrit, qu’on lit avec un intérêt soutenu parce qu’à travers la vie tragique et pathétique de cette héroïne des temps modernes, c’est aussi l’histoire de la France des années sombres qui nous est racontée là avec talent.

                                                                                                       Jean Henri Calmon

Article publié dans le n° 125 de la Revue L’ actualité Nouvelle Aquitaine juillet-août-septembre 2019


[1] Romain Rolland, Journal de Vézelay 1938-1944, Bartillat 2012, p. 354.

[2] Les Soviétiques lui fournissent un passeport et obtiennent des Allemands un visa qui lui permettra de traverser l’Allemagne pour gagner Moscou [page 95].

[3] Page 263 du livre.

[4] Méprise que l’on retrouve page 72 (2/4/40), page 91 (fin 40) ou encore page 109 (14/7/41).

[5] SIPO-SD, police des SS, improprement appelée « Gestapo ».

[6] Tragique coïncidence : le même jour à 17h, les 29 résistants du réseau Renard quittent la prison de Poitiers pour un long voyage qui les conduit en Allemagne où 19 d’entre eux perdront la vie.

Ouvrage d’Alain Quella-Villéger