Un drapeau anglais au musée de la Vienne dans la deuxième guerre mondiale

La présence de ce drapeau dans le musée est une manière de rendre hommage aux alliés britanniques qui jouèrent un rôle prépondérant au profit des réseaux de résistants et groupes de maquisards. Ce drapeau a une histoire qui a fait l’objet d’un article du Picton n°199, Janv-Fév 2010.

Chantier de jeunesse Rognonas: visite de la Porte du Theil

UN DRAPEAU ANGLAIS AU MUSÉE DE LA VIENNE DANS LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE (Tercé, canton de Saint Julien L’ars)
Dans le musée « La Vienne dans la deuxième guerre mondiale » se trouve un drapeau anglais. C’est un symbole fort car il est une manière de rendre hommage aux alliés Britanniques en général, et aux équipages de la Royal Air Force en particulier, qui réalisèrent la majeure partie des dizaines de parachutages d’armes, munitions, uniformes, matériel médical etc… au profit des réseaux de résistants et groupes de maquisards.

Ce drapeau anglais a été offert au musée de Tercé par Robert Milon, né le 2 avril 1923 à Saint Martin La Rivière, coiffeur au même endroit pendant et après la guerre. « Classe 43 », il partit en mars 1943 aux Chantiers de la Jeunesse Française. Il rejoignit le camp de Rognonas, près d’Avignon et fut mis à disposition du S.T.O. (Service du Travail Obligatoire). Il ne partit pas en Allemagne mais travailla durant plusieurs mois dans un ancien chantier naval à Avignon où, à cette époque, se fabriquaient des éléments de mines explosives antichars ou autres champs de mines. Début juillet 1943, Robert Milon fut reconnu par un ancien soldat français du 27e régiment d’infanterie qui stationna, jusqu’en novembre 1942, à Saint-Martin La Rivière (Vienne), gardant la ligne de démarcation du côté français. Ce soldat s’est arrangé pour changer l’affectation de Robert Milon qui devint ainsi coiffeur de juillet à fin octobre 1943. Dans le courant d’octobre, le camp reçu la visite du général de la Porte du Theil, chef des Chantiers de la Jeunesse Française, qui annonça qu’il allait démobiliser les chantiers : ce qui se produisit quelques jours plus tard pour son camp. Robert Milon revint à St-Martin La Rivière et reprit son métier de coiffeur. Pour peu de temps car début novembre il fut de nouveau convoqué au S.T.O., à destination de l’Allemagne, cette fois-ci.

Refusant le S. T. O., il partit se réfugier à Plaisance, chez son oncle, frère de son père, dont l’épouse, Mme Milon, tenait une petite épicerie en face de la mairie. C’est ainsi que Robert Milon fit connaissance du maire de Plaisance, Marcel Rigaud, qu’il rencontra quelquefois et sa fille, Jeanine Rigaud (plus tard épouse Raymond Parot). Il se souvient surtout du jour où elle lui remit une fausse carte d’identité au nom de Robert Marejes, accompagnée d’un carnet de tickets d’alimentation au même nom.

À cette époque, fin 1943, Marcel Rigaud était très impliqué dans une forme de résistance qui consistait à cacher et protéger des jeunes réfractaires au S.T.O. Cette activité clandestine l’a mis en rapport avec Georges Dumas, à Limoges. En effet, Marcel Rigaud avait un cousin qui habitait, à Limoges, dans une maison jumelée et identique à celle du domicile de Georges Dumas, fonctionnaire des impôts détaché à la mairie de Limoges. Grande figure de la Résistance française, membre de l’Armée Secrète, il fut responsable départemental, puis régional, du N.A.P. (Noyautage de l’Administration Publique). Dénoncé à la Gestapo, il fut arrêté le 24 mars 1944 et fusillé le 26 à Brantôme (Dordogne). Il était le père de Roland Dumas, ancien ministre en 1981 et 1986, ancien président du Conseil Constitutionnel en 1996, lui aussi résistant mais au sein du M. U. R. (Mouvements Unis de la Résistance) à Bordeaux.

Pendant la guerre, Marcel Rigaud rencontra plusieurs fois Georges Dumas, quand la famille Rigaud rendait visite à leurs cousins. C’est à la suite de ces rencontres que Jeanine Rigaud-Parot eût à effectuer plusieurs voyages par le train, de Montmorillon à Limoges. Elle s’en allait directement rue Jules Ferry où Georges Dumas avait établi une fabrique de fausses cartes d’identité dans une maison où Jeanine se rendait, pénétrant uniquement dans une sorte de petit bureau où « on » lui donnait un « petit paquet » qu’elle remettait à son père dès son retour. À chaque fois qu’elle effectua ces liaisons spéciales, elle était sereine à l’aller mais l’angoisse l’étreignait au retour. Elle savait qu’elle aurait payé très cher la découverte, par les Allemands, de ces paquets compromettants qui contenaient de fausses cartes d’identité.
Les faux papiers étaient distribués à des réfractaires S.T.O. cachés dans la région de Montmorillon. Une partie des fausses cartes étaient confiées par Marcel Rigaud à un certain « Monsieur Bourneau », à Arnac-La -Poste, en Haute-Vienne.

Robert Milon a toujours conservé cette fausse carte d’identité. Caché à Plaisance, il y passa l’hiver et le printemps 1944, mais il avait toujours des contacts avec sa commune d’origine, Saint-Martin La Rivière. Là, voisin de son salon de coiffure, et proche de la boucherie de son père Ernest Milon (prédécesseur de la famille Papuchon), habitait le Capitaine Courchet, démobilisé du 27e R.I., stationnant à Saint Martin La Rivière avant novembre 1942. Aussitôt le débarquement du 6 juin 1944 en Normandie, Robert Milon suivit en bicyclette un groupe emmené par le capitaine Courchet, constitué entre autres des frères Taudière, bouchers à Civaux, de Ribereau de Saint Martin La Rivière, et d’un lieutenant démobilisé lui aussi du 27e et resté à Saint Martin La Rivière après sa démobilisation. Le groupe pédalait vers le Berry, avec l’intention de rejoindre un maquis. Cela se produisit plus vite qu’ils ne l’auraient crû et avec une étonnante facilité : leur route croisa celle de la voiture du capitaine Ferron, alias « Gilles », chef du « groupement Gilles », qui les arrêta et les engagea. Le « groupement Gilles» fut constitué des maquis Alex, Baptiste, Sylvain, Marcel, Brun, Vauquois-Alsace, Cram.

Dès juin 1944, le colonel Chêne, alias « Bernard », chef des FFI, décida la création d’un groupe de maquis doté de moyens puissants, maintenu près de lui en réserve de sous – secteur et demeurant à sa disposition pour être utilisé à tel ou tel point nécessitant un appui important. Le capitaine Ferron alias « Gilles » fut chargé de fournir les moyens en personnel. Le commandement de ce groupe, baptisé « Bretteval », fut confié à un officier d’état-major du colonel « Bernard », le capitaine Lequime, alias « Bretteval », qui demanda à être le chef de ce maquis en raison de sa formation d’officiers de mitrailleuse ayant suivi les stages. Curieux destin : le général de la Porte du Theil, chef des Chantiers de Jeunesse et proche du maréchal Pétain, était de Sèvres-Auxaumont, dont il fut maire après la guerre. Le capitaine Lequime, fervent gaulliste, était lui aussi de la même commune, près du village d’Auxaumont.

Robert Milon fut affecté à la compagnie « Bretteval » début juillet 1944. À partir du 5 juin 1944, le Haut – Poitou fut le théâtre d’opération d’un gros commando du 1er S.A.S. (Spécial Air Service) anglais sous les ordres du capitaine Tonkin (opération Bulbasket). Encerclé dans la forêt de Verrières le lundi matin 3 juillet 1944, le commando perdit une trentaine d’hommes, d’abord prisonniers, puis fusillés le 7 juillet en forêt de Saint Sauvant, mais sur la commune de Rom (Deux-Sèvres). Le reste du commando anglais se regroupa autour de Tonkin dans le sud de la Vienne, auprès du colonel « Bernard » et de son état-major, poursuivant ses opérations de sabotage avec les moyens qui lui restaient, notamment une des quatre Jeeps qui leur furent parachutées dans la nuit du 17 – 18 juin 1944 à Usson du Poitou. Ils furent rejoints, fin juillet et début août 1944 par huit aviateurs américains survivants de divers crashs dans le centre ouest, (dont Kenneth Hitchcock et Clinton Word survivants du crash d’un B17 à Persac, le 4 juillet 1944, et Flamm Dee Harper, survivant de l’atterrissage forcé de son P38 à Concise, Montmorillon, le 15 juillet 1944).

Pour ramener les SAS anglais et les aviateurs américains, Tonkin et le lieutenant David Surrey-Dane, S.A.S. arrivé le 29 juillet 1944 par parachutage, organisèrent, début août 1944, l’aménagement d’une piste d’atterrissage baptisée « BonBon » entre Haims et Villemort (Vienne), pour accueillir de gros avions de transport. Dans la nuit du 6 au 7 août, deux bimoteurs « Hudson » de la RAF anglaise se posèrent à « BonBon », près de la Nocelière, commune de Haims, amenant d’Angleterre une partie d’un commando du 3ème S.A.S., français, dirigé par le capitaine Simon, dans le cadre de l’opération « Moses », relève du commando anglais. Dans la nuit du 9 au 10 août 1944, un bimoteur « Douglas C 47 » de l’US Air Force (alias « DC 3 », version civile ou « Dakota », version anglaise) se posa à son tour sur la piste de « BonBon », venant chercher les SAS et les aviateurs américains qui n’avaient pu faire partie du premier voyage. Outre des personnels de « Moses », l’avion américain apportait de l’armement lourd destiné à la compagnie Bretteval, avec notamment quatre mitrailleuses lourdes « Vickers » et 30 000 cartouches. Robert Milon et ses camarades étaient proches de la piste, positionnés en protection de l’opération. Le premier à descendre de l’avion fut un journaliste américain, venu pour immortaliser par l’image cette première opération « pick-up » réalisée en France par les Américains. Parmi ces clichés, publiés dans un magazine américain en 1945, figure celui d’un résistant, Charles Vallée, fils du notaire de Montmorillon, déchargeant une caisse de munitions destinées au groupe Bretteval.

À la libération, un groupe de jeunes femmes aida l’épouse du capitaine Ferron alias « Gilles » à confectionner des drapeaux des différents pays alliés, essentiellement ceux des Américains, des Anglais, des Français et des Russes. C’est ainsi qu’elles ont cousu le drapeau anglais aujourd’hui déposé au musée de Tercé, avec des bouts de tissus récupérés, de couleur blanche, bleue et rouge.

Un puriste britannique ferait remarquer que la largeur des bandes ne respecte pas les normes officielles de « l’Union Jack », le drapeau anglais. Mais cela a-t-il de l’importance, au regard du symbole qu’il représente vis-à-vis des soldats et aviateurs anglais qui n’ont jamais baissé les bras face à l’agressivité nazie ?

Christian RICHARD