72ème anniversaire du massacre des 31 résistants à Vaugeton par l’armée nazie d’occupation

A l’occasion du 72ème anniversaire du massacre des 31 résistants à Vaugeton, Jean-Louis Durand, membre de l’Association pour la Mémoire de la Résistance, de l’Internement et de la Déportation en pays mélusin, a prononcé une allocution devant le monument érigé à la mémoire des 31 martyrs.

Jean-Louis Durand à Vaugeton 26-6-2016

Messieurs les représentants des autorités civiles et militaires, Messieurs les représentants des associations d’anciens combattants, Mesdames, Messieurs, chers amis.

L’année dernière, Philippe Lincio nous disait :
« A la présidence de l’AMRID, Guy Dribault a beaucoup œuvré pour restituer identité et dignité à ceux dont les corps ont été abandonnés ici par les bourreaux hitlériens au terme de la terrible journée du 27 juin 1944. Grâce à ce patient et tenace travail de mémoire, ces noms, ces événements d’hier continuent d’interroger le promeneur d’aujourd’hui »
Permettez-moi de rendre hommage aussi à celui qui présida l’Association pour la Mémoire de la Résistance, de l’Internement et de la Déportation depuis sa création à la suite de l’amicale et jusqu’au 13 décembre dernier où il s’éteint à l’hôpital de Poitiers.
Nous sommes ici pour continuer son action, car Guy n’a jamais été seul dans ce travail. Il savait rassembler, ouvrir des voies, combler les fossés et nous unir dans la mémoire de cette résistance sur laquelle tout ce qui est bon dans notre société est bâti. Nous sommes donc ici réunis comme chaque année pour porter ce message.
Il y a 72 ans presque jour pour jour, l’armée allemande commit ici un de ces nombreux crimes dont elle a marqué l’histoire de la seconde guerre mondiale à travers toute l’Europe. Pressés de rejoindre le front de Normandie de tous les coins de France, ses régiments ont ravagé et laissé sur nos territoires leurs traces de sang.
15 jours auparavant, le 12 juin 1944, des prisonniers politiques du camp de Rouillé, des républicains espagnols, des antifascistes italiens, arméniens, des communistes et d’autres patriotes s’échappaient avec l’aide du maquis local. Marcel Papineau les avaient accueillis et s’apprêtait à les rejoindre et à les intégrer aux forces de l’ombre pour participer aux combats de la libération. Mais ils ont été trahis et le 27 juin, plus de 1500 soldats de la Wehrmacht et des miliciens de Pétain encerclaient la forêt de Saint Sauvant. Cinq résistants furent tués le fusil à la main. Les autres furent assassinés sur place et broyés sous les chenilles des blindés de l’armée nazie. Marcel Papineau, qui avait cherché à passer les lignes allemandes pour rejoindre le groupe de maquisards fut lui-même tué au cours des évènements de ce 27 juin.
C’est à son fils aussi, Jacques, que je pense aujourd’hui, mon ancien collègue de l’INRA et qui a fortement contribué pour sa part au sein de l’amicale puis de l’AMRID entre autres à faire connaître ces faits de résistance et à prolonger leur message aussi bien que la mémoire de son père.
Les conditions de vie des Français durant les premières années de paix suivant la libération étaient restées très difficiles. Villes en ruine, villages parfois sinistrés par la répression collaborationniste ou nazie, privations liées aux mauvaises conditions d’approvisionnement, à quatre années de pillage économique de la production française au service de la machine de guerre allemande, centres industriels et logistiques inutilisables ou détruits par les bombardements alliés dans les ports, les grandes gares. Tout le pays était à remettre en marche, sur des bases nouvelles.
Pour cela, un plan avait été élaboré au sein même de la résistance unifiée par Jean Moulin, par son Conseil National, réuni la première fois clandestinement le 27 mai 1943.
Car les résistants à qui nous rendons hommage aujourd‘hui savaient non seulement contre quel système ils se battaient mais aussi pour quelle société ils s’étaient mobilisés. Ouvriers, paysans, syndicalistes, hommes politiques de tous horizons, juristes, économistes de tous bords, avaient travaillé pour un programme qu’ils décidèrent unanimement de nommer « les jours heureux »
Quelques-unes de ces réalisations législatives, prise par les assemblées et gouvernements successifs qui organisèrent le réveil de la France libérée donnent une idée de l’ampleur de ce programme.
• 26 août et 30 septembre 1944 organisation de la presse, interdiction des concentrations ;
• 16 janvier 1945, nationalisation des usines Renault avec confiscation des biens de Louis Renault ;
• 22 février 1945, institution des comités d’entreprise ;
• 26 juin 1945, transfert à l’État des actions des compagnies Air France et Air Bleu ;
• 4 octobre 1945, ordonnance de base de la Sécurité sociale ;
• 17 octobre 1945, statut du fermage et du métayage.
• 2 décembre 1945, nationalisation de la Banque de France et de quatre grandes banques de dépôt.
• 21 février 1946, rétablissement de la loi des quarante heures ;
• 28 mars 1946, vote de la loi sur la nationalisation de l’électricité et du gaz ;
• 24 avril 1946, nationalisation des grandes compagnies d’assurances ;
• 26 avril 1946, généralisation de la Sécurité sociale incluant la Retraite des vieux. 19 octobre, loi sur le statut de la Fonction publique.

Comme les puissances d’argent avaient largement collaboré avec l’occupant, cette nouvelle France mise sur pied à la libération était certes beaucoup moins marquée par leur empreinte. Il faut dire que les sources historiques qui révèlent leur collaboration, et même leur défaitisme organisé dans la période précédant la guerre, éclairent d’un jour peu flatteur le comportement de ces élites économiques.
C’est pourquoi à la libération, le général De Gaulle, qui lui-même ne les avaient pas vus à Londres, préféra pour redresser la France, compter sur son peuple, s’appuyant sur ses aspirations. Ce qui nous donna la sécurité sociale, l’indépendance nationale dans les domaines de l’énergie, de l’industrie et de l’agriculture.
Aujourd’hui, le sacrifice des hommes tombés à Vaugeton nous force à nous pencher sur ces années terribles de la guerre, sur ce qui animait les résistants et sur les inventions sociales que nous leur devons encore en 2016. Bien rares sont les questions de ces derniers mois qui ne trouvent un écho dans cette histoire de guerre, de résistance, de dignité.
Le regain dans certaines sphères de nos sociétés du rejet de l’autre, du racisme, de l’antisémitisme et l’égoïsme frénétique d’une petite minorité possédante, nourrit le ventre d’où sortit la bête immonde. Ventre dont Bertold Brecht nous avertissait en 1941 qu’il est encore fécond.
Mais revoyons aussi les mouvements de solidarité du peuple français s’organisant en 1939 pour accueillir les réfugiés espagnols pour donner à ces femmes et ces hommes, un avenir dans notre pays à la hauteur de leur courage et de leur dignité. Songeons à l’apport irremplaçable de cette immigration à la résistance française et à nos valeurs. Conduits par des soldats de l’armée républicaine échappés aux massacres franquistes, les chars de la 2eme DB de Leclercq portaient des noms de villes d’Espagne. Leur idéal démocratique, ils l’ont apporté à la France, et pour commencer, dans la résistance contre l’ennemi commun.
Aujourd’hui, d’autres femmes et d’autres hommes fuient des conflits inhumains et cherchent refuge chez nous. Selon un récent sondage d’opinion commandé par Amnesty International, 82 % des Français veulent que nous les accueillions dignement. N’est-ce pas le témoignage de l’un des meilleurs signes de la mémoire de la résistance ?
Car les politiques qui visent à « défaire méthodiquement » la protection sociale, les droits des salariés, et qui brisent l’investissement productif en aggravant le chômage ne sont-elles pas en train de mettre à mal les solidarités entre les peuples ? La possibilité de mettre en concurrence féroce les travailleurs européens ne porte-t-elle pas la menace de conflits graves, de replis sur soi ?
L’Europe a connu 70 ans de paix et nous devrions y regarder à deux fois avant de jeter le bébé avec l’eau du bain. Mais l’Europe ne vaut-elle pas mieux que ces politiques qui contribuent à la montée de l’extrême droite, à la dislocation des solidarités et aux isolements nationalistes ? Serait-ce donc pour cela que les martyrs de Vaugeton se seraient engagés ?
L’AMRID veut donner à se souvenir, à réfléchir. Elle veut donner aux historiens le dernier mot et offrir à chacun la possibilité de songer et d’œuvrer à faire la paix dans nos régions. Nous nous inscrivons avec cette cérémonie du souvenir du martyr des maquisards de Vaugeton dans la continuité de cette action.

Texte lu par Jean-Louis Durand au nom de l’AMRID
Cérémonie de Vaugeton le 26 juin 2016