71ème anniversaire de la libération du camp de Rouillé – 28 juin 2015 – Allocution de Carine Picard

A Rouillé le dimanche 28 juin 2015, à l’occasion du 71ème anniversaire de la libération du camp, Carine Picard, petite fille de Odette Nilès, internée au camp de Choiseul près de Châteaubriant où ont été fusillés 27 résistants, a prononcé une allocution devant un public nombreux et motivé par la nécessité de transmettre la mémoire de la Résistance, de l’Internement et de la Déportation.

Carine Picard

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités civiles et militaires,
Mesdames et Messieurs les élus, les représentants des associations d’anciens combattants, Mesdames, Messieurs, chers camarades,
70 ans après la capitulation sans condition de l’Allemagne nazie, 70 ans après la libération des camps, le message de fraternité et d’espoir que nous ont légué ceux de la résistance, morts pour la France doit rester vivant en chacun de nous.
Le 24 juin 1940 les troupes hitlériennes entraient dans Poitiers et le 6 septembre 1941, un centre d’internement administratif appelé plus joliment « Centre de séjour surveillé » ouvrait à Rouillé. Conçu pour recevoir 150 prisonniers, il en hébergera jusqu’à 638 en novembre 1942. Beaucoup ne retrouveront pas la liberté et seront soit fusillés à la butte de Biard, soit dirigés vers les camps de la mort en Allemagne. Il faut souligner que les habitants de Rouillé ont très largement contribué, au péril de leur vie, à soutenir et à aider les prisonniers.
De 1940 à 1944, la Résistance dans la Vienne a été très active dans ce département coupé en deux par la ligne de démarcation. Des premiers groupes de l’ « Organisation Spéciale » aux « Francs-Tireurs et Partisans » en passant par le « Front National de Libération de la France », ce sont des centaines de patriotes qui se sont engagés en Résistance.
Je pense à tous ces internés qui se sont retrouvés ici, dans ce camp, dont il ressort que le but essentiel était de réduire toutes les volontés et tous les mouvements agissant contre le gouvernement de Vichy et les forces d’occupation nazie.
Je pense à tous ceux qui sont tombés les armes à la main ou devant un peloton d’exécution nazi, dont leur seul crime était de dire non à l’oppression. Ils ont donné, qui, leur jeunesse, qui, leur vie pour que nous vivions libres.
Leur sacrifice ne doit pas être couvert du voile de l’oubli, la bête immonde veille partout dans le monde. Les thèses révisionnistes, négationnistes, le racisme, l’antisémitisme, l’anticommunisme se développent partout.
Aujourd’hui encore, les forces du mal relèvent la tête, est-ce acceptable 70 ans après la Libération de voir les émules des nazis s’emparer des médias et de la politique ici et dans le monde entier ?
Rappelons-nous simplement qu’Hitler en 1933 est arrivé au pouvoir par les urnes en Allemagne. Aujourd’hui, les mêmes attaques contre la Démocratie, les mêmes arguments racistes sont sans cesse diffusés dans les médias, comme des banalités. Le Front National se nourrit de la déliquescence des partis politiques de droite comme de gauche qui font une politique sociale et économique similaire qui affame les populations et les rend envieuses de leurs voisins.
« Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre » disait Karl Marx en 1847.
Alors, oui, aujourd’hui, plus qu’hier encore, il y a nécessité à transmettre la mémoire de celles et ceux qui s’opposèrent au fascisme très tôt en 1940, simplement au début par la distribution de tracts, puis après dans la lutte armée. Il n’y a pas de petits actes de résistance, toute opposition était un acte de refus de la soumission à un régime totalitaire anti démocratique.
Nous sommes ici réunis, pour montrer notre attachement au souvenir, notre volonté de ne plus revoir cela et encore plus, de faire connaître aux jeunes générations ce passé que l’on ne saurait méconnaître sans compromettre l’avenir.
Fernand Devaux, ancien interné du camp qui fut déporté, se souvient : je le cite :
« A Rouillé, nous sommes accueillis par la population, de la gare au camp, venue nous témoigner sa sympathie. Vous savez, pour un résistant, pour un prisonnier interné, cela marque. Ce soutien ne s’est jamais arrêté y compris par les cheminots qui ouvraient le sifflet des locomotives chaque fois qu’ils passaient devant le camp. Pour nous, cela signifiait que des liens étaient possibles avec l’extérieur. Au fil des semaines s’ouvrent des cours de littérature, de philosophie, d’allemand. Des groupes de théâtre se créent, des compétitions sportives voient le jour. La solidarité est pour nous essentielle. Elle est une règle de vie dans le camp des internés politiques.
Parler du camp, c’est aussi parler du docteur Cheminée, de Sœur Cherer, de Camille Lombard qui étaient les contacts directs avec nous. Des habitants nous procuraient de la nourriture, des renseignements. Les évasions des politiques étaient aidées par leur biais puis mises en liaison avec la résistance locale. »
Une partie des baraquements existe encore aujourd’hui et conjointement l’Amrid, l’Association pour la Mémoire de la Résistance, de l’Internement et de la Déportation en Pays Mélusin, les élus locaux et l’amicale de Châteaubriant Voves Rouillé Aincourt nous œuvrons afin que ce qui reste puisse devenir un Musée, témoin de l’internement politique en France.
C’est le défi que nous relevons pour nos jeunes dans le respect des sensibilités, des convictions politiques, philosophiques ou religieuses de chacune et chacun. Nous sommes les porteurs de flambeau, celui de la vie, de la résistance.
D’ailleurs je tiens ici, à remercier tout particulièrement Jacqueline et Guy Dribault ainsi que l’équipe qui les entoure, dont Jean-Jacques Guérin, pour leur travail remarquable de transmission de la mémoire à la jeunesse et à la population de la Région.
Alors, aidez-nous à reprendre ce flambeau ensemble, « ami si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place ». Il faut continuer à prôner les valeurs de la Résistance : la tolérance, le respect, la justice et la Paix.
Je vous remercie de votre attention.

Carine Picard