1939-1944 : l’accueil des familles chassées par la guerre.

De 1939 à 1945, la Vienne a été un département d’accueil pour les réfugiés en provenance des secteurs les plus menacés de France : Moselle, littoral atlantique, Manche et Calvados, région du Nord et de l’Est de la France, Paris. S’y sont ajoutées des personnes de la Vienne même déplacées suite à des bombardements ou à titre de précaution.

Départ dans un wagon à bestiaux
Départ dans un wagon à bestiaux

L’étude des dossiers conservés aux Archives Départementales permet de distinguer trois vagues :

  • Septembre 1939-août 1940 : arrivée et séjour de 62 000 Mosellans évacués selon les plans prévus avant la guerre, sur un total de 210 000 en 1939 et 90 000 en mai 1940 ; en 1941, les habitants des Ardennes et de Meurthe-et-Moselle demeurés sur le territoire sont qualifiés de « réfugiés volontaires ».
  • Septembre 1943-août 1944 : repli pour les habitants de Loire-Atlantique, surtout après les bombardements sur Nantes les 16 et 23 septembre 1943. Les Mosellans restés sur le territoire ne représentent plus qu’un dossier de demande d’allocation sur cinq.
  • Eté 1944 : La plupart des réfugiés arrivent de la Manche et du Calvados et sont particulièrement nombreux dans l’arrondissement de Montmorillon. Quelques-uns viennent de Poitiers, bombardée le 13 juin 1944, et Châtellerault où un train de carburant destiné à la division Das Reich est détruit dans la nuit du 10 au 11 juin 1944 (11 morts et 23 blessés parmi les civils).

Les recherches concernant dix communes du Lussacois ont permis d’établir le tableau ajouté en pièce jointe ci-contre :

Au total, 3 877 évacués en 1939-1940 et 1 158 réfugiés de 1940 à 1944, donc en tout 5 035 personnes pour la période 1939-1944. Mais ce tableau regroupe les demandes d’allocations formulées par les évacués de 1939, essentiellement mosellans, et les réfugiés de 1940 à 1944 venant de régions littorales et de la région parisienne. Il est impossible d’affirmer que tous sont venus et ceux qui sont arrivés n’ont pas séjourné en même temps dans nos communes. Pour Mazerolles, très peu de dossiers d’Ottonvilel ont été trouvés, ce qui explique un nombre anormalement bas par rapport aux autres communes. Les statistiques des évacués et réfugiés sont extrêmement difficiles à établir.

La répartition dans les communes a été préparée par la Préfecture de la Vienne. A Sillars, les arrivants sont chaleureusement accueillis et un repas leur est servi à l’école mais dans les différentes communes, des logements provisoires sont dans des granges, des hangars, des cabanes de jardin.

« Malgré les bonnes volontés, l’intégration de la population ne se fit pas sans difficultés. Des différences d’habitudes et de culture se faisaient sentir ». Les réfugiés parlent le francique. Les adultes de plus de 34 ans, nés entre 1870 et 1918, s’expriment en allemand.

D’ailleurs, le 27 octobre 1939, un propriétaire foncier qui ne réside pas dans le canton de Lussac adresse au maire de la commune où il possède des biens la lettre suivante :

« On me signale que vous prétendez commander en maître chez ma mère, à (nom de la propriété), où sont accueillis des réfugiés et disposer à votre gré de ce qui m’appartient.

Je vous préviens ;

1°) que j’envoie copie de cette lettre à M. Le Préfet de la Vienne.

2°) que je vous tiendrai personnellement pour responsable, au besoin dans votre personne, de toute dégradation subie par ma propriété.

A bon entendeur, salut. »

(Signature)

Les premières semaines, les repas sont préparés en commun près des tentes ou des baraquements sur le champ de foire de Lussac. La viande venait en barils de Poitiers et la cuisine se déroulait sous la direction d’un professionnel, René Orsini, de madame Vayer, hôtelière à Lussac et bénévole, ainsi naturellement que de Mosellanes réfugiées.

Le 10 mars 1940, le conseil municipal de Lussac pense louer au département un terrain de La Couture (actuel résidence autonome foyer-logement La Noiseraie) où des baraquements sont en construction en prévision de nouvelles arrivées. L’aménagement de bains-douches dans un immeuble est également étudié.

Après avoir acheté ou s’être vu offrir un strict minimum, les évacués reçoivent fin septembre, une allocation quotidienne de 10 F par adulte et enfant de plus de 13 ans, de 6 F par enfant de moins de 13 ans. Si les revenus sont supérieurs à la somme ainsi calculée, l’allocation n’est pas versée ; s’ils sont inférieurs, c’est la différence qui est perçue.

Ces aides ne constituent pas des ressources importantes car, à cette époque, un manœuvre mosellan reçoit un salaire mensuel de 1000 F. Quelques prix donnent une idée du coût de la vie :

 

 

Prix en francs en septembre 1939

Prix en francs en mars 1940

bœuf (plat de côtes)

kilogramme

9

13

porc (côtes)

kilogramme

17

19

lait

litre

1,30

1,90

œufs

douzaine

5 à 6

5,50

pain

kilogramme

2,95

5,50

vin

½ litre, au café

1,25

 

Les familles qui accueillent reçoivent 2 F par personne et par jour pour les dédommager du loyer et du chauffage.

Un conflit survenu entre une habitante de Mazerolles et un réfugié qu’elle hébergeait montre que certains profitaient de la situation pour exiger un complément de leur « locataire ».

Du matériel récupéré dans les zones évacuées est transporté par le train et distribué aux collectivités d’accueil à charge pour elles de la répartir entre les familles selon les besoins, opération également source de querelles.

Mais l’intégration se fait petit à petit : à Lussac, la rentrée des scolaires mosellans a lieu le 19 octobre 1939. Une classe a été ouverte à l’école privée et deux à la mairie. Conformément au statut particulier de l’Alsace et de la Lorraine depuis1918, l’enseignement y est à caractère confessionnel et l’abbé Cluny, curé de Ham qui loge au presbytère, visite les classes. Il dit en outre une messe quotidienne pour les réfugiés et parcourt à bicyclette les hameaux et se rend à Sillars pour rencontrer ses ouailles.

Les Mosellans fondent à Lussac une société de secours mutuels et une infirmerie où le docteur Dupont effectue des visites quotidiennes est aménagée. Une infirmière de la Croix Rouge et de jeunes réfugiées s’y occupent des pensionnaires.

Dans les communes, des affiches bilingues incitent les adultes à chercher du travail : certains en trouvent dans des fermes, d’autres à la poudrière de Sillars, d’autres enfin dans l’entreprise des frères Couturier.

La plupart gardent « un souvenir inoubliable de l’accueil qui leur a été fait en Poitou ».

 Le retour est autorisé, mais pas obligatoire, le 10 août 1940 et s’effectue par train de voyageurs cette fois. A cause des destructions causées par la guerre, le chemin du retour passe par Montmorillon, Roanne, Saint-Etienne, Lyon, Mâcon (passage en zone occupée où ne sont pas admis les « indésirables », Juifs, Français « de l’intérieur », anciens légionnaires, militaires de carrière et Saint-Dizier. Lors de l’arrivée à Ham, les Mosellans découvrent un village dévasté sous le joug des Allemands qui reconstituent cependant le cheptel.

Au cours des années 1970, certaines communes d’accueil ont renoué avec les communes mosellanes et des échanges se poursuivent : Civaux et Gomelange, Lussac-les-Châteaux et Ham-sous-Varsberg, Mazerolles et Ottonville, Verrières et Coume.         

Jean-Claude Corneille

Sources : Archives Départementales de la Vienne :

–     22 W : service départemental des réfugiés.

–     22W 12 (Bouresse), 31 (Civaux), 45 (Gouëx), 63 (Lussac-les-Châteaux), 56 (Lhommaizé), 68 (Mazerolles), 86 (Persac), 103 (Sillars), 110 (Saint-Laurent-de-Jourdes, 132 (Verrières).

Documentation et photographies :

–     « Un exil intérieur, l’évacuation des Mosellans, septembre 1939- octobre 1940 », catalogue de l’exposition réalisée par la Communauté d’agglomération de Sarreguemines en partenariat avec le Conseil général de Moselle, LIBEL, octobre 2009.

–     « Ruée vers l’ouest avec 30 kg de bagages… Il y a cinquante ans, l’évacuation », catalogue du cinquantenaire de l’évacuation, Confluences-Archives municipales de Sarreguemines PIERRON, 1989.

–     Informations transmises par monsieur Joseph Rondini, historien local, Ham-sous-Varsberg (57880).

–     L’essentiel de l’article est repris dans « Le Lussacois pendant la seconde guerre mondiale », Passeurs de Mémoire du Lussacois, pages 40 à 45, septembre 2016.